Le roi du coupé-décalé, mort le 12 août dans un accident de moto, a renouvelé un genre musical dont beaucoup se revendiquent aujourd’hui.
« DJ Arafat, hommage ! On a démarré ta moto, DJ Arafat, relève-toi hé, on a démarré ta moto, DJ Arafat, relève-toi hé… » Le rythme est entêtant. Depuis le Mali, où il était en tournée la semaine dernière, le jeune artiste ivoirien Safarel Obiang, considéré comme l’un des princes du coupé-décalé, a rendu hommage, dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux, à son maître, mort lundi 12 août dans un accident de la route à Abidjan, en Côte d’Ivoire. « Un champion reste un champion », s’incline-t-il.
Pourtant, Safarel Obiang avait rompu avec DJ Arafat et s’était même publiquement battu avec certains de ses proches en juin. Le jeune concurrent rêvait alors de prendre un jour le flambeau du coupé-décalé. Mais après le décès du « roi », il a fait marche arrière et rappelle l’influence qu’Arafat a eue sur lui. « Le vieux, tu m’as tué, je suis mort fini. Tu étais pour moi une source d’inspiration et un exemple de travail, écrit-il sur les réseaux sociaux. Tu as apporté beaucoup de qualités dans le coupé-décalé. Des qualités qui ont hissé ce genre musical au sommet dans le monde entier. Tout le monde voulait te ressembler musicalement. Et qui veut ressembler à toi, DJ Arafat, doit avoir beaucoup de qualités : le courage, la persévérance et l’esprit de créativité. »
« Un combattant dans un monde de requins »
Durant ses seize années de carrière, DJ Arafat ne s’est pas fait que des amis et s’est battu à coups de clashs et de piques musicales pour conserver son leadership. Une concurrence pas toujours saine mais qui lui a permis de sortir du lot et d’inspirer ses adversaires. « Arafat influençait par son attitude, sa mentalité “seul contre le monde” qui résonne bien chez une jeunesse ivoirienne en quête de repères. Il lui a donné confiance en elle. A travers son vocabulaire, son style et ses multiples buzz, les jeunes Ivoiriens avaient leur champion », analyse le DJ ivoirien Black Charles.
S’il s’est fait quelques ennemis, DJ Arafat avait également sa famille, le « Yorogang », dont il était le chef. Dans la bande, celui qui se surnommait « Influenmento » a pris sous son aile de nombreux jeunes artistes. « Il a influencé sa génération, son temps, c’est sûr »,estime Terely, l’un des jeunes membres du Yorogang : « Il m’a montré qu’on pouvait partir de zéro et avoir tout, c’était un combattant dans un monde de requins, et c’est ce que j’essaye d’être aussi. »
Sa grande réussite reste d’avoir réussi à renouveler un genre musical jugé éphémère à ses débuts. Le coupé-décalé, lancé en 2003 alors que le pays est en proie à un conflit politico-militaire, donne un peu de joie au pays. « Douk Saga l’a fait naître, Arafat l’a amené à l’international. Avant lui, je n’imaginais pas que ce genre pouvait atteindre une telle stratosphère », confesse Black Charles. En accélérant le tempo, en ajoutant de l’électro, de nouvelles sonorités et une scénographie dansée et rythmée qu’il appelait le « roucascasse », il a « révolutionné le coupé-décalé », assure Molare, l’une des figures du genre : « Aujourd’hui, 80 % des jeunes qui arrivent sont forcément inspirés par son œuvre. »
Kiff No Beat ne s’en cache pas. Ce groupe phare de la scène ivoirienne, produit comme DJ Arafat par Universal Music Africa, a choisi la voie du hip-hop mais imite le roi du coupé-décalé en concert. « Il nous a apporté sa folie. Avec lui, le “game” était comme un film, c’était chic, ce n’était pas vide. Maintenant, on fait pareil, on fait monter des motos sur scène, on fait les choses en grand »,explique Black K, l’un des cinq membres du groupe.
« Les gens voulaient lui ressembler »
Beaucoup témoignent du fait que malgré son succès, DJ Arafat était resté le même. « Il demeurait quelqu’un du peuple. Il était brut, il n’a pas cherché à changer », observe Black Charles. Au-delà de la musique, il a inspiré les Ivoiriens jusque dans leur quotidien. « Dès qu’Arafat lançait un mot, une expression, dès qu’il portait quelque chose d’original, c’était repris dans les rues, dans les clips », poursuit son manager, Yves Roland Jay Jay.
Très présent dans les boîtes de nuit et sur les scènes abidjanaises, DJ Arafat était souvent en direct sur les réseaux sociaux, créant l’actualité d’une manière ou d’une autre. « Il faisait partie du quotidien et les gens voulaient lui ressembler. Ils avaient la même coiffure, le même comportement, une attitude fière et assurée, c’était un leader d’opinion », juge Aziz Doumbia, cofondateur de la Sunday, le rendez-vous musical du moment à Abidjan.
L’artiste laisse derrière lui plus de 300 chansons, dix albums et de nombreuses références. « On pourrait écrire une encyclopédie sur DJ Arafat. C’était une musique, un style, mais aussi un langage, un look, une attitude… Son héritage est énorme. Aujourd’hui dans la rue, les gens ajoutent ses expressions dans leur nouchi [l’argot abidjanais] : “manci”, “ça va aller”… », note Molare.
Associés, frères ou rivaux, de nombreux jeunes veulent désormais connaître le même succès que le roi : Ariel Sheney, Safarel Obiang, Didi B, Bmuxx Carter, DJ Vogis, DJ Yves, Terely, DJ Mulukuku, Doliziana, Debordo Leekunfa… « DJ Arafat était un génie. Il ne pourra pas être remplacé, mais le coupé-décalé vivra toujours. D’autres artistes prendront la relève, même si la place de DJ Arafat sera difficilement prenable », estime le journaliste ivoirien Philippe Kla.