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En Chine, les étudiants africains se sentent laissés pour compte face au coronavirus

Depuis le début de l’épidémie, seuls l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Mauritanie ont rapatrié leurs ressortissants.

« On dirait un film d’horreur », frissonne Joseph Kacou en observant par sa fenêtre la rue silencieuse, un axe autrefois bondé, en plein centre-ville de Wuhan. Dans son frigo, « il ne reste que du poulet pour cinq jours. Après quoi, je devrai retourner en bas si je ne veux pas mourir de faim », lance-t-il. Cela fait trois semaines que ce jeune Ivoirien, en première année de master en commerce international à l’université de Wuhan, vit enfermé dans son appartement. Lui et d’autres étudiants africains établis dans la ville chinoise, épicentre de l’épidémie de coronavirus, ont raconté au téléphone au Monde Afrique leur difficile quotidien, entre confinement et angoisse de la contamination.

« La dernière fois que je suis sorti, les étalages étaient presque vides, tout le monde faisait la queue. Quand une femme sans masque a pénétré dans le supermarché, c’était la panique ! », se souvient-il, redoutant le jour où il devra remettre un pied dehors. Il faudra alors marcher trente minutes au moins jusqu’au seul magasin ouvert du quartier. Ni les métros, ni les bus, ni les taxis ne sont autorisés à circuler dans la ville mise en quarantaine le 23 janvier par le gouvernement chinois afin de freiner l’épidémie.

« Je crains pour ma vie. Je suis en stress permanent. Je veux rentrer à la maison, martèle-t-il. Avec mes 96 compatriotes de Wuhan, on a dit aux autorités ivoiriennes que l’on veut être rapatrié. Ils prétendent négocier avec le gouvernement chinois, mais ça fait deux semaines et toujours rien. On ne veut pas mourir ici ! »

« Je veux rentrer dans mon pays ! »

Sa peur est partagée par de nombreux camarades africains. Des voix qui désormais portent en Chine et au-delà. Les Africains représentent la deuxième population étudiante du pays après les Asiatiques. Les dernières statistiques du ministère de l’éducation font état de 81 562 étudiants africains sur le territoire en 2018. Un bond impressionnant depuis 2003 où ils n’étaient que 1 793.

A quelques encablures de chez Joseph Kakou, Russel Franck Fando a réussi son expédition. Masque sur le nez, il vient de remonter dans son appartement les bras chargés de courses : « Des jus, de l’eau, des légumes, de la farine, du pain et des conserves », énumère-t-il. Suffisamment pour tenir « trois semaines au moins ». Il ne compte pas redescendre avant. Cet étudiant camerounais en 4e année de bachelor en économie vit avec un camarade zimbabwéen dans un deux-pièces. « Il n’y a plus de yaourts de lait, de gâteaux, ni surtout de masques, s’exclame-t-il. Tout est excessivement cher. Le kilo de tomates est passé de 10 à 40 yuans [de 1,30 euro à 5,20 euros]. Même les prix en ligne ont augmenté. »

Chaque matin, son téléphone déborde de notifications. Des dizaines de messages de ses trois cents compatriotes camerounais étudiants à Wuhan, puis ceux de sa famille qui s’inquiète de sa santé et qu’il tente de rassurer « en simulant une bonne mine ». Ce qui devient de « plus en plus dur » avec le défilé de nouvelles anxiogènes sur le réseau social WeChat. Des vidéos de files interminables devant les boutiques, d’hôpitaux saturés ou de rues désertes. Survient ensuite le gong du décompte officiel des morts et des nouveaux infectés. « Chaque jour, ça empire. [Il y a quelques jours], le bulletin faisait état de 19 665 infectés et 549 morts. Au début, c’était 50 morts et 500 infectés. Je veux rentrer dans mon pays ! », précise Russel Franck Fando.

« On nous a abandonnés »

Son appartement est devenu « une prison » dans laquelle il craint même de respirer. Seuls les tests de nouveaux vaccins lui redonnent un peu d’espoir. Il en faut bien. « Sinon, c’est la mort qui nous attend ici. Il pense à ce compatriote, Pavel Davy Kem, 21 ans, le seul étudiant africain infecté, aujourd’hui sous surveillance médicale. « L’ambassadeur ne nous répond pas. Même pas une lettre de soutien ou un peu d’argent pour les biens de première nécessité. Il reste muet », ajoute-t-il. Alors ils ont eux-mêmes levé des fonds pour aider les camarades dans le besoin.

A l’exception de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte et de la Mauritanie, aucun pays africain subsaharien n’a rapatrié ses étudiants. Pourtant, certains Etats ont envoyé une aide financière comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal qui a distribué 600 000 francs CFA par personne (914 euros). C’est en partie grâce à l’insistance de Bécaye Cissokho Ndiaye, président des étudiants sénégalais de Chine. L’association recense 350 membres dans le pays, dont 13 à Wuhan, et fait un lobbying important auprès du président Macky Sall pour un rapatriement. Il leur a répondu que « le Sénégal n’en a pas les moyens ».

A Dakar, les parents des treize étudiants de Wuhan ont monté un collectif et organisé une conférence de presse afin de faire pression sur le gouvernement. « Nos camarades à Wuhan font état de difficultés pour accéder aux biens de première nécessité, rapporte M. Ndiaye. La menace du virus crée une psychose qui s’amplifie à mesure que leurs camarades sont rapatriés. »

Boulaye Dembélé tourne comme un lion en cage dans son appartement. Son ami égyptien est rentré il y a quelques jours grâce à un vol affrété par son gouvernement. Il aimerait ne pas y penser, se concentrer sur sa thèse en droit international, mais « le virus est aussi dans la tête ». Une semaine qu’il n’est pas sorti. Alors il essaie de s’apaiser en regardant des comédies ou en lisant des livres. Probablement comme ses quarante-deux camarades maliens du Wuhan.

« Les gouvernements africains doivent montrer plus de solidarité entre eux pour nous venir en aide. Je pense qu’ils pourraient coordonner un rapatriement commun, du moins entre pays voisins. Au Mali, mon pays, ni les médias, ni la société civile, ni le gouvernement ne s’intéressent à notre sort. Personne n’a essayé de nous contacter », affirme l’étudiant de 24 ans. Il partage sa colocation avec un Laotien et deux Ougandais, eux aussi des laissés-pour-compte, ou des « laissés-sur-place », comme dit l’un de ses camarades. Boulaye soupire : « On nous a abandonnés. »

Source : Monde Afrique

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