La démocratie malienne est en sursis. Avec un Président de la République en quasi-abandon de poste qui n’a jamais tenu le gouvernail du pays, un jeune Boubou CISSE condescendant, bombardé pour des raisons claniques et familiales dans un fauteuil trop épais pour lui qui n’a d’égard ni pour la Constitution ni pour les lois de la République, le pays a dangereusement amorcé la pente raide qui mène à l’État voyou. Un Etat où le règne du droit a foutu le camp pour faire la place aux dérives de l’arbitraire qui caractérise la gouvernance du pays. Dans ce foutoir institutionnel, les fauteuils du gouvernement semblent ne plus servir qu’à fabriquer des ministres hors-la-loi qui ne font que défier la Constitution et les lois. Boubacar BAH de l’Administration territoriale et de la Décentralisation en est le prototype-même. Ce ministre aujourd’hui en rébellion contre la Constitution du Mali et les lois de la République, prône le double vote pour le même scrutin législatif au profit des populations du nord.
D’aucuns par méconnaissance du droit électoral ou par réflexe de manipulation de l’opinion nationale, qualifient à tort d’élections partielles, ce projet diabolique de double vote. En vérité, le projet inqualifiable n’a rien à voir ni avec des élections partielles, ni avec des élections générales.
Il semblerait qu’en politique, le poids des âges n’est pas un gage de sagesse. Qui aurait cru que le ministre Boubacar BAH de l’Administration territoriale, ce septuagénaire tant éprouvé par le temps, n’ayant pour seul avenir, qu’une rétrospective de souvenirs largués au fin fond d’un rétroviseur, pouvait subitement se transformer en bourreau de la République s’adonnant à des tripatouillages juridiques qui foulent au pied la Constitution et les lois du Mali?Pour faire plaisir à IBK ? Pour lui faire un retour d’ascenseur sur le dos de la République et sur la dépouille de ses institutions ?
Il est vrai que depuis son largage du gouvernement par le Président Alpha Oumar KONARE pour des raisons que l’histoire gardera bien en mémoire, il n’avait eu pour seule consolation qu’une grande sollicitude aujourd’hui rompue par IBK. Pour autant, son devoir de reconnaissance envers IBK qui l’a sorti du trou, l’autorise-t-il, pour faire plaisir à ce dernier, à abuser de son fauteuil ministériel pour sacrifier la Constitution du Mali sur l’autel de l’Accord séparatiste d’Alger? Il est évident que ce n’est pas dans le mépris de la Constitution et des lois du pays qu’on peut rendre service au Président IBK.
Boubacar BAH, dans le confort du fauteuil ministériel qu’il occupe grâce à la République et ses institutions, se débarrasser des contraintes de l’Etat de droit. L’Etat de droit a justement pour but d’assujettir au droit, toute velléité brutale qui anime Boubacar BAH actuellement, emmuré qu’ilest, dans son entêtement incompréhensible à vouloir imposer à la République, des élections législatives inconstitutionnelles et illégales au profit des populations du Nord.Boubacar BAH se rend-il compte qu’en s’obstinant ainsi dans le déni de la Constitution et des lois du pays ,il donne l’impression d’être le ministre d’un Etat voyou ?Lorsqu’on se sert de son titre de ministre acquis grâce aux lois de la République, pour ensuite s’asseoir sur ces mêmes lois, de quel type d’Etat peut-on ainsi se réclamer?
Un ministre qui souille la République par la signature d’une Décision illégale
La réunion ministérielle en catimini avec les rebelles s’était à peine tenue le 10 avril 2020, qu’une Décision n°000148/MATD-SG est précipitamment bricolée comme dans un Etat voyou le 15 avril 2020. Une décision complètement tordue, dans la pure tradition de l’imposture juridique qui n’a cure des règles élémentaires du processus décisionnel dans un Etat de droit. C’est à se demander si Boubacar BAH n’est pas entouré que par des juristes de république bananière beaucoup plus préoccupés, par instinct de survie matérielle, à lui fabriquer un semblant d’enveloppe juridique à son entreprise illégale, qu’à lui opposer par éthique professionnelle, la rigueur juridique de l’Etat de droit qui fait la vraie autorité d’un ministre républicain?
La Décision n°000148/MATD-SG du 15 avril 2020 ne survivrait à aucun recours juridictionnel pour excès de pouvoir. Ceux qui sont à l’origine de son rafistolage s’illustrent comme de pauvres charlatans du droit qui s’imaginent que l’alignement de 11 textes hétéroclites de visas suffit à la régularité d’une décision. Quelle est la régularité d’une décision qui aligne dans ses visas, deux textes de nature contradictoire comme la Constitution du Mali et l’Accord séparatiste d’Alger qui en est la négation? Jusqu’à preuve du contraire, l’Accord séparatiste d’Alger n’appartient pas à l’ordonnancement juridique de notre pays et demeure un déchet juridique polluant en suspension dans son environnement institutionnel.
Le double objet de la scandaleuse décision pose également un grave problème juridique.La création de la commission nationale de mise en place d’autorités intérimaires est une imposture juridico-institutionnelle d’autant plus grotesque que même l’Accord séparatiste d’Alger ne parle point d’autorités intérimaires. L’on se demande par quelle alchimie, la « Période intérimaire » temporaire par définition, évoquée par le chiffon d’Alger, s’est transformée en «Autorités intérimaires permanentes »ad vitam æternam. Les autorités intérimaires dont il est question ne s’inscrivent dans une aucune catégorie juridique ni légale ni règlementaire au Mali. Elles ne sont que le produit frelaté de l’arnaque juridique de « l’ «Entente » du 19 juin 2016.Au nom de quel complot contre la République et ses institutions, voudrait-on vendre l’idée que le Code des Collectivité territoriales et l’Entente sont deux textes conciliables ? Il est impossible de respecter à la fois la loi républicaine du Code des Collectivité territoriales et l’« Entente » antirépublicaine avec des rebelles.
Il en est de même de la préparation de l’élection de nouveaux députés au nord qui manque absolument de fondement juridique pour asseoir la création de commissions dédiées à cet acte de forfaiture. Relativement au cas spécifique de la préparation de l’élection de nouveaux députés au niveau des régions de Taoudenit et Menaka et des cercles de Almoustrat et Achibogho, le visa relatif à la Constitution n’est ni plus ni moins qu’un acte de brigandage juridique. Aucune disposition constitutionnelle ne pourrait servir d’assise juridique à une décision de création d’une soi-disant commission d’organisation d’un double vote au Mali au profit des populations du Nord. Bien au contraire, la Constitution interdit de violer son article 27 où il est inscrit que « le suffrage est universel, égal et secret ».Le principe constitutionnel d’égalité du suffrage s’impose au ministre Boubacar BAH et lui interdit catégoriquement d’organiser un double vote au profit des populations du Nord.L’égalité devant le suffrage qui n’est qu’une composante du principe d’égalité devant la loi, s’oppose à toute division par catégorie des électeurs. On notera égalementque les charlatans du droit qui ont bricolé cette décision juridiquement bancale, se sont bizarrement gardés au niveau des visas, de faire une quelconque allusion aux textes fondateurs en matière d’élections législatives. C’est ainsi qu’on n’y trouve trace ni de la loi n°02-010 du 05 mars 2002 portant loi organique sur les députés, ni de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 portant loi électorale. La raison en est que, comme pour la Constitution, ces deux textes de loi mettent à nu, l’illégalité flagrante qui entache la lamentable Décision n°000148/MATD-SG du 15 avril 2020.L’article 1er de la loi organique n°02-010 du 05 mars 2002 fixe le nombre des députés à l’Assemblée nationale à cent quarante-sept(147).Il ne manque pas un seul siège à ce chiffre de 147 députés qui a servi de base au scrutin législatif des 29 mars et 19 avril 2020.Aujourd’hui, l’ensemble des 147 sièges ont été entièrement pourvus et le Mali en a terminé avec les élections au titre de cette nouvelle législature.
Un mépris de la Constitution enveloppé dans le mensonge d’Etat de la mise en œuvre d’une recommandation du DNI
Il n’empêche que Boubacar BAH le ministre hors-la-loi, répondant au Président du Conseil supérieur de la diaspora inquiet de sa démarche antirépublicaine, précise dans sa lettre n°001149/MATD-SG du 19 avril 2020 que celle-ci s’inscrit dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre de la résolution n°1 du DNI relative à l’élection des députés. Rien que de la pure manipulation enveloppée dans un grotesque mensonge d’Etat ! Le ministre sait bien qu’il ment ainsi au peuple malien quand il prétend que ces élections législatives discriminatoires « s’inscrivent dans la mise en œuvre de la résolution n°1 du DNI ».Contrairement à ces allégations farfelues, à aucun moment, aucune élection de députés n’a pu être différée par le DNI au profit de nouvelles circonscriptions de cercles.Dire que le DNI a décidé de deux séquences d’élections législatives relève simplement d’une fourberie dans laquelle le gouvernement tente d’absoudre des engagements du déshonneur de l’Etat et de la République auxquels il a souscrit en clando avec les rebelles de la CMA. Au demeurant, ni le DNI et ses recommandations, ni le Président IBK, ni Boubacar BAH lui-même, ne sont au-dessus de la Constitution du Mali et des lois de la République. Tout le corps électoral sur toute l’étendue du territoire national y compris dans toutes les régions du nord a déjà voté et élu les 147 députés de la nation qui forment actuellement la 6èmelégislature en cours. Jusqu’au prochain renouvellement général de l’Assemblée nationale en 2025 où sauf cas de dissolution, aucune autre élection législative ne peut se tenir, mises à part les élections partielles dont l’ensemble des cas de figurent sont détaillés par la loi. Quelles soient des régions du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, les nouvelles circonscriptions administratives de cercles potentiellement destinées à servir prochainement de circonscriptions électorales des législatives, ne peuvent que prendre leur mal en patience à cause de l’incurie du gouvernement et attendre sagement la fin de mandat de cette 6èmelégislature ou son éventuelle dissolution.
Un ministre qui brocarde les textes de lois
Le projet de double vote pour le même scrutin législatif au profit des populations du nord est une entreprise vouée d’avance à l’échec. Les vrais Maliens patriotes ne se résigneront jamais à la contemplation docile de la clochardisation institutionnelle à laquelle, par son irrespect de la Constitution et des lois de la République, Boubacar BAH cherche à condamner notre Etat de droit.
Le ministre qui a l’audace d’entrainer de nouveau une portion territoriale du Mali dans un autre scrutin législatif après les législatives des 29 mars et 19 avril 2020 convoquées et exécutées sur toute l’étendue du territoire national mérite-t-il le fauteuil ministériel qu’il occupe aujourd’hui grâce à la Constitution et aux lois de la République? Boubacar BAH agissant comme un hors-la-loi, aurait-il déjà oublié que c’est lui qui a initié et présenté au gouvernement le projet du décret n°2020-010/P-RM du 22 janvier 2020 portant convocation du collège électoral selon lequel « le collège électoral est convoqué le dimanche 29 mars 2020, sur toute l’étendue du territoire national, à l’effet de procéder à l’élection des députés à l’Assemblée nationale »?Que représente à ses yeux, alors qu’il reste assis dans le confort de ce fauteuil ministériel grâce à la Constitution et aux lois de la République, l’article 27 de cette même Constitution qui garantit le principe constitutionnel d’égalité du suffrage au nom duquel une partie du corps électoral ne peut voter deux fois lors du même scrutin ?Un vrai ministre de la République doit-il pouvoir s’asseoir sur un principe constitutionnel de ce calibre? Boubacar BAH ignore-t-il, qu’à l’instar de la Constitution, la loi électorale à l’alinéa 2 de son article 2 dispose également que « le suffrage est universel, égal et secret » ? Mérite-t-il encore le fauteuil de ministre dans lequel il trône, s’il se permet de piétiner l’article166 de la loi électorale qui stipule que l’Assemblée nationale se renouvelle intégralement à l’expiration de son mandat et que les législatives des 29 mars et 19 avril 2020 ont consacrée cette obligation juridique de renouvellement intégral ?Comment ce scandaleux vote qui obnubiletant Boubacar BAH, va-t-il pouvoir se tenir au mépris des lois de la République?
Un ministre qui foule au pied la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
Nous rappelons au ministre hors-la-loi qui ne le sait probablement pas, que la jurisprudence est également source de droit dans un Etat de droit et qu’une abondante jurisprudence constitutionnelle a réaffirmé à plusieurs reprises le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage Le sachant passablement converti aux vertus de l’Etat de droit, on se contentera simplement, pour ne pas l’embrouiller davantage, de livrer ici quelques considérants des Arrêts 96-003 du 25 octobre 1996 et CC-000-121 du 6 octobre 2000 suffisamment révélateurs de l’importance, aux yeux du juge constitutionnel, du principe fondamental d’égalité devant le suffrage : « Considérant que l’article 2 de la constitution dispose tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoir. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, la religion et l’opinion politique est prohibée » ; Que l’article 26 de la constitution dispose « la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » ; – Que l’article 27 alinéa 1er de la constitution dispose « le suffrage est universel, égal et secret ».Considérant que les citoyens doivent désigner leurs représentants conformément aux principes fondamentaux dont le principe d’égalité des électeurs ;Que le principe d’égalité des électeurs serait enfin rompu puisque le principe d’indivisibilité du corps électoral qui ne permet pas une différenciation d’ordre géographique ou territorial au sein de la république ne serait pas respecté ».Il serait pour le moins surprenant avec toutes les bévues qu’elle accumule déjà y compris récemment avec sa jurisprudence scandaleuse des législatives, que la Cour constitutionnelle soit amenée à accompagner le gouvernement dans cette aventure au mépris dela Constitution, des lois de la République et de sa propre jurisprudence ?Encore une fois et pendant qu’il est encore temps, il urge pour Boubacar BAHde cesser de tremper dans des tripatouillages juridiques indécents auxquels de toute façon, le peuple malien qui ne se considère pas citoyen d’une République bananière ni d’un Etat voyou, ne manquera pas de s’opposer de la manière la plus énergique, démocratiquement parlant.La Constitution lui en donne les moyens juridiques. La Constitution dans laquelle réside le fondement de tout pouvoir au Mali auquel est faite interdiction de remettre en cause la forme républicaine de l’Etat.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)