Ce n’est caché à personne que notre école, celle du Mali, est gangrenée par la corruption continuelle à tous les niveaux du système éducatif.
Des parents aux enseignants en passant par les élèves et étudiants, chacun contribue à mettre cette école à genoux. Qui parle de corruption continuelle parle de frustration continuelle, car ces enfants qui réussiront par la fraude seront les victimes des frustrations qui auront été alimentées par les ainés, et ces frustrations auront pour conséquence l’instabilité à tous les niveaux du pays.
Les âmes trahies de l’école sont ces enfants, ces jeunes à qui les responsables de l’éducation font croire qu’ils ont la compétence avec de grosses moyennes, or dans la réalité il n’y a rien dans leur tête qui puisse les permettre d’être appelés apprenants.
Les évaluations des élèves et étudiants sont un casse-tête dans notre pays et elles constituent le plus grand facteur de trahison des apprenants.
Il m’arrive parfois de me poser la question de savoir si les enseignants, les parents et les élèves savent ce qu’est une évaluation. Sinon, pourquoi préfèrent-ils prendre le court chemin de peur d’affronter les défis de la vie. Lorsqu’on évalue les apprenants, c’est pour mesurer les compétences théoriques et pratiques acquises pendant un certain temps d’apprentissage, mesurer pour savoir si les attentes sont à hauteur de souhait. Partant de là, avec les résultats obtenus, on améliore les réussites et on corrige les erreurs. Evaluer, c’est aussi contrôler l’efficacité du système éducatif mis en place en vue de savoir s’il permet à nos enfants d’avoir une éducation de qualité.
Ce que nous constatons dans nos écoles est que l’évaluation sert à passer les élèves d’une classe à une autre pourvu qu’on ait la moyenne de passage et peu importe comment cette moyenne a été obtenue.
Dans les classes basses (1er cycle), une période cruciale dans le cursus scolaire, des enseignants en complicité (volontaire ou involontaire) avec l’école évaluent de façon catastrophique pour faire croire aux parents à la qualité de leur enseignement. Pendant les évaluations mensuelles ou trimestrielles, monsieur ou madame donnent des activités ou exercices qui avaient été déjà corrigées soit pendant les cours normaux ou pendant les cours privés. On part parfois jusqu’à dire aux élèves : « c’est ça qu’on va vous donner ». On peut énoncer le thème sur lequel va porter l’évaluation, mais aller jusqu’à montrer la correction et redonner la même chose, cela sort du cadre de l’évaluation. On n’évalue pas un enfant sur ce qu’il n’a pas étudié, mais quand on évalue, c’est soumettre à l’enfant un problème d’ordre pédagogique qui le permettra de réfléchir, d’inventer et d’apporter des solutions au problème posé. En ayant la solution au problème ou pas, cela édifie l’enseignant sur la qualité de son enseignement et sur la capacité de l’enfant à pouvoir trouver des solutions. C’est de cela que l’enfant apprend et l’enseignant s’auto-évalue.
Par ailleurs, si nous donnons la solution ou le problème déjà résolu qui n’est plus un problème, l’enfant ne fera rien et absolument rien, il n’apprendra pas, il sera victime de la facilité, l’évaluation sera vidée de son sens, l’enfant ira en classe supérieure avec des notes fictives.
De nos jours, les notes dites bonnes ne sont pas toujours synonymes de compétence, car elles s’achètent en échange d’argent ou autres… choses. Une génération qui réussit de mensonge en mensonge ne pourra rien offrir à ses enfants en termes d’éducation si ce n’est que ce même mensonge.
Les interrogations écrites ou orales, les devoirs et les examens sont des voies pour évaluer les apprenants afin de leur soumettre d’autres connaissances si ce qui a été préalablement soumis est assimilé ou compris.
D’autre part, quand les parents inscrivent les enfants aux cours privés, ils veulent que ceux-ci aient forcément de bonnes notes, dans ce sens il y a des enseignants qui traitent les sujets des évaluations avec leurs élèves des cours privés. Si vous ne prenez pas les cours privés, vous pouvez avoir du mal à avoir la moyenne lors des évaluations de monsieur ou madame.
Pour l’argent, des enseignants demandent aux parents d’inscrire leurs enfants aux cours privés. Ici, on sème l’inégalité car tous les élèves ne sont pas traités sur le même pied d’égalité. L’enseignant garde certaines connaissances pour les participants de son cours privé. A titre d’exemple, un parent d’élève m’a soumis son enfant, pour cause son maitre a dit qu’il doit prendre des cours privés car celui-ci souffre de la dysorthographie. Lorsque j’ai pris l’enfant, je me suis rendu compte que l’enfant ne souffre pas en réalité comme l’a dit son maitre. Selon ma compréhension, il voulait que l’enfant soit inscrit à son cours privé.
L’enfant a été inscrit à 5 ans, âge anormal pour inscrire un enfant à l’école. Monsieur se fait déjà des soucis. Inscrire un enfant à l’âge hors norme peut impacter négativement la réussite scolaire de l’enfant car les cellules psychiques peuvent vite s’épuiser. L’âge normal est 6 ans selon la loi d’orientation sur l’éducation du Mali. Les lacunes des étudiants se créent depuis la base.
Nous faisons tout pour faire croire aux bailleurs de fonds que la promotion de l’éducation est en marche avec des chiffres qui sont en contradiction avec les réalités sur le terrain, car il faut justifier la disparition des fonds alloués à l’école. Si l’école part dans ce sens de tromperie, il faut admettre que cela donnera naissance à des crises sociales. Les personnes limitées dans la tête sont des problèmes. C’est cette réalité que nous vivons dans notre pays. L’éducation est ce grand défi auquel fait face notre pays. Au lieu que l’école nous sert, elle nous crée des problèmes.
L’école publique, quant à elle, est prise en dérision et les privées ne pensent qu’à leur poche. Lorsqu’une éducation nationale est dans la main des structures privées, il faut s’attendre à tout. Dans le public, on compte les enfants des pauvres. Dans les écoles dites réputées, on compte les enfants des riches. Il y en a qui sont réputées de nom. Et dans d’autres privées, c’est la catastrophe d’où on observe les classes pléthoriques avec les enfants des pauvres.
La Nation en danger
Les évaluations revêtent un caractère spécial à l’école. Lorsqu’elles sont banalisées, les élèves ne s’intéresseront pas à l’école. Selon Louis Farrakhan, « quand les élèves ne se retrouvent pas dans leur éducation, ils ne s’y intéresseront pas.».
La surveillance des examens de fin d’année s’est aussi transformée en problème sérieux. On ne sait plus à qui faire confiance car la fraude peut se constituer à tous les niveaux, des ministères de l’éducation aux parents d’élèves. On a tendance à croire que les examens sont devenus une simple formalité sinon le sens d’évaluation n’y est plus. Tout le monde est corruptible.
La société admet volontairement la trahison des âmes sensibles. En plus de cette trahison, on fait la promotion du matériel avant la promotion des valeurs morales. Quand on ment aux enfants dans leur éducation, on les prépare à s’autodétruire dans l’avenir. Ils seront des gens qui ne sauront pas qu’ils ne savent pas.
Nous avons la possibilité de pouvoir donner à l’éducation sa dignité, mais seulement il faut y croire et croire que le changement est possible, croire en réfléchissant de la tête vers le bas et du bas vers la tête. Tariq Ramadan avance en disant : « L’enfant doit être au centre de son éducation, mais il ne doit pas être le maitre du jeu. C’est lui qu’on éduque, ce n’est pas ce qu’il veut qui est la règle. ». Pour terminer, un professeur d’université en Afrique du Sud écrit :
« Pour détruire une nation, on a nullement besoin d’armes atomiques ou de missiles intercontinentaux… mais il faut seulement réduire la qualité de son éducation et permettre aux étudiants de tricher, ainsi…
Le malade mourra dans la main d’un médecin qui a réussi par tricherie ;
Les édifices (maisons,…) s’écrouleront dans les mains d’un ingénieur qui a réussi par fraude ;
On perdra beaucoup de fonds dans la main d’un comptable qui est arrivé par fraude ;
La religion s’éteindra dans la main des théologiens qui ont réussi par fraude ;
La justice s’envolera dans la main des magistrats qui ont réussi grâce à la fraude ;
L’ignorance se répandra parmi la jeune génération dans les mains des enseignants qui ont réussi par la fraude. La chute de l’éducation = chute de la nation »
Et j’ajoute, trop de fraude à l’école est aussi égale à l’augmentation du taux du chômage.
Yacouba Dao
Source: Le 26 Mars