La société malienne est en quête d’identité. Dans cet Etat laïc, musulman à 90 %, les événements majeurs de la décennie comme le 11-Septembre et plus récemment la crise libyenne, ont des conséquences sociales bien concrètes.
(photo archives)
Premiers bénéficiaires de ces transformations : les fondamentalistes, dont le terreau favori reste les populations les plus pauvres en quête de protection. Les mouvements religieux intégristes fleurissent et investissent le terrain politique dont ils ont déjà pris l’ascendant. Al-Qaïda au Maghreb islamique, qui trouve ses racines profondes au nord du pays, reste à l’affût.
« Des soldats français qui viennent soutenir les rebelles libyens… Mais c’est grave… c’est grave… ». Un verre de thé malien en main, Magasse, Bathily, Kéita échangent dans l’arrière-boutique de Magasse, dans un quartier récent de Bamako. Régulièrement, ces trentenaires se retrouvent dans leur grin (cercle d’amis) pour refaire le monde et parler de l’actualité.
En cette fin août 2011, c’est la Libye qui concentre toutes les attentions. Et ici, au Mali, une majorité de personnes dénonce l’intervention de l’Otan. « Mais c’est quoi cette communauté internationale. Pour moi, la communauté internationale, ça n’existe pas. Une fois de plus, l’Occident croit qu’il peut tout faire, n’importe où ».
La crise libyenne puis l’intervention de l’Otan viennent réveiller des sentiments complexes de colère et d’incompréhension à l’égard de l’Occident. Et pour ces trentenaires, le 11-Septembre et le fameux choc des civilisations qui s’en est suivi ont durablement fabriqué un sentiment de rejet du monde musulman.
Pour Adam Thiam, éditorialiste au quotidien malien « Le Républicain », le discours de Bush au lendemain du 11-Septembre a fait émerger une stigmatisation de la religion musulmane. « Ce sentiment de rejet sera très fortement ressenti ici aussi au Mali, à tel point que l’ambassadeur des Etats-Unis de l’époque devra faire la tournée des mosquées pour expliquer le sens des propos du président américain ».
Le Mali est un Etat laïc, musulman à plus de 90 %. Un pays jeune, où de tout temps, l’immigration a permis à de nombreuses familles de s’en sortir. Or, depuis les attentats de 2001 et la lutte contre le terrorisme, les politiques sécuritaires des pays occidentaux ont changé la donne : les visas sont distribués au compte-goutte et les contrôles aux frontières sont renforcés.
Aminata Traoré, essayiste, auteur de l’Afrique humiliée, considère que les populations musulmanes du Sud sont aujourd’hui « comme dans une boîte : ils ne peuvent s’en sortir chez eux et on leur refuse de sortir. Mais la conséquence, c’est le risque d’explosion et un retour sur soi vers des valeurs refuges, vers l’islam ».
La religion, structure d’une société en quête d’identité
L’islam progresse sensiblement depuis une décennie au Mali et dans toute la sous-région. Et même si le 11-Septembre n’est pas forcément le point de départ de cette montée religieuse, il a pu contribuer par un sentiment de frustration à nourrir ce besoin d’idéologie.
« C’est l’effondrement des valeurs traditionnelles qui permet de comprendre la montée du religieux », estime Souleymane Drabo, directeur de publication du quotidien gouvernemental L’Essor. Le religieux s’est installé sur une place laissée vide par les idéologies en déclin comme le marxisme mais aussi le libéralisme, vilipendé dans les pays du Sud.
Gilles Holder est anthropologue et travaille depuis de longues années sur l’évolution de la société malienne et sur la montée du phénomène religieux. « La société malienne est traditionnellement musulmane, mais c’est un fait que la religion structure de plus en plus la société, explique-t-il. La nation et l’identité malienne se confondent de plus en plus avec l’identité musulmane ».
Ce réveil du sentiment religieux est visible à Bamako. Ces dernières années, de plus en plus de jeunes fréquentent la mosquée. Ils respectent le jeûne durant le mois du ramadan, par conformisme, par conviction ou bien par dépit. « Moi je le vois », estime Daouda, chef des jeunes d’un quartier populaire de Bamako.
« Quand les jeunes ne trouvent pas de travail, une fois, deux fois, ils ont tendance à se tourner vers la religion. Ce sont les wahhabites qui recrutent le plus : si tu es fidèle, si tu fréquentes régulièrement la mosquée pendant deux ou trois ans, ils t’aident. C’est quand tu as perdu tout espoir que tu te tournes vers la religion ».
Quartier de Banconi au nord-est de Bamako, un jour de pluie. Ce quartier à la périphérie de la capitale est devenu aujourd’hui le symbole de la puissance des associations religieuses. Cheikh Haïdara y a implanté, en quelques années, un centre de santé flambant neuf, une mosquée rutilante, une medersa et le centre international de son association Ansardine, qui compte des dizaines de milliers de fidèles dans toute la sous-région.
« Cheikh Haïdara est tout d’abord un tribun hors pair, explique Adam Thiam, il a su fédérer autour de lui des foules impressionnantes qui viennent de toute la sous-région ». Son cheval de bataille : l’injustice et la gabegie des gouvernants. Son public : avant tous les analphabètes, et les petites gens. « C’est le seul homme politique, si l’on peut dire, qui arrive à remplir un stade de 50 000 personnes » le jour de la fête du Maouloud, qui célèbre la naissance du prophète.
L’affaire du code de la famille. Mais le mouvement Ansardine n’est pas le seul mouvement religieux à recruter au Mali. La concurrence est grande. Le Haut conseil islamique, qui recrute chez les lettrés et les intellectuels, s’appuie sur l’école wahhabite : on y pratique un islam plus strict, fondé sur le Coran et la tradition arabe.
En 2009, c’est le Haut conseil islamique qui a conduit la contestation contre le code de la famille. La loi a été votée à une très grande majorité de députés mais le chef de l’Etat a dû reculer devant la mobilisation massive contre un texte qui, selon l’instance, ne respectait pas la tradition islamique.
Mahmoud Dicko est le président du Haut conseil depuis 2008. « C’est le politique qui est venu faire de l’ingérence dans ma famille. Les affaires de la société malienne relèvent de la religion. L’Etat, c’est nous : pourquoi nous n’aurions pas notre mot à dire dans des affaires politiques ? ».
Le ton est donné. Grâce à ses moyens financiers importants, son soutien international, le mouvement wahhabite compte bien faire entendre sa voix dans le débat public. Deux ans après cette mobilisation populaire (30 000 personnes dans les rues), le code de la famille n’a toujours pas été adopté.
Pour les associations de défense de la personne, l’affaire du code a confirmé la puissance d’un islam politique au Mali, dans un climat de suspicion et de crainte, selon Me Koné, ancien président de l’AMDH, l’Association malienne de défense des droits de l’Homme : « On a reçu des pressions. Personnellement, j’ai reçu des menaces de mort, sur les ondes, de la part d’extrémistes, pour avoir soutenu en son temps ce projet de code de la famille et pour avoir reproché aux députés leur manque de courage. Les hommes politiques sont prêts à tout pour se faire élire, y compris à suivre les religieux. Et c’est ça qui est grave ».
A quelques mois de l’élection présidentielle, prévue pour le printemps 2012, les associations religieuses ont donné le ton : « Nous ne présenterons pas de candidat, mais il faudra compter sur nous, et les candidats devront nous écouter ».
Le danger Aqmi
Certains observateurs maliens craignent le danger d’une radicalisation de la société malienne. Des jeunes, formés dans les pays du Golfe, sont recrutés pour faire de l’activisme sur le terrain politique. Ces associations jouent de plus en plus un rôle de contre-pouvoir, sur un terrain social, de la santé à l’éducation. D’autres cependant, croient en la « sagesse malienne », un esprit tolérant et ouvert qui est le meilleur rempart contre les intégrismes de tout poil.
Il y a cependant au Mali une autre source d’inquiétude : Aqmi. Ce groupe salafiste a signé une quarantaine d’enlèvements d’Occidentaux depuis 2003 dans la région. Il a implanté certaines de ses bases d’entraînement et de repli dans les zones désertiques du Nord-Mali.
Plus grave, Aqmi aujourd’hui cherche à s’infiltrer parmi les populations locales. Le phénomène est déjà ressenti au nord, dans la région de Kidal, de Gao, où les hommes d’Aqmi ont des bases familiales. Ils se sont mariés sur place, ont investi un terrain, là encore délaissé par l’Etat : ce sont eux qui aident les populations nomades à subsister dans un contexte de grande fragilité.
Progressivement et insidieusement, leur marque se fait sentir. Des témoignages anonymes (la crainte est palpable) indiquent un changement d’état d’esprit : à Gao, les symboles de la dynastie des Askias, les superstitions qui entourent le tombeau de leur roi sont battus en brèche par certains nouveaux prêcheurs, au nom d’Allah et du Coran. A Kidal, des « nouveaux barbus » retirent leurs filles de l’école laïque.
Le risque d’une pénétration de l’islamisme radical est pris très au sérieux par Assarid Ag Imbarkaouane député de Gao et 2e vice-président de l’Assemblée nationale malienne : « Si on ne fait pas attention, viendra le jour où, comme l’a dit un grand homme politique, le président de la République du Mali qui sera élu sera choisi par Aqmi. Et c’est pour cela qu’il faut que tout le monde soit concerné par la lutte contre Aqmi ».
Je trouve cet article de Christine Muratet d’une extrême actualité ; et ça en dit long sur la crise qui frappe aujourd’hui le Mali.
Cependant, gardons à l’esprit que nous sommes dans une République laïque dont le principe sacro-saint est la séparation des pouvoirs. Ainsi, il est attribué au religieux un pouvoir moral, c’est-à-dire d’éducation. Et en aucune manière, il ne doit s’interférer dans le sujet politique qui reste l’apanage des autorités de la République.
Et puis, le 22 mars est passé par là, et la jeune et exemplaire démocratie malienne s’en est vacillé à la faveur du coup de force perpétré par l’armée avec à sa tête le capitaine Amadou Haya Sanogo. Ce putsch militaire a enfoncé le pays dans une crise sans précédent lui faisant perdre plus de la moitié de son territoire, occupé aujourd’hui par des groupes islamistes armés.
Outre la crise au Nord, ce putsch a remis les religieux au-devant de la scène qui se sont vu courtiser par les putschistes. L’iman Dicko a fait des sorties fracassantes depuis ces événements en prenant des positions nettement politiques. A titre d’exemple, le meeting du 12 qui a fait maintenir le Premier ministre Cheick Modibo Diarra à son poste. Ou même la tentative de faire éjecter le nouveau directeur général de l’ORTM.
N’oublions pas « les printemps arabes » (…) qui ont certainement donné des idées aux religieux maliens. Car ils ont propulsé aux pouvoirs les partis islamistes, comme c’est le cas d’Ennadha en Tunisie, des Frères musulmans en Egypte, etc.
Pour en terminer avec cette réflexion, j’imagine que nos responsables religieux du HCI sont justes dans l’effet de mode. Et qu’ils n’iront pas plus loin que l’organisation de meeting à des fins strictement religieux. Je réitère l’appel que chacun doit être à sa place : l’imam Dicko à ses chapelets, le capitaine Sanogo dans ses bottes, Dioncounda Traoré et Diango Cissoko à leur paperasse.
A bon entendeur salut !
Michel Théra