Au Mali, la désinformation et les discours de haine prolifèrent dans les espaces numériques qui menacent gravement le tissu social. Qu’elles soient d’ordre politique, communautaire ou religieux, les fausses informations peuvent attiser les tensions, propager la peur, la psychose et affaiblir les efforts de paix dans les régions déjà fragilisées par les conflits. Ainsi, le phénomène, banalisé par l’usage massif des réseaux sociaux, exige des réponses fortes.
Le terreau numérique de la désinformation
Selon un rapport publié par DataReportal, le pays comptait en janvier 2024 près de 7,82 millions d’internautes, soit 33,1 % de la population, et 2,15 millions d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux. Ces chiffres révèlent un terrain fertile pour la circulation progressive des contenus non vérifiés.
Dans la même lancée, une autre étude du RJFC-Mali indique que 47 % des jeunes de 18 à 35 ans partagent des informations sans en vérifier la source, ce qui favorise la propagation des rumeurs. Les réseaux WhatsApp et Facebook restent les moyens les plus utilisés pour faire circuler ces textes, vidéos ou images manipulés, parfois avec des conséquences tragiques.
Pour Habibabou Saliou Dicko, chef de projet INUCOS de l’association Action pour la promotion des jeunes et Enfants communicateurs du Mali, le danger est omniprésent. « Ce projet est né d’un constat. Notamment la prolifération des campagnes de désinformation sur tout le territoire. Le District de Bamako et les régions de Gao et Bandiagara sont particulièrement sensibles » a-t-elle indiqué. Que Bamako, en tant que capitale est souvent ciblée. Mais quant aux localités de Gao et Bandiagara, elles sont les zones les plus vulnérables à l’instrumentalisation des tensions. « Même si ces régions sont prioritaires dans les actions, aucune partie du Mali n’est épargnée. Les réseaux sociaux touchent toutes les couches de la société, et une rumeur peut désormais parcourir le pays en quelques minutes » a-t-elle éclairé.
Des vies brisées par des mensonges numériques
« Mon petit-frère a été accusé à tort d’être un voleur à cause d’une photo sortie de son contexte sur Facebook. Il a été passé à tabac comme un animal » , témoigne Oumou Sylla, habitante de Kabala.
Amadou Abdoulaye Cissé, un commerçant narre son vécu : « Je me rappelle il y a quelques années, une fausse alerte d’attaque terroriste à Tenenkou dans la région de Mopti a créé une psychose dans un marché. Dans la panique, plusieurs femmes âgées ont été blessées ».
En clair, ces témoignages illustrent la portée dramatique de la désinformation sur le terrain. Chaque message, même anodin en apparence, peut déclencher des réactions en chaîne destructrices.
Les Cyber-gardiens maintiennent la sentinelle
Pour endiguer cette menace, l’ONG Search for Common Ground a initié le projet ‘’Tabalé Kounkan’’, formant ainsi de jeunes volontaires appelés cyber-gardiens. Ils ont comme mission de détecter, vérifier et désamorcer les contenus dangereux en ligne.
Selon Awa Doumbia, animatrice télé et cyber-gardienne, ils ont été formés à détecter les fakenews, à utiliser des outils de fact-checking, à collecter les informations fiables et à intervenir rapidement en ligne.
« Par exemple sur une rumeur propagée, affirmait récemment que l’artiste Feu Lord Makaveli avait renversé volontairement une personne étant en état d’ivresse. Nous avons vérifié les faits et découvert qu’il s’agissait d’un accident. Notre intervention a calmé la situation. Les cyber-gardiens sont aujourd’hui plus d’une centaine de jeunes actifs dans le pays. Leur impact est palpable dans plusieurs zones sensibles » s’est-elle réjouie.
Promouvoir la vérité, reconstruire la confiance
Les journalistes, enseignants, acteurs d’ONG et leaders religieux ont un rôle central à jouer. Selon Dr M.D, sociologue, les jeunes doivent être formés à lire, à comprendre et à questionner sur les informations. « L’esprit critique est une arme pour la paix» dit-il.
Des campagnes de sensibilisation, des émissions radiophoniques locales et des plateformes maliennes de vérification comme BenbereCheck, l’application WuYA, la voix de Mopti ou FasoCheck participent à cet effort collectif.
Mais le chantier est immense. L’accessibilité des outils numériques, combinée à un faible niveau d’éducation aux médias, rendent la lutte complexe. Il ne suffit pas de dénoncer la désinformation, il faut aussi offrir des alternatives crédibles et accessibles.
La vérité est un choix citoyen
Face à la montée des discours de haine et à l’impact de la désinformation sur la cohésion sociale, chaque citoyen a une part de responsabilité. Le simple fait de vérifier une information avant de la partager peut éviter un drame. La vérité devient un choix, un engagement et un acte de citoyenneté.
Dans un Mali en reconstruction, la cohésion passe aussi par une hygiène informationnelle. C’est ensemble, dans nos téléphones comme dans nos quartiers, que se construisent la paix et la résilience.
Aïssata Tindé (stagiaire)