Les partis politiques ont achevé leur cycle ; leur dissolution prochaine s’annonce, paradoxalement, comme leur acte final le plus éclatant, sans l’ombre d’un «printemps sahélien». Pour avoir abandonné l’un des leurs, même au cœur de la déroute, ils expient aujourd’hui le prix d’un accompagnement et d’un soutien contre nature que des démocrates dignes de ce nom auraient dû réserver à l’ordre militaire, quelle qu’en fût la nature.
Toutefois, du tréfonds de sa mémoire, le président IBK savait pertinemment qu’« en politique, il n’y a point de traîtres, seulement des perdants ». La classe politique malienne se retrouve aujourd’hui défaite sur toute la ligne. Pour s’être laissée manipuler par la «composante militaire» du changement et pour l’avoir aidée à se défaire de l’»aile politique» de la Refondation, aujourd’hui accablée de tous les péchés d’Israël, dont celui de la traîtrise, c’est en définitive le peuple malien qui apparaît comme le grand perdant de cette manœuvre politicienne.
Au terme de cinq années de collaboration ambiguë, les officiers qui ont pris le pouvoir à la suite d’IBK n’ont fait que mettre en pratique les leçons reçues. Le général Assimi et ses compagnons d’armes ont eu pour précepteurs l’ensemble de la classe politique, docilement alignée à la queue leu leu pour les soutenir, les accompagner, voire les guider, faute d’avoir réussi à les manipuler ou à les diviser. Le résultat est sans appel : c’est un retour de manivelle brutal.
Face à l’imminence de ce coup de massue, les lamentations qui s’élèvent de toutes parts sonnent creux, et les suppliques peinent à trouver écho auprès des forces vives revigorées par le lait maternel dont les politiciens ont été sevrés. La sagesse malinké nous enseigne : « Ni ye i ka Wulu farin faga, do were ta be i kin » (Si tu aides à tuer le chien de ton voisin, le sien finira par te mordre). Pour avoir secrètement contribué à affaiblir et à l’avoir livré au lynchage, quel que fussent les griefs à son encontre, le Premier ministre civil, la classe politique va devoir expier ses fautes jusqu’à la lie au terme de ces consultations avec les forces vives de la nation.
Dans une proportion écrasante, ceux qui furent enrôlés pour représenter les populations à la base sonnent logiquement le glas, annonçant l’oraison funèbre : il est impératif de dissoudre tous les partis. Pour quel motif ? «Ils ont trahi le Mali», en faisant table rase jusqu’à la stabilisation du pays. Comment ont-ils pu trahir le Mali en trente-deux années d’existence alors qu’ils n’ont jamais disposé des pleins pouvoirs pour gouverner ? Le citoyen lambda évoquera la corruption endémique des politiques et des élites, les échecs historiques en matière de gouvernance, notamment sécuritaire, et par conséquent, la nécessité de prioriser la sécurité. La sentence sera-t-elle prononcée lors de la phase nationale de la concertation des forces vives prévue les 28 et 29 avril à Bamako ?
Face à cette échéance imminente, la classe politique peine à manifester une réaction cohérente, comme si cette dissolution annoncée laissait entrevoir une nouvelle opportunité de repartir sur des bases saines, après les faux départs du multipartisme en 1992. Mais au-delà des raisons prosaïques avancées et des procès d’intention, la légitimité des formations politiques semble aujourd’hui profondément remise en cause par les Maliens, selon au moins trois axes majeurs : leur efficacité en matière de gouvernance, notamment dans la prise en compte des attentes et des aspirations des populations (un domaine où les politiques ont manifestement failli) ; le maigre financement public qui leur est alloué par l’État, qui s’est paradoxalement traduit par l’émergence d’une caste de prédateurs de deniers publics et de corrompus (avec des détournements massifs présumés) ; et enfin, la gestion hasardeuse, voire au jour le jour, des affaires courantes du pays, se réduisant souvent à un simple tape-à-l’œil sans réelle efficacité.
Et le péché suprême, la classe politique est accusée d’être la tête de pont, le pion de l’impérialisme. « Ils sont tous à la solde de la France. Vous avez vu l’autre là… » Ainsi, les voix qui s’élèvent contre l’aide financière accordée aux partis politiques via le budget trouvent un écho puissant dans un contexte de crise exacerbée. Dès lors, pour éviter la fragmentation politique et simplifier le paysage, il devient impératif de priver les partis de subventions et de réduire drastiquement leur nombre. Plus de petits partis cantonnés à un quartier ou à un village. Il est nécessaire d’avoir une représentation nationale digne de l’étendue de notre pays. Seuls survivront les plus aptes et ceux qui seront capables de s’autofinancer.
Qu’advient-il de la démocratie pluraliste que la Constitution érige en principe fondamental ? Au nom de son avènement, des martyrs du colonialisme, des pères de l’indépendance et d’innombrables Maliens ont versé leur sang sur le champ d’honneur. Quel vide abyssal la dissolution des partis politiques creuserait-elle au sein du bloc constitutionnel ? Car si « les organisations de la société civile exercent, dans le cadre de la démocratie participative, une mission de veille citoyenne dans les conditions déterminées par la Loi », elles ne sauraient, en aucun cas, constitutionnellement se substituer aux partis politiques dans l’expression du suffrage, ni même y concourir au même titre. Les partis politiques, conformément à l’article 39 de la Constitution, se forment et exercent librement leurs activités dans les limites fixées par la loi. Ils sont cependant tenus de respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie, de l’intégrité du territoire national, de l’unité nationale et de la laïcité de l’État. Aussi, bien qu’imparfaits, ils demeurent nécessaires et indispensables au fonctionnement d’une démocratie.
À celui qui n’affectionne point son chien, il est aisé de l’accuser de rage. Mais de là à envisager de traduire en justice les anciens dirigeants pour «trahison», comme à l’époque de Samuel Doe, les autorités militaires ne s’y sont point hasardées.
Lors des Assises nationales, en matière de mesures politiques et institutionnelles, les participants ont préconisé avec rigueur des orientations politiques qui, fort heureusement, s’éloignent du tumulte médiatique qui agite ces consultations. Il s’agit de la réduction du nombre de partis politiques par l’application de critères restrictifs de création et de financement ; de la relecture de la Charte des partis politiques, avec une réaffirmation du statut de Chef de file de l’Opposition ; et de la cessation du nomadisme politique en cours de mandat.
Dans l’attente du verdict final, voici un aperçu des propositions émanant des régions et de la Diaspora, recueillies sur les plateformes officielles des structures concernées.
PAR SIKOU BAH