HOMMAGE. Chanteur et virtuose de la kora, Mory Kanté, que l’on surnommait le « griot électrique », est décédé à 70 ans dans l’hôpital sino-guinéen de Conakry.
Année noire pour la musique africaine. Après Aurlus Mabélé et Manu Dibango, c’est au tour de Mory Kanté de tirer sa révérence à l’âge de 70 ans. L’information a été donnée par son fils Balla Kanté à un correspondant de l’AFP. Le triste événement est survenu à 9 h 45 ce 22 mai dans l’hôpital sino-guinéen de Conakry, où il avait été hospitalisé pour des maladies chroniques que la crise du Covid-19 ne lui a pas permis de soigner hors de Guinée en raison de la suspension des vols internationaux. « On a vu son état se dégrader rapidement », a indiqué son fils, qui s’est dit « surpris » car le musicien et chanteur « avait déjà traversé des moments bien pires ». « Il laisse un héritage immense pour la culture, trop vaste pour qu’on puisse tout citer », a ajouté Balla Kanté, qui a tenu à préciser que Mory Kanté « a beaucoup fait pour la culture dans son pays en construisant des studios, des structures culturelles ». « Mais surtout, a-t-il poursuivi, il a valorisé la musique guinéenne et africaine en la faisant connaître à travers le monde. » Réagissant à la disparition de l’illustre musicien, le président Alpha Condé a tweeté : « La culture africaine est en deuil. Merci l’artiste. Un parcours exceptionnel. Exemplaire. Une fierté. »
Un parcours d’exception
Membre à ses débuts du célèbre groupe musical Super Rail Band de Bamako, orchestre marquant de la musique ouest-africaine des années 1970 et qui a également révélé l’immense Salif Keïta, Mory Kanté était l’une des voix les plus emblématiques d’Afrique. Né dans une célèbre famille de griots, ces poètes, conteurs et musiciens dépositaires de la mémoire orale des familles en Afrique de l’Ouest, Mory Kanté a été l’un des pionniers de la musique mandingue. Après avoir quitté le Rail Band, il a révolutionné la musique ouest-africaine dans les années 1980 en électrifiant son instrument et en ouvrant les musiques traditionnelles mandingues villageoises aux beats électroniques et aux « grooves » plus urbains. Le concept de « World Music » était alors encore balbutiant, mais Mory Kanté y avait posé ses marques.
En effet, qui ne se souvient pas de l’immense tube qui a fait exploser les charts en 1988, « Yéké Yéké » ? Un mélange de kora et de rythmes qui a envoûté la planète entière. C’est en effet avec « Yéké Yéké » que ce maître de l’instrument traditionnel à cordes qu’est la kora, doté d’une puissante voix de tête, a accédé à la célébrité internationale en amenant la musique mandingue sur les pistes de danse. L’album Akwaba Beach, où figure cette chanson, fut l’une des plus grosses ventes mondiales des musiques d’Afrique noire.
Un recentrage sur l’acoustique dans les années 2000
Dans les années 2000, à la suite d’un certain désamour du public, Mory Kanté s’était un temps orienté vers une musique plus acoustique, au sein d’un orchestre où prédominaient les cordes. Au début des années 2010, dans La Guinéenne, son premier disque depuis huit ans, enregistré au pays, il avait choisi la formule du grand orchestre, celle de l’âge d’or de la musique ouest-africaine dans les années post-indépendances, avec une suite de mélodies mandingues entonnées sur des grooves occidentaux, aux accents funk, reggae, zouk. Ambassadeur de bonne volonté de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), il avait également chanté au profit de la lutte contre la fièvre Ebola, qui a durement frappé la Guinée entre 2013 et 2016.
Un lion qui ne se couche jamais
Personnalité de référence de la musique en Guinée, Mory Kanté a refusé de faire partie des légendes dépassées. Deux ans après son retour et l’album d’inspiration traditionnelle qu’est La Guinéenne, dans lequel il a chanté les femmes de son pays, Mory Kanté est revenu avec ce qu’il faut bien considérer comme sa marque de fabrique : une musique où se mêlent la danse, les choeurs et la foule. Derrière, très naturellement, la volonté de reconquérir un public international avec une forte sensibilité à la fois francophone et africaine. Pour ce faire, il s’est associé à DJ Milan qui, entre autres, a composé « Saga Africa » de Noah. Cela a donné un titre explosif.
La volonté de l’ancrer dans son époque avait été manifeste. Mory Kanté avait en effet demandé à l’écurie star des Dance Floors, le label hollandais Spinnin’ Records, dont les références sont Martin Garrix, Afrojack et bien d’autres, de lui concocter quelque chose de tonique. Le duo de DJ Magnificence s’en était chargé et le résultat avait vraiment valu le détour. Le titre du single qui en a été tiré était tout un programme : « I Wouli Ka Don Ke – Africa Can Break Down The Wall. » En français, « L’Afrique peut faire tomber le mur ». En ces temps de Covid-19 où les Africains sont convaincus qu’il faut changer de paradigme, ce titre sonne comme un message que le virtuose de la kora qu’était Mory Kanté a voulu laisser à la postérité. Message reçu.
Malick Diawara
Source : Le Point.fr