Au sein de chaque ministère de l’Administration publique malienne, la Direction des finances et du matériel (DFM) est dirigée par un directeur qui, sous l’autorité du ministre, est chargé de l’exécution et du suivi du budget de l’Etat en ce qui concerne le département dont il relève. Le ministre chargé des finances étant l’ordonnateur du budget d’Etat, chaque membre du gouvernement est un sous-ordonnateur du budget et doit, à ce titre, veiller à son exécution correcte. De plus en plus, les ministres, parfois par ignorance, et souvent par convenance, ne s’acquittent point de cette tâche et laissent la bride au cou des DFM qui agissent comme bon leur semble ! Ce qui ouvre la porte à toutes les dérives et toutes les perversions possibles !
Certains ministres vont jusqu’à dire que l’examen et le suivi de leur budget sont fastidieux et leur donnent la migraine ! D’autres affirment qu’ils ne comprennent rien aux chiffres et à la comptabilité. Il y a une troisième catégorie de ministres qui vantent le mérite et l’expertise de leurs DFM, qui « savent tout faire et leur donnent entière satisfaction » ! Ainsi, l’autorité ministérielle de tutelle, de fait, cesse d’être exercée. Voilà donc un service qui manipule des sommes importantes, négocie des contrats sans le moindre contrôle. La tentation est humaine autant que sont les besoins pécuniaires dans une société de consommation, où rien n’est trop petit ou trop grand pour être possédé et être exhibé.
La conjonction de ces éléments, ajoutés à l’ambiance d’impunité, aboutit à la mise en place d’un « réseau professionnel » de corruption. Lequel réseau se doit d’être le plus professionnel possible, comme tout réseau de malfaiteurs car, il faut quand même échapper à quelques « gendarmes financiers », notamment le Bureau du vérificateur général (BVG), le Contrôle général des services publics (CGSP), la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (CASCA), qui viendraient se promener en ces lieux.
La transformation de la DFM d’un ministère en nœud gordien de la corruption est une conséquence directe du défaut de l’exercice du contrôle de tutelle. Ce défaut a pour cause: l’incompétence ou le manque d’information du ministre relativement aux règles de fonctionnement de la haute administration. Cependant, un ministre peut bien être préparé à fermer les yeux, formé à cela par son parti politique et avant sa nomination. Car, ne l’oublions pas, dans « l’ère démocratique », le parti politique est devenu le principal point de départ et d’aboutissement de la corruption institutionnelle. C’est lui qui transmet les CV de ses postulants aux postes de ministres, aux fins de leur nomination. Le verrou ministériel n’existant pas, les DFM se sont mises à fonctionner comme des centrales d’associations de malfaiteurs, opérant sous la protection du ministre, de son parti politique et des autres compagnons de route de cet attelage, que sont des multiples bénéficiaires: des opérateurs économiques véreux, des magistrats apostats, des avocats filandreux, entre autres. Une solution efficace pour lutter contre le cancer de ces nœuds gordiens de la corruption est de revitaliser l’Inspection des finances.
En effet, l’Inspection est l’un des services centraux du ministère des Finances, chargé du contrôle externe de tous les services financiers de l’Etat, notamment les services de l’assiette de l’Etat et les caisses. Elle agit sur réquisition de monsieur le ministre des Finances et mène ses missions de contrôle tant à l’intérieur du territoire national qu’à l’extérieur (services comptables des Ambassades).Présentement, elle fonctionne comme un « garage », où atterrissent tous les hauts cadres du département des Finances, dont on ne sait plus que faire : anciens ministres, anciens PDG, anciens PCA, anciens DG, anciens DGA, anciens DAF ou tout autre haut fonctionnaire ayant été relevé. Il s’agit, la plupart du temps, de cadres chevronnés, connaissant parfaitement les procédures administratives, comptables et financières de l’Etat, qui ont perdu leurs postes du fait des remaniements ministériels, sans que l’on ne leur fasse de reproches précis.
Sans parler de « parachutes dorés », ces anciens cadres qui capitalisent une expertise certaine perçoivent, en plus de leurs salaires, une prime à ne rien faire ! Les plus « chanceux » d’entre eux reçoivent, épisodiquement dans l’année, quelques ordres de missions pour effectuer le travail de contrôle qui est leur raison d’être. Les autres empochent salaires et primes et vaquent à leurs affaires ! Certains d’entre eux peuvent faire une année entière sans écrire une seule ligne pour l’Etat ! Point n’est besoin de dire quel gâchis cela représente pour l’Etat, en termes de ressources humaines et financières. Il faut reformer et redynamiser l’Inspection des Finances, en redéfinissant ses missions et en lui confiant de nouvelles missions (appuis et conseils aux ministres, régularité et renforcement du contrôle externe des départements ministériels).Revoir le mode de recrutement des inspecteurs, en le rendant plus sélectif et plus rigoureux.
Mettre un accent particulier sur le suivi des départements ministériels, en plus des missions traditionnelles de l’Inspection. Il faut commettre un Inspecteur pour chaque département ministériel et engager sa responsabilité quant à la gestion administrative, comptable et financière dudit département. Cet Inspecteur sera chargé de donner un avis sur chaque dépense dont le ministre douterait de la légalité. Cet Inspecteur recevra chaque vendredi tous les documents administratifs et comptables de la DFM, notamment les appels à concurrence, qu’ils soient restreints ou pas. Il devra les examiner durant le week-end et donner un avis, chaque lundi, en remettant un rapport à l’Inspecteur en chef de l’Inspection des Finances. En cas de faute de gestion, il convoque le DFM et lui notifie les corrections à y apporter.
En cas de faute grave, l’Inspection des Finances saisit le Contrôle général d’Etat pour un contrôle plus approfondi. Ce dernier saisit la justice s’il y a lieu. Une étude plus approfondie devra permettre de donner un contenu plus consistant à la réforme de l’Inspection des Finances. Une DFM mieux encadrée, au quotidien, par un ministre et de façon hebdomadaire, par un Inspecteur des Finances, peut être un début de réponse à la corruption exponentielle dont les DFM sont le centre nerveux. Le ministre doit jouer son rôle et peut compter, à tout moment, sur l’avis d’un Inspecteur pour pallier ses propres carences.
Sambou Sissoko
Le Démocrate