Comment trois Coordinateurs de projets, des Directeurs d’EPA et certains fournisseurs ont tenté de détourner les deniers publics La dette intérieure du pays cause de plus en plus de multiples incompréhensions entre l’Etat et certains fournisseurs.
En effet, sur la base de faux et usage de faux, ces derniers, en complicité avec des agents de l’Etat, notamment des Coordinateurs de projets et Directeurs d’EPA, ont tenté d’accroitre la dette publique de l’Etat. Ils ont été tous démasqués. Malgré tout, les commerçants concernés continuent de réclamer au ministère des Finances des sommes faramineuses, auxquelles ils n’ont guère droit. Sur les 80,1 milliards de nos francs réclamés, 533 millions seulement sont validés. Le reste est considéré comme du faux et usage de faux. Suivez notre enquête.
En effet, avec l’élection d’IBK en juillet 2013, le gouvernement d’Oumar Tatam Ly, à travers la très dynamique et non moins compétente ministre de l’Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, a commandité en octobre 2013 un audit.
C’était pour faire un inventaire exhaustif des arriérés de paiement de la dette intérieure, en vue de leur apurement. Cet audit s’inscrivait dans le cadre de la relance de l’activité économique, après la crise sociopolitique et sécuritaire de 2012 qu’à connue notre pays. Le contrôle a donc permis d’identifier des arriérés de paiement sur la période 1995 – 2012. Au nom de la continuité de l’Etat, et surtout de la bonne gouvernance, Mme Bouaré entendait assainir les finances publiques. Ainsi, lesdits arriérés ont concerné: les dettes fournisseurs; les crédits de TVA; les loyers; les indemnités d’expropriation; les dettes bancaires; les comptes publics à solde débiteur; les droits indûment perçus et les exonérations. Suite à une consultation restreinte, le Cabinet C2G/Conseil EGCC International, représenté par Monsieur Serge Lepoultier, fut retenu pour mener l’audit de la dette intérieure.
Les deux premières phases de paiement de la dette intérieure se sont déroulées entre 2013 et 2015. C’est dire que Mamadou Diarra, alias Igor, ancien ministre des Finances, a également connu ce dossier. Il a pleinement joué sa partition, en apurent une bonne partie de cette dette. Avec l’arrivée de Boubou Cissé, en 2016, la troisième phase commença. C’est durant cette période que les plus grands dérapages ont eu lieu, selon plusieurs techniciens de la Direction Nationale du Budget.
En effet, à en croire ces derniers, les fournisseurs, pour voler l’Etat, déposaient directement leurs dossiers chez le Consultant, sans un pointage contradictoire avec les DFM ou gestionnaires concernés afin de s’assurer de la réalité des services faits et de l’authenticité des pièces justificatives. Cette pratique, nous a-t-on dit, a été la porte ouverte à tous les faux dossiers. Du jour au lendemain, c’est plus de quatre vingt milliards cent trente sept millions deux cent vingt deux mille cinq cent trois FCFA (80 137 222 503) de dettes intérieures qui ont atterri directement chez le consultant.
Ce montant additionnel de 80 137 222 503 est composé de dettes fournisseurs (49 217 689 528) et décisions de justice (30 919 532 975). Le dernier magot concerne une seule grosse de justice, qui condamne l’Etat à payer à une société de la place ce joli pactole.
Les 49,2 milliards de dettes fournisseurs comprennent des dettes au titre de 3 projets seulement, Projet OPIB: 18 milliards; Projet PADEPA: 9 milliards; Projet PADC: 7 milliards. S’y ajoutent 15,2 milliards de nos francs pour des Etablissements Publics à caractère administratif et financier (EPA).
Surpris par les chiffres communiqués par le Consultant Lepoultier, le ministre Boubou Cissé a créé au sein de son cabinet une Commission restreinte de validation de la dette intérieure. Elle était chargée de vérifier toutes les situations communiquées par le Consultant. Présidée par un de ses hommes de confiance, Boubacar Ben Bouillé Haidara, à l’époque Conseiller Technique et aujourd’hui Directeur Général des Marchés Publics et des Délégations de Services Publics, cette Commission restreinte comprenait un représentant du Trésor Public, un représentant des Marchés Publics, un représentant de la Direction Générale du Budget et un représentant du Contrôle Financier.
Sa mission était de vérifier dossier après dossier l’exactitude du paiement des 80,1 milliards communiqués par le Consultant. A l’issue de leurs vérifications, seulement des dossiers pour un montant de 533 millions ont été validés et payés, sur les 80,1 milliards supposés être la dette intérieure du pays, troisième phase. La liste des bénéficiaires est disponible et accessible au public, nous a-t-on assuré à la Direction Générale du Budget. Contrairement à certaines allégations, aucun proche n’a été privilégié. C’est un travail technique, professionnel, reposant sur des preuves.
A part ce paiement de 533 millions, toutes les autres dettes intérieures ont été rejetées par la Commission restreinte. Les raisons avancées sont multiples et variées. D’abord, le périmètre de la dette a été élargi à tort aux Projets et aux EPA, qui bénéficient déjà de l’autonomie de gestion et de subventions de l’Etat. Le budget de ces Projets et des EPA est d’ailleurs approuvé en équilibre en recettes et en dépenses. Alors, comment se sont-ils retrouvés avec des arriérés de plus de 34 milliards? Détournement de deniers publics ou abus de biens sociaux?
Ensuite, la Commission a relevé l’absence de marchés ou de contrats simplifiés pour la totalité des 34 milliards de dettes intérieures des projets et des EPA. Puis il y a une absence totale de PV de réception pour la totalité des 34 milliards des dettes relatives aux projets et aux EPA incriminés. Rien que des simples attestations de services faits, ce qui jure avec la réglementation et prouve une certaine collusion entre les responsables financiers et certains fournisseurs véreux.
Ce n’est pas tout. S’y ajoute le double paiement, car certaines dettes intérieures étaient déjà payées par le Trésor Public. Les intéressés ont remis ça. Heureusement que la Commission dirigée par Ben Bouillé Haïdara a été très vigilante. Plus grave, certains fournisseurs, selon le constat fait par la même Commission, ont falsifié des pièces justificatives, imité des signatures et fabriqué de faux cachets. C’est vraiment du faux et usage de faux.
Certains opérateurs économiques véreux et malhonnêtes ont profité du paiement par l’Etat de la dette intérieure pour se livrer à une véritable opération de vol et de détournement de fonds publics, pour un montant de plus de 80 milliards de nos francs. N’eut été la vigilance du Ministre Boubou Cissé et de son Comité Restreint, l’Etat allait être dépouillé de ses maigres ressources par des malfaiteurs sans foi ni loi.
Comment comprendre qu’un fournisseur puisse livrer des centaines de millions, voire un milliard de FCFA, de fournitures de biens ou de réalisations sans avoir un signé marché ou un simple contrat simplifié? Comment comprendre que des fournisseurs puissent réclamer à l’Etat 34 milliards uniquement sur la base des fausses factures et sans PV de réception? Pourquoi ce sont seulement trois projets (OPIB, PADEPA, PACD) qui sont concernés par la dette intérieure, parmi les milliers de projets que compte le pays?
Comment les Coordinateurs malhonnêtes de ces 3 projets et les Directeurs des EPA concernés ont eu le courage et le culot d’envoyer ces fausses factures sans marchés au Ministère des Finances pour être payés, sans en informer leur département de tutelle? En réalité, c’est un réseau mafieux qui était mis en place, que l’équipe de Boubou Cissé a démantelé, évitant ainsi une hémorragie de plus de 120 milliards de nos francs, car, à ces 80 milliards de la troisième phase, il faut ajouter les reliquats de la première et deuxième phase, estimés à plus de 40 milliards de nos francs.
Il s’agit, selon nos informations, d’un réseau bien huilé, qui opère de la manière suivante: l’opérateur économique X va s’endetter, par exemple au niveau d’une banque, pour 100 millions. Il remet ce trésor au Coordinateur du projet, qui établit de fausses factures et de fausses attestations de service faits en son nom et l’inscrit dans sa liste pour une dette intérieure pour 500 millions, cela avec le manque de rigueur, semble-t-il, du Consultant Lepoultier.
Allez savoir pourquoi? Sinon, comment expliquer la légèreté déconcertante avec laquelle les dossiers ont été traités par ce consultant? Cette Commission aurait pu faire le travail, en lieu et place de ce dernier, qui, manifestement, n’a pas fait le boulot pour lequel il a été payé. Tout sauf du professionnalisme.
«Encore une fois, s’ils sont sincères, il est demandé aux fournisseurs concernés de produire au Ministre de l’Economie et des Finances un seul de leur marché en bonne et due forme non payé par l’Etat», nous a expliqué un haut responsable de la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique. A ce jour, nous a-t-on expliqué, l’Etat a payé ses dettes. Il n’est donc pas étonnant que le ministre Boubou Cissé tape du poing sur la table, en rejetant en bloc tous les arriérés intérieurs des projets et des EPA et en demandant au Consultant controversé de les retourner aux projets et EPA concernés, car «l’Etat n’a pas à payer ce qu’il ne doit pas».
Enfin, il nous est revenu que le ministre Boubou Cissé s’apprêterait à traduire devant la justice les trois Coordinateurs de projets, certains Directeurs d’EPA et tous leurs complices, fournisseurs et fonctionnaires, pour faux et usage de faux et tentative de détournement de deniers publics, dans un contexte de pays en guerre. Vivement que ce dossier ne soit pas étouffé. Les faits sont suffisamment graves pour qu’un ministre aussi sérieux que Boubou Cissé puisse laisser cette affaire dans les tiroirs, comme beaucoup l’ont fait à l’Hôtel des Finances et dans la plupart des départements ministériels.
Pour la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, voilà du pain béni! Quel usage va-t-on en faire? En tout cas, Boubou Cissé a joué sa partition. Droit dans ses bottes, il doit continuer ainsi, pour préserver les maigres ressources de l’Etat. Son bras de fer avec la multinationale Randgold Resources est une autre illustration de son efficacité et de la préservation des deniers publics.
Sans oublier la surfacturation des achats des véhicules de l’Etat, qu’il a démantelée en proposant une centrale d’achat au niveau de son département, afin de pouvoir réaliser des économies pour le Trésor Public.
Si tous les ministres se comportaient comme Boubou Cissé, le Mali serait peut-être, comme le Sénégal, sur la voie de l’émergence. Mais ça ne saurait tarder. L’espoir est permis avec la jeunesse, avec Boubou Cissé. A suivre.
Chahana Takiou
Source: 22 Septembre