Ce dimanche, le deuxième tour des élections législatives doit sceller le retour à l’ordre constitutionnel. Mais sur le terrain, rien n’est réglé pour autant.
La parenthèse d’un an et demi de crise se referme. Le second tour des élections législatives, dernier épisode du retour à l’ordre constitutionnel après le scrutin présidentiel remporté en août par Ibrahim Boubacar Keita (dit IBK) et le premier tour législatif du 24 novembre, scelle ce dimanche 15 décembre la remise sur pieds du Mali. Pour François Hollande, c’est une bonne nouvelle au moment où il vient de lancer, en Centrafrique, la seconde opération militaire de son mandat. Le coup d’Etat de mars 2012 qui a fait s’écrouler comme un château de cartes une démocratie malienne déjà branlante, la rébellion touarègue qui a conquis les principales villes du Nord du pays, l’occupation de la moitié du territoire par des groupes armés islamistes… Tout cela appartient désormais au passé. Seule la menace terroriste justifie que la France conserve encore des troupes dans le désert malien. Du moins, c’est ce que la France croit – ou fait mine de croire.
Le retour des vieux démons
Pourtant, les faits lui donnent tort. Le processus électoral mené au pas de course semble n’avoir rien résolu sur le fond. Les attentats suicides répétés et l’assassinat de deux journalistes de RFI début novembre témoignent de la détermination des terroristes islamistes à ne pas lâcher ce qui fut leur sanctuaire pendant dix ans. La faible participation au premier tour des législatives, la réélection de notables corrompus et les alliances politiques opportunistes rappellent le temps où le pays était une démocratie de façade. Et l’absence de règlement à Kidal, cette région du Nord toujours aux mains des rebelles touaregs, menace de faire replonger le pays dans la guerre. Au point que le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon s’en est lui-même inquiété jeudi, déplorant notamment que “le processus politique entre le gouvernement et les groupes armés connaisse des retards”. C’est un euphémisme.
Dialogue au point mort
Entre Bamako et les rebelles touaregs, le dialogue, avant même d’avoir réellement commencé, est déjà rompu. Depuis qu’une manifestation le 28 novembre à Kidal contre la venue du Premier ministre malien a été réprimée violemment par l’armée malienne, faisant un mort et cinq blessés selon les rebelles, les discussions ne sont plus d’actualité. Plus le temps passe, plus les adversaires se radicalisent. Pressés par leur base, les indépendantistes touaregs du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) menacent désormais officiellement de reprendre la guerre. Poussé par une population viscéralement anti-MNLA, le président malien s’énerve ouvertement de ne pas pouvoir “rétablir l’autorité de l’Etat à Kidal”. Dans ce contexte, la dernière réunion du Comité de suivi, mis en place après l’accord provisoire signé le 18 juin entre les deux belligérants pour permettre l’élection présidentielle et jusqu’à présent leur seul point de contact officiel, n’a pas eu lieu.
La France sur le banc des accusés
S’il est un point, en revanche, sur lequel ils s’accordent, c’est pour accuser la communauté internationale, France en tête. “La communauté internationale nous tord le bras depuis le début pour que l’on fasse des concessions”, regrette Moussa ag Acharatouman, un membre de la direction du MNLA, qui reproche à la France d’avoir pris parti pour Bamako. Et de lister : “On a renoncé à l’indépendance pour ne demander qu’une autonomie, on a accepté que l’élection présidentielle se tienne, on a rétrocédé les locaux du gouvernorat et de la radio de Kidal… On n’a rien eu en échange.”
Ibrahim Boubacar Keita n’est pas plus tendre avec Paris, auquel il reproche, à l’inverse, de protéger les rebelles. “L’Etat malien est contraint de négocier avec un groupe armé qui s’en vante, dans quelle comedia dell’arte sommes-nous ?”, s’insurgeait le président malien dans une interview au Monde la semaine dernière. Accusant les troupes françaises de l’opération Serval d’avoir “empêché le Mali de rétablir l’autorité de l’Etat à Kidal”, il concluait : “J’assiste avec beaucoup de dépit à un reflux de l’enthousiasme envers la France dans la population malienne”.
Dénégations à Paris
A Paris, on botte en touche. “Maintenant c’est aux Maliens et singulièrement au président IBK d’agir. La France n’a pas à se mêler de cela”, a riposté le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Le risque de retomber dans un conflit ? “Ça va se stabiliser petit à petit”, promet un diplomate. La colère qui gronde à Bamako où des manifestants ont scandé “A bas la France” le 27 novembre ? “Quelle manifestation ?”, rétorque-t-il. Officiellement, on ne s’occupe plus que de terrorisme. “La menace terroriste n’est pas écartée. Il y aura d’autres opérations de ratissage”, prévient ce responsable politique, comme celle que les troupes françaises conduisent depuis quelques jours dans la région de Tombouctou. Et l’on compte ne plus avoir que 1.000 hommes sur place au lieu des 2.800 actuels “en février, quand les renforts prévus pour l’opération de stabilisation de l’Onu, la Minusma, seront arrivés.”
Pourtant, en coulisse, la France s’inquiète. “Le Quai d’Orsay continue de nous demander de négocier tout en étant agacé par l’attitude de Bamako”, confie Moussa ag Acharatouman. “Les Français et la communauté internationale savent qu’ils sont en train d’échouer mais ils ne veulent pas le dire”, constate le Touareg. “La France se rend compte qu’elle ne peut compter sur la Minusma, qui ne sert à rien, et qu’elle ne pourra imposer ni la décentralisation aux Touaregs ni le fédéralisme à IBK”. Or, il en est sûr : “Sans accord politique, il n’y aura pas de sécurité. Pour nous, le Mali est plus dangereux que les terroristes d’Aqmi”. Paris aura été averti.
Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur
Source: Le Nouvel Observateur