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Décryptage : Justice !

“Justice”, c’est le maître mot ce matin pour mieux saisir les rapports à la justice des régimes.

Une pierre d’angle

Evidemment, les philosophes athéniens ont assez traité la notion de justice, entendue comme étant notre conscience au sens le plus élevé pour apprécier les abus des plus forts sur les plus faibles : abus d’autorité et de pouvoir, abus sociaux, physiques, économiques, financiers, etc. Elle est le principe par lequel l’on reconnaît ce qui est juste et conforme au droit.

Kiri en bambara ou Alhukum en songhay, la justice permet de maintenir l’équilibre dans une société lorsqu’elle est rendue de manière impartiale. Comme une pierre d’angle, elle permet de cheminer vers l’union et la cohésion entre les citoyens lorsque les règles de droit sont respectées dans leur application.

Toute décision de justice intéressée suscitera une crise. Sans illusion, elle est le glaive, cet instrument qui aide à la construction d’une vérité agissante. Sans aveuglement vaniteux, elle est l’équilibre des plateaux d’une balance, cet outil qui sert à l’évaluation des faits et des actes du justiciable. Enfin, symbole par excellence de la réalisation d’une société probe et transparente, la justice se construit contre l’injustice, contre le totalitarisme, contre la domination, contre l’impunité, etc. Dans la transparence, elle se rend sans écraser le droit de la personne.

 

Un idéal à atteindre

Au Mali comme ailleurs dans le Sahel, le désir de justice demeure un idéal à atteindre. Le régime du 1er président du Mali indépendant, Modibo Kéita, s’est fragilisé faute de justice. Le 30 juin 1964, Hammadoun Dicko et Fily Dabo Sissoko du Parti progressiste soudanais (PSP) meurent en détention à cause de leur opposition à la création du franc malien. La mort de Sissoko et de Dicko menace l’harmonie du régime de Kéita.

Une partie des Maliens reproche à ce dernier son exercice abusif du pouvoir. En fin de compte, il a été emporté par le putsch militaire de Moussa Traoré en 1968. Mais très rapidement, le régime de Traoré est rattrapé par les abus d’autorité. Le 5 janvier 1980, il dissout l’Union des élèves et étudiants du Mali, UNEEM. Ce n’est pas tout. Le 17 mars 1980, Abdoul Karim Camara alias Cabral, secrétaire général de l’UNEEM, meurt en détention.

En mars 1991 la répression sanglante du Mouvement démocratique et la rébellion des Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (Mfua) du 29 juin 1990 minent le régime de Traoré. Le pouvoir de Traoré s’atrophie faute d’égalité des droits. Enfin, le 26 mars 1991, il est anéanti par le putsch militaire d’Amadou Toumani Touré dit ATT. Aucun régime n’est éternel. On ne fait que passer.

 

La mastaba de l’État

Comme leurs prédécesseurs, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) n’ont pas échappé à la tempête des coups d’État, signes de l’impunité rampante. Le 24 janvier 2012 à Aguelhok, plus de quatre-vingt soldats maliens sont assassinés par le MNLA et Aqmi. L’acte reste toujours impuni. Résultat, le régime d’ATT est balayé par le putsch militaire du capitaine Amadou Haya Sanogo du 22 mars 2012. Les années passent. Mais la situation se dégrade.

Sous le règne d’IBK, le 23 mars 2019 à Ogossagou, plus de cent cinquante civils ont été tués par un groupe d’autodéfense. La suite, on la connaît. Le 18 août 2020, le putsch militaire d’Assimi Goïta met fin au régime d’IBK, déjà affaibli par le contentieux électoral des législatives, l’article 39 et les manifestations du M5-RFP. Le sentiment de mépris des rescapés des massacres civils et militaires sont les visages de la quasi-absence de justice, voire d’injustice. Elle pourrait s’avérer être une bombe à retardement pour les régimes. Pourtant, nous le savons tous, la justice demeure la mastaba d’une société.

Pour conclure, l’accès à l’eau, à la santé, à l’emploi, à la justice, au logement et à l’éducation reste encore injustement réparti pour une bonne partie des Maliens. Et pas seulement dans les territoires en tension sécuritaire. Il suffit d’ouvrir les yeux un instant pour prendre conscience du quotidien indescriptible de Bamakois qui vivent des restes alimentaires récupérés dans la montagne de déchets sur la colline de Badalabougou.

Or, la justice doit border la vie des sociétés dans un ordre égalitaire pour assurer l’équilibre social. Aussi bien la mort en détention de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga que les récentes arrestations antagonisent le rapport des citoyens à la justice. Parler de justice, c’est aussi nommer ce par quoi se traduit le manque de justice. L’érection d’un modèle de justice exemplaire pour agir sur les abus est essentiel.

Mohamed Amara

Sociologue

Mali Tribune
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