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De l’assassinat de Thomas Sankara à l’exécution sommaire de J-B Lengani et Henri Zongo, une histoire tragique des « têtes brûlées » du Burkina Faso

Au début de l’aventure du quatuor baptisé plus tard “les têtes brûlées”, était l’amitié entre Thomas SANKARA et Blaise Comparé. Thomas et Blaise se rencontrent vraisemblablement en 1973, où rentré d’Antsirabé (Madagascar), l’officier Sankara est affecté à la formation d’un contingent de jeunes recrues à Bobodioulasso. Mais c’est sur la ligne de front qu’ils entament leur amitié fusionnelle, lors de la « première guerre des pauvres », entre le Mali de Moussa Traoré et la Haute Volta de Sangoulé Lamizana, durant laquelle Sankara se couvre de gloire. Ils deviennent inséparables. En 1976, lorsque Sankara est nommé commandant du centre national d’entrainement militaire de Pô, Compaoré sert à ses cotés, d’abord comme instructeur, puis comme adjoint. Le 25 novembre 1980, après une grève des syndicats enseignants, Lamizana est déposé par le colonel Saye Zerbo. Le même jour du coup de force, clandestinement, au domicile de Blaise Compaoré, un noyau d’officiers progressistes se réunit pour analyser la situation. Ils déterminent  une attitude de réserve  vis-à-vis des nouveaux dirigeants. C’est à ce moment que les deux autres membres, Jean-Baptiste Lengani et Henri Zongo se greffent (vraisemblablement) aux deux premières « têtes brûlées ». Ils auraient été présentés à Sankara par Compaoré qui a fait la connaissance de Jean-Baptiste Lengani lors d’un passage au prytanée militaire de Kadiogo (PMK). En effet, incorporé de force en 1971 dans l’armée à la suite d’une grève scolaire, Blaise se lie à ce jeune instructeur qui est alors pour l’élève en penitence une sorte de « grand frère protecteur ».

Le nouvel homme fort met en place le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN). Pour s’attacher la sympathie populaire, Saye Zerbo décide d’intégrer dans son gouvernement Thomas Sankara, le “héros d’Agacher” comme  secrétaire d’Etat à l’information, égérie du gouvernement militaire. Proposition rejetée par ce dernier. Toutefois, sur intervention d’un membre de la junte, ami de Sankara, le colonel Félix Tiemtarboum, il accepte d’occuper provisoirement le poste, le temps pour le CMPRN de se trouver un titulaire. Durant cette période, Sankara manœuvre pour faire nommer les trois autres membres du quatuor à différents postes de commandement.

Sankara, le secrétaire d’Etat “en attendant”, attendra en vain son successeur.

La seule chose qu’il verra prendre place, c’est la corruption progressive du régime et les manœuvres de Saye Zerbo pour se prémunir contre la fronde, en supprimant les syndicats réputés tombeurs de régimes. Alors de guerre lasse, le 12 avril 1982 il démissionne du gouvernement avec éclat pour se démarquer du régime Zerbo, dans lequel il dit s’être engagé à son corps défendant. A sa suite, les trois autres membres du quatuor démissionnent.  C’est à compter de cet incident que pour la première fois, les officiers leur attribuent l’appellation : « les têtes brûlées », sûrement pour fustiger leur intrangiveance sur les principes. En représailles, Sankara est arrêté, dégalonné et interné au camp militaire de Dédougou ; Compaoré et Zongo sont aussi arrêtés et enfermés dans les camps de Farah et Ouahigouya le 14 mai 1982.

Tout le long de son histoire, le plus grand des quatre, Thomas, a porté ces valeurs d’intégrité. Lorsqu’il est nommé  secrétaire d’Etat en 1980, il maintient sa résidence à Samadin dans un quartier populaire de Ouaga et vient au conseil de gouvernement tantôt sur son vélo de course, tantôt dans la jeep militaire qu’il a choisi comme véhicule de fonction. Il ne s’arrêtera pas là. Lorsqu’à la suite du changement de régime, il est libéré et nommé premier ministre en novembre 1982 aux cotés de Jean-Baptiste Ouedraogo, il réaffirme sa fidélité à ces valeurs. D’ailleurs, au retour d’une visite d’Etat en Lybie, où le gouvernement hôte avait pris entièrement en charge son séjour, Thomas Sankara ne manque pas de reverser dans les caisses de l’Etat les frais de mission non utilisés parce que, comme le confient ses collaborateurs, il estimait normal de rendre l’argent de l’Etat dont il n’avait pas eu besoin.

Justement, cette visite à Kaddhafi « la bête noire » des réseaux françafricains va coûter chère au quatuor.

Alarmé par le risque d’expansion des réseaux d’influence du colonel libyen, Guy Penne, le conseiller Afrique de Mitterrand, fait pression pour “tuer le cancer Sankara” dans l’œuf. Le chef de la junte, le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, une sorte de “roi-mou” à la Kasavugu accède à la demande et limoge, sans crier gare, Sankara, son indélicat premier ministre. Il est aussitôt mis à nouveau aux arrêts, en même temps que Jean-Baptiste Lingani. En représailles, Henri Zongo se rebelle et se retranche avec ses soldats dans le camp Guillaume, le plus important de Ouagadougou. Comme revendication, il exige la libération de ses deux amis. Mais très vite son retranchement est encerclé par les blindés de l’armée voltaïque.  Lorsque la nouvelle lui parvient, Sankara demande qu’on le mette en contact téléphonique avec Henri Zongo car il savait que ce dernier, peu bavard mais particulièrement têtu, irait jusqu’au bout pour ses amis.  Il finit par rendre les armes, sur intervention de Sankara. Aussi, est-il, à son tour, arrêté et enfermé. Mais l’une des « têtes brûlées » manquait à l’appel : Le capitaine Blaise Compaoré. Et c’est de lui que vient la solution. Depuis sa base de Pô, le 4 août, le capitaine  Blaise Compaoré  et ses commandos d’élite prennent d’assaut la capitale et déposent le régime de Jean Baptiste Ouedraogo, au bout de 30 minutes de combat. L’assaut donné simultanément sur plusieurs fronts à 21h30 prend fin aux environs de 22h.

Une fois au pouvoir, le leader des « têtes brûlées » garde cette philosophie de convertir les frais que coûtait le confort du politique en ressources budgétaires pour amoindrir la misère de son pays, en proie aux sécheresses, aux menaces de famine et sous le coup des sanctions internationales privatives. Il met au garage les limousines de fonction de la présidence, dont il estimait les frais d’entretien trop coûteuses. Son nouveau cortège se compose d’une Peugeot 205 noire où il s’asseyait toujours à l’avant à coté du conducteur, à l’arrière se trouvait son “ange-gardien”, le très zélé Vincent Sigué Askia ; et d’une Renault 5 noire occupée par ses autres gardes du corps. Il était l’un des rares chefs d’Etat africains, si ce n’est le seul, à n’avoir d’avion présidentiel. D’ailleurs, il aimait à en rigoler lors de ses discours à la tribune de l’OUA, parlant avec autodérision de l’auto-stop en avion qu’il devait faire, à l’aller et au retour, pour être à chaque sommet. Quelques homologues bienveillants acceptaient de faire un détour par Ouaga pour prendre ou déposer Sankara et sa délégation.

Plusieurs personnalités burkinabé, vivant de privilèges et jugées intouchables font les frais des mesures de moralisation de la société burkinabé  dont le Morho Naaba (chef suprême des Mossis). La fourniture en électricité de sa résidence privée est interrompue pour non-paiement de factures observé sur une longue période. Mais très vite, le pouvoir et surtout la gestion qu’en fait Sankara déteint sur la cohésion interne des « têtes brûlées ».

Ce train de vie ne convenait pas tout à fait à ses trois autres compagnons d’aventure qui, derrière leurs airs de révolutionnaires marxistes, entendaient jouir pleinement du pouvoir d’Etat. Le leur imposer finit par faire apparaître une fissure et la discorde en leur sein. Ce que ne manqueront pas d’exploiter à leur profit les ennemis extérieurs de Sankara. En septembre 1987, commentant ce désamour naissant, il confie à certains de ses proches et au journaliste Sennen Andriamirado : « Le fond du problème, c’est qu’ils veulent bouffer et je les en empêche ».

Mal lui en prit, car le fossé s’agrandit entre eux, à tel point que les trois autres “têtes brûlées”, s’accordent sur l’urgence d’opérer un coup de force contre leur leader. C’est ainsi que le 15 octobre 1987 sur le perron du siège du conseil national de la révolution (CNR), Sankara est abattu de deux balles dans la tête et 10 balles dans le buste par un commando venu du centre d’instruction militaire de Po, centre commandé après la nomination de Compaoré au CNR par Gilbert Diendéré, son adjoint. Retenez bien ce nom.

Parlant de ce meurtre, lors de son interview inédit paru dans jeune Afrique № 1400 du 4 novembre 1987, Blaise Compaoré déclare : « C’est pour avoir voulu nous liquider Jean-baptiste Lingani, Henri Zongo et moi qu’il s’est fait abattre par des soldats qui me sont fidèles ». Qu’à cela ne tienne, les trois « têtes brûlées » continuent le chemin sans lui.

On n’entendra plus parler du trio fratricide jusqu’à ce que l’histoire se répète deux ans plus tard en 1989. Le 18 septembre 1989, Jean-Baptiste Lengani et Henri Zongo, respectivement en charge des ministères de la défense populaire et de la Promotion économique, sont accusés de complot contre le nouveau chef d’Etat, Blaise Compaoré. Mis aux arrêts et jugés à la hâte dans une parodie de procès, ils sont purement et simplement exécutés. Ces deux “têtes brûlées” auraient eu l’intention d’attenter à la vie de B. Compaoré alors qu’il rentrait d’un voyage d’extrême orient. La tentative d’assassinat aurait été découverte par, devinez qui ? : Gilbert Diendéré, le responsable de la sécurité présidentielle depuis le coup de 1987. Trois jours après la mort des conjurés, ce dernier est nommé secrétaire général du comité exécutif du Front Populaire c’est-à-dire le N° 2 du régime. La suite de l’histoire vous la connaissez.

Dr. BANGALI N’goran

Historien, enseignant-chercheur

 

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