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De la rectification à la clarification : La gouvernance rhétorique

« L’essentiel de l’action des politiques passe par le discours […] le discours politique, loin d’être un épiphénomène de la politique, pourrait donc, à l’inverse, être finalement le tout de l’activité politique des hommes politiques. » Cette assertion d’Elderman sied bien à la transition en cours en République du Mali.

En effet, au cours de ces trois dernières années, nous assistons à l’usage, et cela de manière harmonieuse telle une chorale, des certains mots ou expressions par les autorités de transition. Loin d’être que du verbe, ces mots permettent en réalité au gouvernement de diriger le pays en ayant l’adhésion d’une bonne partie de la population jusqu’ici. Cet article vise à édifier l’opinion publique sur comment des mots ou expressions comme : rectification ; abandon en plein vol ; souveraineté retrouvée ; l’art de se dribler tout en gardant le ballon ; A bon entendeur tant pis ! ; clarification ont permis à la transition de diriger le pays en ayant une relative popularité. Aussi, posons-nous la question des limites de ce qu’on pourrait appeler une gouvernance rhétorique.

Pour mieux édifier le lecteur, chaque mot ou expression sera placé dans son contexte spatio-temporel. Cela permet de mobiliser les circonstances de production ainsi que les effets politiques subséquents.

Rectification

Nous sommes en mai 2021, après un séjour à Paris, hasard de calendrier ou non, le président de la transition d’alors, Bah N’Daw a procédé à un remaniement du gouvernement. Deux poids lourds du CNSP à savoir Sadio Camara et Modibo Koné sont éjectés. Il n’aura fallu que quelques heures pour que le colonel Assimi Goïta, à l’époque vice-président, ne fasse arrêter Bah N’Daw et son premier ministre. Désormais seul maitre à bord, il prête serment le 07 juin 2021 et nomme dans la foulée Choguel Maïga, président du comité stratégique du M5-RFP, comme premier ministre. Débute alors la rectification de la trajectoire de la transition (pour être plus complet).

Ce mot sera employé dans tous les discours officiels pour expliquer voire justifier les événements de mai 2021. Mais en regardant de près, on constate que ce mot relève de ce qu’on appelle la présupposition en analyse du discours. En effet, on rectifie une erreur, une faute. C’est donc une manière subtile de dire que la première partie de la transition—qui va d’aout 2020 à mai 2021—a été marquée par la mauvaise gouvernance. Il faut également souligner que le M5-RFP, considéré comme le mouvement à l’origine du soulèvement contre le régime IBK, a été écarté des sphères du pouvoir sur cette période. Le mot rectification pourrait également signifier que cette « erreur » est corrigée.

En tout état de cause, l’opinion publique malienne a semblé bien accueillir cette rectification puisque des décisions majeures seront prises sur plusieurs plans notamment sécuritaires.

Abandon en plein vol

Lors de la 76è session de l’assemblée générale des Nations Unies, la voix du Mali sera portée par le premier ministre Choguel Kokalla. Dans un discours qui restera l’un des moments forts de la transition, Choguel accusera la France d’abandon en plein vol. Il faut dire que les relations entre les deux pays n’étaient plus au beau fixe depuis l’avènement de la rectification. Quelques mois plus tard, les troupes françaises, qui interviennent au Mali depuis 2013, ont été contraintes de quitter le pays. Ce pays ayant décidé de coopérer avec la Russie. Voilà le contexte spatio-temporel.

Sur le plan rhétorique, nous avons là un exemple de « petite phrase » construit à l’aide de métaphore aéronautique. L’efficacité rhétorique des petites phrases réside dans le fait qu’elles sont reprises assez facilement par les médias, ce qui permet de faire une large diffusion. Conséquence, un discours de près d’une heure est résumé à une seule expression. Cependant, la portée n’en demeure pas moins importante. En effet, c’était l’une des rares fois qu’un responsable malien de haut niveau s’exprime ainsi sur la France et de surcroit à la tribune de l’Onu, haut lieu de la diplomatie mondiale. Certains salueront le « courage politique » du premier ministre. Cette petite phrase sonnera le glas de la courtoisie diplomatique entre le Mali et la France. Mais ce ne sera pas la seule brouille diplomatique.

Souveraineté retrouvée

Après la rectification, le gouvernement de transition a initié les assises nationales de la refondation de l’Etat. A l’issue de ces travaux, le chronogramme préalablement établi en accord avec la Cédéao (qui fixait la durée de la transition à 18 mois) a été abandonné. En lieu et place, le gouvernement proposera une transition de cinq ans. Dès lors, commence un véritable bras de fer avec la Cédéao. Lors d’un sommet ordinaire le 9 janvier 2022, des sanctions d’une rare gravité ont été prises contre le Mali. Le vendredi 14 janvier, une grande manifestation était organisée à Bamako et dans les capitales régionales à l’appel des autorités.

Les sanctions dureront huit mois. Ainsi, pour saluer cette mobilisation du peuple malien, la date du 14 janvier fut retenue comme journée de la souveraineté retrouvée. Voilà le contexte.

Dans un article publié en janvier 2023, nous soulignions le caractère contradictoire entre le 14 janvier (journée de souveraineté retrouvée) et le 22 septembre (fête de l’indépendance). Nous évoquions alors une confusion sémantique aux conséquences politiques floues. En effet, souveraineté retrouvée suppose que le Mali avait perdu sa souveraineté. Si tel est le cas, doit-on toujours célébrer la date du 22 septembre ? Mais au fond, l’usage de cette expression permet aux autorités de transition de s’afficher comme les « véritables » défenseurs contre la soumission ou la domination. Il faut dire que ce narratif a un écho favorable au sein de l’opinion publique.

L’art de se dribler tout en gardant le ballon

On retourne à la tribune des Nations Unies. A la faveur de la 77e  session de l’assemblée générale, le colonel Abdoulaye, premier ministre par intérim, connu pour sa rhétorique provocatrice, portera la voix de notre pays. Cette intervention se passe en pleine crise avec la Cote d’Ivoire suite à l’arrestation de 49 « mercenaires » ou « missionnaires » ivoiriens à l’aéroport de Bamako. Auparavant, la Côte d’Ivoire était en première ligne lors de l’adoption des sanctions contre le Mali. Ces circonstances aggravantes n’étaient pas de nature à apaiser la situation. Faisant fi de tout protocole diplomatique, le colonel Abdoulaye Maïga, en référence au 3e mandat d’Alassane Ouattara, dira que c’est l’art de se dribler tout en gardant le ballon.

Là encore nous avons affaire à une petite phrase construite par la métaphore footballistique. Comme on pouvait s’y attendre, elle sera reprise par les médias mais aussi par des internautes. Si la Côte d’Ivoire ne réagit pas officiellement, nul doute que cette petite phrase a contribué à dégrader les relations entre les deux pays voisins.

Le même Abdoulaye Maïga revient à la charge à la 79e session de l’Onu mais cette voici contre l’Algérie. En effet, depuis la reprise de la ville de Kidal par le Mali en novembre 2023, les ex rebelles de la CMA ont élu domicile en Algérie. Cette situation a conduit notamment à la dénonciation de l’accord d’Alger signé en 2015 et dont l’Algérie était en quelque sorte le parrain. Autant de facteurs qui ont contribué refroidir les relations entre les deux pays. Ainsi, à la tribune de l’Onu, le Colonel Maïga rappellera que l’accord d’Alger est bien mort qu’en bon entendeur tant pis ! Ici il y a la transposition d’une expression commune, avec une connotation positive, « en bon entendeur salut !» qui exprime un conseil, par une expression pour le moins sarcastique.

Les limites de la gouvernance rhétorique

Comme nous l’avons vu tout au long de l’article, le gouvernement de transition s’appuie sur un certain nombre de mots ou expressions pour diriger. Et il faut dire que cela leur a réussi plus au moins jusqu’ici (ici nous parlons d’opinion favorable). Mais à mesure que la transition se prolonge, on assiste à une certaine fatigue de la gouvernance rhétorique. En effet, bien que l’essentiel de l’activité politique passe par le discours, ces discours doivent être suivis d’effet d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’énoncés performatifs dans les exemples que nous avons cités dans cet article. La particularité des énoncés performatifs et que leur seule énonciation suffit pour accomplir l’acte. Mais tel n’est pas le cas ici. C’est peut-être pourquoi le premier ministre Choguel Maïga parle de clarification…

 

Brehima Sidibé

Doctorant en Analyse du discours politique

 

Source: Mali Tribune

 

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