« Probablement encore un anti-balaka! », affirme un habitant du quartier musulman du PK 5, en désignant un corps gisant à même le sol, recouvert de mouches. Les anti-balakas, ce sont des milices chrétiennes luttant contre le pouvoir, et au PK5 désormais, on leur fait la guerre.
Dans une rue adjacente, des coups de semonce retentissent: ce sont des éléments de la force de l’Union africaine qui dispersent une foule de curieux, attroupée autour d’un autre corps. En tout sur quelques mètres de distance, le nombre de victimes du jour s’élève à quatre, et il est à peine huit heures du matin.
Allongés sur le dos, sobrement recouverts d’un pagne, deux d’entre eux sont encore ligotés. Parfois, un passant s’arrête à leur hauteur, soulève le tissu pour regarder le visage de la victime, puis s’éloigne sans rien dire.
« Ces deux petits, on les connaît, ils sont du quartier depuis toujours, et puis ce sont devenus des anti-balakas. Ils ont été tués un peu plus loin et ramenés ici, puisque c’est chez eux », explique l’un d’entre eux.
Bangui est une toute petite ville, un « grand village », comme on le dit souvent, et il n’est pas nécessaire de marcher longtemps pour passer d’un quartier de majorité musulmane à un quartier chrétien. Avant les récents évènements, qui ont fait passer la crise de coup d’état à « crise interreligieuse », les deux communautés vivaient en bonne intelligence.
Désormais, la frontière entre le PK 5 et le quartier limitrophe chrétien « Castor », est marquée par des échoppes détruites ou brûlées: ce sont celles des chrétiens. Partout sur la route bitumée qui traverse les quartiers, de larges traces noires rappellent ces moments réguliers de frictions durant lesquels des populations excédées érigent des barricades enflammées.
« Personne ne vient chez nous, ni les Français, ni la Misca »
A quelques kilomètres de là, à la sortie de la ville, un autre quartier a décidé de vivre autrement: « Après les grosses violences du 5 décembre (qui ont fait plusieurs centaine de morts en une journée, ndlr), nous sommes entrés dans une phase de réconciliation entre musulmans et chrétiens du quartier. Entre nous il n’y a pas de problème, il n’y a jamais vraiment eu d’ailleurs, tout va bien », explique Djibril Ali, un musulman.
Comme la plupart des habitants de son quartier, toutes confessions religieuses confondues, il a décidé d’ignorer les tensions qui agitent les quartiers voisins.
« Ici, nos frères chrétiens sont aussi embêtés que nous par les anti-balakas. Nous sommes tous des commerçants, se faire la guerre entre nous n’arrangerait personne (…) je suis né ici, je ne vois pas de raison pour m’en prendre à mes frères », affirme un autre riverain, un « vieux » du quartier aux rides profondes.
Dans ce quartier où chrétiens et musulmans ont fait cause commune, la plupart se promènent pourtant avec une machette en bandouillère, et même les enfants qui jouent dans le sable ont un couteau a proximité.
Ici, tout le monde est d’accord pour se plaindre des conditions de sécurité: « Personne ne vient chez nous, ni les Français, ni la Misca ni personne pour nous défendre », affirme Hassan Oumar, un commerçant.
Au PK 5, où des militaires patrouillent pourtant régulièrement, c’est plutôt des français que l’on se plaint, les musulmans les accusant régulièrement de « prendre partie » en faveur des chrétiens et des anti-balakas.
A deux pas du marché au bétail, centre névralgique du quartier, une petite troupe creuse un trou. Les silhouettes apparaissent et disparaissent dans la poussière soulevée par le mouvement des pelles.
« Nous allons enterrer quelqu’un du quartier. Il a été tué par un anti-balaka », explique l’un d’eux, en montrant une dizaine de monticules de terre alignés. « C’est là qu’on enterre nos amis », souligne-t-il avant de désigner du doigt des monticules plus petits, sous lesquels reposent les enfants.