Notre pays commémore ce 17 mars, le 36e anniversaire de l’assassinat du leader estudiantin, Abdoul Karim Camara dit Cabral, torturé à mort, en mars 1980, au camp para dans des circonstances encore douteuses. À cette occasion, nous vous proposons ici, un témoignage de DJIGUIBA KEITA dit PPR, sur la crise qui a secoué notre école de 1979 à 1980.
En parlant des 50 ans du Mali indépendant, on ne peut passer sous silence le rôle joué par le mouvement étudiant, et pour la conquête de l’Indépendance (Association des Étudiants et Stagiaires maliens en France –AESMF-, Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France -FEANF-) et à l’avènement de celle-ci. Mais l’indépendance acquise n’a pas mis fin à « l’ingérence » du mouvement scolaire et universitaire dans l’arène politique : les clivages idéologiques apparaissent de plus en plus. En effet, le monde des indépendances étant celui de la guerre froide, la frange majoritaire des élèves et étudiants était contestataire des régimes africains, accusés en général de néo-colonies ou de semi-colonies. Le régime Modibo, bien que progressiste, était très critiqué par la jeunesse estudiantine malienne qui se reconnaissait en l’AESMF. Mais c’est à la chute de Modibo, à l’avènement des militaires, que les élèves et étudiants vont se révéler comme de vrais opposants au régime issu du coup d’État du 19 novembre. Très timidement, au début des années 70, en 71-72 exactement, un embryon d’association estudiantine se met en place au Mali. Cet embryon devient, en 73-74, l’Union Nationale des Étudiants du Mali (UNEM). Les étudiants réalisent très vite que sans les lycéens leur combat était voué à l’échec, d’où la jonction avec leurs cadets et l’irruption, en 1976-77, de l’Union Nationale des Élèves et Étudiants du Mali (l’UNEEM) dirigée à son début par Samba Lamine Sow et Boukary N’DAOU. Son « officialisation » eut lieu le 20 janvier 1978 avec Modibo Diallo, l’actuel Directeur du Mémorial Modibo Kéita, comme 1er Secrétaire Général.
En 1977, la contestation de l’UNEEM fait si peur au régime qu’il en arrive à croire qu’il peut chuter et laisser place à Modibo, son encombrant prisonnier. D’où, d’après beaucoup de sources, l’idée maléfique d’assassiner le Premier Président du Mali. Cet acte crapuleux survint le 16 mai 1977. C’est à l’enterrement du Grand Homme que les militaires prirent la mesure de sa popularité et du ralliement du peuple à celui qui avait proclamé l’indépendance du Mali. À l’occasion de ces funérailles grandioses de Modibo Kéita, le rôle joué par la jeunesse en général, la jeunesse estudiantine consciente en particulier, a fait comprendre définitivement à GMT et compagnie qu’à défaut d’une opposition organisée, c’est l’UNEEM seule qui empêche le régime de dormir tranquille. La répression s’abattit sur les élèves et étudiants : arrestations et emprisonnements arbitraires, déportation au Nord et répression policière furent le lot de dizaines de jeunes citoyens maliens et de quelques aînés téméraires dont le très familier des geôles Gmtistes : Victor SY. Le mouvement scolaire et estudiantin, affaibli par sa décapitation et la répression suite à l’assassinat du Président Modibo Kéita, passa une année 77-78 en demi- teinte. C’est cette année-là que l’UNEEM fit partie de l’UNJM, parce que le Mouvement était affaibli. Mais l’influence du nouveau ministre de la Jeunesse Monsieur Alpha Oumar Konaré sur beaucoup d’étudiants, passa également par là. Enfin, on dirait que le Mouvement a mis cette année à profit pour se réorganiser et aller au front un an plus tard. En fait, prenant conscient de leur force, les élèves et étudiants, partout dans les lycées et les écoles supérieures, ont fait émerger une génération de leaders très engagés et dont une minorité était politiquement consciente. Les comités UNEEM mis en place en octobre- novembre 1978 vont désigner des délégués au 2e congrès de l’organisation estudiantine. Tenu les 25, 26 et 27 décembre 1978 à l’ENA, ce congrès, de loin le plus politique de l’histoire de l’UNEEM, va se donner comme leader Tiébilé Dramé, en 4e année lettres de l’Ensup et stagiaire au LPK. Récemment relâché du Nord où il avait été déporté avec d’autres suites à l’assassinat du Président Modibo, Tiébilé était membre du bureau de l’Ensup (l’ADEENSUP). Dans le bureau qu’il préside, des leaders locaux de l’UNEEM que l’Histoire va retenir, pour leur courage, leur témérité ou quelquefois, leur lâcheté : Abdoul Karim Camara dit Cabral, Nouhoum Goïta, Abdoulaye Fofana, Mamoutou Thiam, Mohamed Ag Bilal, Toto Diarrah, Moussa Mary Kéita dit PPR, devenu Djiguiba, Cheich Hamala Dicko, Rokya Kouyaté, M. Sissoko dit SLOWLY, Madina SANOGO, Seydou dit Totoh Diarrah, Ami SISSOKO, Amadou Kané (ces 3 derniers sont décédés).
Le nouveau bureau a un axe central : travailler à éveiller la conscience politique des militants, par des conférences et la référence à l’histoire. Dans « le jargon » d’alors, c’est cela qu’on appelait l’avant-gardisme : quand le mouvement scolaire veut jouer le rôle normalement dévolu à des formations politiques ! L’UNEEM s’y essaya donc. On peut retenir trois faits marquants des premiers pas de ce bureau avant les revendications corporatistes proprement dites de l’UNEEM :
– Une des premières manifestations du Bureau Tiébilé a été l’Occupation de la Maison du peuple en janvier 1979, pour protester contre les tueries d’enfants perpétrées par Bokassa, à Bangui.
– Suivra, en mai 1979, le retrait de l’UNEEM de l’UNJM. En effet, à la faveur de l’élimination de la bande à Tiékoro, le mardi 28 février 1978, la cote du régime est un peu montée, et la nomination au Gouvernement d’un homme reconnu de gauche, en l’occurrence AOK a fait impression et facilité l’embrigadement la jeunesse estudiantine dans l’UNJM. C’est cette chaîne que l’UNEEM a brisée le 1er mai.
– Enfin, l’UNEEM s’est préoccupée de former ses militants en alphabétisation à la fin de l’année, afin que pendant les vacances les élèves et étudiants aillent au peuple, s’intègrent aux masses, s’instruisent aux côtés d’elles et leur apprennent en même temps à lire et à écrire dans les différentes langues, sans dédaigner les travaux d’intérêt commun !!! Du pur avant-gardisme, vraiment !
Tout cela a préparé le terrain à la rentée prochaine où le bureau de coordination envisageait de poser les problèmes de revendication corporatiste du mouvement. Pour ce faire, il va déployer les membres de la direction du Mouvement, à travers le pays, aux frais de l’État, pour renouveler les différents comités UNEEM. Ce travail achevé en fin octobre commence l’héroïque grève de 1979-80, lancée, le vendredi 16 novembre 1979. Que revendiquait l’UNEEM ? Entre autres :
1. La suppression du tronc commun : en 10e, tous les élèves avaient les mêmes matières et c’est seulement en 11é que les littéraires et les scientifiques étaient séparés ;
2. La suppression du concours d’entrée à l’enseignement supérieur ;
3. La suppression du concours d’entrée à la fonction publique ;
4. La création de cantines scolaires des lycées de Banamba et de Dioïla ;
5. La prise de fonction rapide des nouveaux fonctionnaires diplômés ;
6. La non-exclusion de l’école des filles-mères
Le régime accueillit ces revendications dans un silence de mépris pendant 10 jours. Il a fallu une gigantesque marche de l’UNEEM sur le Ministère de l’Éducation, le 26 novembre, pour que le ministre daigne recevoir le Bureau de Coordination et que commencent les négociations. Elles aboutirent à des solutions de compromis permettant la reprise des cours. C’est en pleine Assemblée générale le 05 décembre, pour informer la base de l’état de la question et de la fin prochaine de la grève que la police débarque à l’école fondamentale de Niarela pour embarquer tout ce beau monde pour le 1er Arrondissement. Tous ces nouveaux prisonniers ont alors été fichés, ardoise au cou. Les rescapés devinrent les négociateurs et eurent comme interlocuteur le Pr Mamadou Dembélé, Premier ministre. Les détenus libérés le soir même, les négociations ont repris pour échouer peu de temps après et le Pouvoir, pour définitivement casser l’UNEEM, appela sous les drapeaux tous les membres de l’Assemblée générale, c’est-à-dire, les membres des bureaux des comités des différents établissements de Bamako et les membres du Bureau de Coordination, pour accomplir leur « service militaire obligatoire. » La longue liste fut lue le 15 décembre. Le cas du SG du Bureau de Coordination, Tiébilé Dramé était critique : il n’était plus étudiant, ayant fini avec l’ENSUP, mais était toujours le leader, le bureau n’ayant pu être renouvelé pour cause d’instabilité… Il fut appelé sous les drapeaux comme les autres. L’UNEEM réagit par une AG clandestine le 16 décembre qui projeta une marche violente de protestation contre l’enrôlement forcé, le lundi 17 décembre. Le pouvoir renonça à l’enrôlement forcé. De nouvelles négociations ont eu lieu dont le summum fut la signature d’un mémorandum le 28 décembre. Ce document fut signé, côté UNEEM, par le secrétaire administratif. Les points sus nommés étaient globalement satisfaits, sur papier. Une partie des grévistes n’y fit pas foi. Une division était perceptible au sein du Mouvement, suscitée, par le Pouvoir. C’est dans ce moment de flou, où le Mouvement n’a même plus de leader, que l’UNEEM fut dissoute le 05 janvier 1980. Tout reprenait à zéro. À l’intérieur du pays, ça bouillonnait de partout : l’UNEEM ne saurait être dissoute, scandaient les élèves et étudiants du Mali, à travers le vaste territoire. Des différentes protestations, le pouvoir avait opéré des arrestations dont les plus emblématiques furent celles de Amadou Kané (membre du BC et responsable de l’ENSEC, il était enseignant stagiaire à Ségou ; aujourd’hui disparu, paix à son âme !) et de Macky Touré, lycéen à Ségou.
Les responsables de l’UNEEM convinrent de renouveler la direction du Mouvement par la tenue d’un congrès extraordinaire. Il se tint le 17 février au Lycée Badala. Abdoul Karim Camara dit CABRAL remplaça Tiébilé dans ces moments de haute tension, de répressions et d’exactions. Il fallait beaucoup de témérité pour prendre la tête de la lutte dans les moments de reflux. Il fallait beaucoup de dons de soi, beaucoup de sens du devoir et de la responsabilité pour accepter ce sacerdoce. Cabral accepta de porter le fardeau UNEEM. Il devait en mourir 4 semaines plus tard, par suite de tortures, le lundi 17 mars 1980……
La réaction de l’UNEEM à l’assassinat de Cabral a été telle que GMT a pu dire que la crise a étalé au grand jour les faiblesses du parti. Le pouvoir était à terre, mais il n’y avait personne pour le ramasser… Et il se releva, hélas !! Les élèves et étudiants découvraient du coup les limites de l’avant-gardisme !
Peu de temps après, à l’anniversaire de la naissance de Cabral, ce 02 juillet 1980, les élèves et étudiants, qui avaient relevé la tête désormais, organisaient une Coupe Cabral. La soldatesque s’abattit sur eux dans l’amphi de l’ENSUP où se lisaient des poèmes en hommage au martyr CABRAL : filles violées et volées, motos, bracelets et tant d’objets emportés, des blessés en nombre! L’UNEEM décréta le boycott des examens prévus, le lundi 07 juillet 80, en solidarité avec les blessés. Ce mot d’ordre fut suivi à au moins 80 %. C’est dans son exécution que l’élève Ibrahim THIOCARY fut tué à Sévaré, sous l’égide d’un certain… DANFAGA.
L’HISTOIRE CONTINUE
DJIGUIBA KEITA PPR
Source: info-matin