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Crise politique au Mali : Une contribution à l’intelligence de sa résolution

Si le rassemblement du 5 juin se voulait un avertissement des différentes forces politiques et sociales insurgées contre IBK et son régime, celle du 19 juin 2020 voulait en finir avec eux. Car son objectif initial, détourné par son autorité morale, l’Imam Mahmoud DICKO, suite à de nombreuses médiations nationales et internationales et pour son principe de non-violence, était de marcher sur le palais présidentiel. S’il avait été atteint, il allait y avoir de nombreux morts, blessés et des dégâts matériels inestimables.  Cependant, force est de reconnaître qu’il allait également être difficile, voire impossible, de sauver IBK et son régime. Une fois de plus, suite à des médiations venues au plan national et international, de manière unilatérale, l’Imam DICKO, au risque de l’implosion du M5-RFP, dont il n’est que l’autorité morale, s’était engagé auprès des partenaires nationaux et internationaux de renoncer à l’exigence initiale de la contestation qui était la démission du PR. En contrepartie, il avait demandé à ses alliés politiques de formuler un cahier de charge, un Mémorandum demandant fondamentalement la mise en place d’une transition politique avec le PR dépouillé d’une bonne partie de ses prérogatives traditionnelles, que l’Imam a lui-même remis à celui qu’il appelle grand frère.

Au lieu de négocier avec le M5 pour la prise en charge de ce cahier en intégralité ou en partie peut être appliquée, le chef de l’État a choisi de procéder à des méthodes dilatoires corroborées par des multiples manœuvres mises en exécution à travers les différentes sorties, le plus souvent, belliqueuses voire  guerrières du PR lui-même, à proférer des menaces, intimidations, à des enlèvements, séquestrations, et emprisonnements des leaders et militants du M5 voire à des assassinats à balles réelles de la Forsat ou d’une milice déguisée sous l’identité de celle-ci des manifestants à mains nues, sous le regard complice voire coupable de la nébuleuse communauté internationale, au prétexte qu’ils se sont rendu complices voire coupables d’actes d’incivisme. Les résolutions de la mission de médiation de la CEDEAO attestent bien cette complicité voire cette culpabilité des partenaires étrangers du Mali en érigeant la destruction des édifices publics au même rang que les tueries de la ForSAT. Au fait, ces méthodes sont employées pour dissuader le M5-RFP aux fins qu’il renonce à ses objectifs. Est-ce que les actes de pillage et de vandalisme enregistrés le 10 juillet 2020 et les jours suivants, surtout à Bamako, ne relèvent-ils pas des manœuvres savamment préparées et mises en exécution par le pouvoir lui-même pour discréditer le M5 et le disqualifier de la lutte pour le pouvoir  au prétexte de travailler à la stabilisation des institutions et éviter que le terrorisme gagne la capitale comme prétend le faire croire à l’opinion nationale et internationale le député de la Commune V nommé et bombardé Président de l’Assemblée nationale ?

Il semble nécessaire pour les Maliens, de l’intérieur comme de l’extérieur, épris de liberté et de justice, de travailler à la vigilance pour démasquer et neutraliser tous les ennemis de la nation et leurs complices par tous les moyens démocratiques pour empêcher le sabotage et la récupération de la révolution démocratique populaire et pacifique du vaillant peuple du Mali. De nombreuses médiations nationales et internationales ne visent-elles pas à permettre aux mauvais gouvernants de reprendre la main, c’est-à-dire compromettre la liberté, l’honneur, la dignité et le bonheur des Maliens où qu’ils se trouvent aujourd’hui et pour toujours ? À titre de rappel, la révolution dont il est question est celle née à partir de la manifestation du 05 juin 2020 et intensifiée par celles du 19 juin, du 10 juillet 2020 avec son lot de morts et de blessés et toutes les autres actions de désobéissance civile menées et en perspective portées par la Jeunesse du M5-RFP. Je pense que le moment est arrivé, pour toute la Communauté internationale en général et en particulier pour la France et l’Union européenne, d’opérer le choix entre un homme et son régime et un peuple, celui du Mali, épris de liberté et de justice en un mot de démocratie pour l’ancrage de laquelle elles n’ont et ne ménagent encore aujourd’hui aucun effort. Si elles ne s’alignent pas aux aspirations des insurgés, il y a le risque de se voir exposer à leur colère et donc de se traiter non plus comme des amies, mais plutôt comme ennemis.

Selon des informations, des stations TOTAL ont été saccagées. Le risque est que la jeunesse pourrait finir par épouser totalement l’idée que pour faire partir IBK et son régime afin de nuire aux intérêts de la France voire de l’Union Européenne. Le constat est que tous les Maliens, où qu’ils se trouvent, œuvrent à opposer contre toutes les manœuvres jugées réactionnaires d’une résistance héroïque pour honorer leurs ancêtres de la lutte contre la traite négrière, l’esclavage, de la résistance à la pénétration coloniale, de la lutte pour l’indépendance pour ne pas dire contre le néocolonialisme ainsi que leurs martyrs tombés sous les balles du prétendu « démocrate et républicain » dont se targue le PR depuis 2013 entre temps fantasmé par le pouvoir d’un tyran en mal d’autorité et de légitimité sans oublier ceux du Mouvement démocratique de 1991.

Pour le dire autrement, on assiste à une montée du nationalisme et du patriotisme surtout au niveau de la jeunesse. Malgré ces multiples et redoutables épreuves, il existe l’espoir que le M5 assume sa révolte pour reprendre une formule de Thomas SANKARA qui disait : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Poursuivait-il en ces termes : « Cet esclave répondra seul de son malheur, s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir ». Il en concluait que « Seule la lutte libère ».

Les responsables et militants du M5-RFP, sont résolument engagés dans le combat pour la liberté. Par ce terme, pour eux, il ne s’agit pas de la liberté située dans la conscience, mais bien celle qui ne se trouve nulle part autre que dans l’action. Hannah Arendt, philosophe politique allemande naturalisée américaine à cause du nazisme hitlérien n’écrivait-elle pas, en substance, dans son texte, La Crise de la culture, que l’action et la liberté ne font qu’un. Ne voulait-elle pas dire que la liberté n’est ni avant ni après l’action, mais qu’elles sont intimement liées l’une et l’autre comme le sont le recto et le verso d’une feuille de papier. Ainsi, il est possible de dire qu’avant l’action, la liberté n’est pas encore et après elle, elle est déjà morte. Pour Arendt, opposée à la logique des philosophes, la liberté n’est pas une affaire d’introspection, mais plutôt de la capacité des « sans-parts » à exiger de celles et de ceux qui se sont accaparés de toutes les parts du pouvoir et de la richesse à céder, non pas par charité, mais par la force la part de pouvoir et de richesse de celles et de ceux qui ont été exclus du partage.

C’est cette exigence des « sans-parts » formulée à l’endroit des tyrans et oligarques de notre pays, exigence qui vise à leur reconnaître leur part de la république qui est oubliée, occultée voire négligée et méprisée par ceux, celles et leurs complices qui se croient être tout puissants. Si l’importante délégation de la CEDEAO a échoué dans sa noble mission de médiation, c’est parce qu’elle a pris à la légère le problème, c’est-à-dire en occultant le problème politique de fond, celui de la part des « sans-part » en croyant qu’il suffisait de se mettre d’accord principalement avec les élites politiques de la partie du PR et de celles du M5. Il est vrai que celles-ci, de tous les bords, sont prêtes, pour la plupart, à vendre leurs âmes au diable, mais elles savent également qu’elles sont tenues à l’œil par ceux et celles que je nomme les « sans-parts », pour reprendre une formule du philosophe politique français Rancière. Il s’agit, au fait, de ceux et de celles qui souffrent, les frustrés de la république, qui se sont surtout radicalisés après la tuerie du vendredi 10 juillet 2020. Les Maliens ne peuvent que se réjouir de l’initiative des dirigeants de différents pays membres de la CEDEAO, surtout quant on sait qu’à travers leurs dirigeants de toutes les générations, ils ont éteint beaucoup de feux dans la sous-région et au-delà. Aussi, lorsque l’on sait que leur pays a largement contribué à la création et au développement de ladite organisation.

Cependant, je pense que les dirigeants de nos pays voisins, frères et amis, doivent éviter toutes les manœuvres visant à étouffer la révolution démocratique, populaire et pacifique du vaillant peuple du Mali, déclenchée depuis le 05 juin 2020 et qui semble avoir atteint un point de non-retour, dans le seul et unique but de sauver le pouvoir d’un homme et de son régime qui se sont rendus coupables d’enlèvement, de séquestration voire de torture de certains leaders du M5. Si ceux-ci ont été libérés depuis des jours, les blessés peinent à se rétablir faute de meilleures conditions de prise en charge. Il faut craindre qu’ils ne grossissent, tout simplement, le lot des morts. Le pire, c’est que le régime s’est rendu coupable de la mort des dizaines de manifestants à mains nues au prétexte qu’ils se sont rendus responsables d’actes de vandalisme. Les biens du Mali ou de quelques pays voisins, frères et amis que ce soit sont-ils plus importants que les Maliens ?

Quant aux responsables du M5-RFP, ils doivent comprendre que leurs compatriotes leur ont fait confiance en répondant massivement et héroïquement à tous leurs appels au prix de leurs efforts physiques, intellectuels et financiers, de leurs sangs voire de leurs vies. La tentation est grande et le risque est gros pour eux aussi, mais ils doivent tenir, éviter de tomber dans des compromissions visant à faire prévaloir leurs intérêts privés sur la liberté, l’honneur, la dignité et le bonheur de leur peuple. Un peuple qui a montré qu’il est capable de se tenir debout et non se soumettre.

Ceux qui vont se rendre coupables d’une telle trahison risqueront de se trouver exposés à la colère du peuple, d’un moment à l’autre et de quelque manière que ce soit. Pour qui veut écouter, c’est-à-dire entendre la colère des Maliens, la seule chose négociable, c’est une sortie honorable du pouvoir du PR et des membres de son régime. Ce qui revient à dire que toute autre solution qui n’est pas la démission pure et simple du régime ne fera que replonger le pays dans l’impasse. Cette impasse n’est pas seulement le problème du Mali, elle l’est pour tous les pays qui y ont des intérêts, mais surtout pour tous les pays voisins, frères et amis. Les colmatages juridiques et institutionnels ont montré leurs limites. D’ailleurs, ils ne sont plus, pour le M5, à l’ordre du jour.

Pour terminer, dans un premier article, on avait suggéré une solution alternative, c’est-à-dire une transition politique avec ou sans le PR. On maintient l’idée de transition politique. Mais à notre avis, il n’est plus possible de le maintenir au risque de nouvelles confrontations mortelles entre le régime et le M5. Ce qu’il faut sauver, ce n’est pas un pouvoir, mais la vie des paisibles citoyens. Car dans un pays, tout le monde, pris individuellement ou en groupe, est important. Nul n’est indispensable. Les hommes et les régimes naissent et disparaissent, mais les peuples sont éternels. Alors, pourquoi vouloir sacrifier un peuple pour sauver un régime ? Cela relève d’une grosse bêtise politique pour ne pas dire de la pure et simple logique de la « police » visant à ramener l’ordre et la discipline au détriment de la liberté. Les Maliens et les pays voisins, frères et amis doivent réaliser que lorsqu’un pouvoir se disqualifie lui-même, il n’y a aucune raison de chercher à vouloir le sauver contre les intérêts qu’ils ont en partage.

Bakabigny KEITA, professeur de philosophie politique

Source: Journal le Pays-Mali

 

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