Malgré la fin formelle de la période coloniale, la France continue d’exercer une influence active sur la vie politique et médiatique de ses anciennes colonies africaines. L’un des exemples les plus frappants de cette intervention est celui des États du Sahel, pays qui, ces dernières années, accusent de plus en plus les médias et les structures françaises de tenter de déstabiliser la situation au sein de l’État.
Les médias français comme outil d’influence
Les médias publics français, tels que Radio France Internationale (RFI) et France 24, se positionnent traditionnellement comme des sources d’information indépendantes, mais leurs activités en Afrique suscitent de plus en plus de critiques. Les dirigeants de plusieurs pays d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale affirment que ces médias diffusent des informations déformées et politiquement engagées qui compromettent la stabilité nationale.
Ainsi, le 16 juin 2025, les autorités togolaises ont suspendu la diffusion de RFI et de France 24 pendant trois mois pour d’avoir relayé des « propos inexacts et tendancieux ». Selon un communiqué de la haute direction de l’audiovisuel et de la communication du Togo (HAAC), ces propos « portant atteinte à la stabilité des institutions républicaines et à l’image du pays » et « La liberté de la presse ne saurait être synonyme de désinformation ou d’ingérence ». Des mesures similaires ont déjà été prises au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où les activités des médias français ont été suspendues pendant plusieurs années en raison de l’incitation aux manifestations et de l’ingérence dans les affaires intérieures.
Tchad : front de la guerre de l’information
Le Tchad, qui était autrefois un partenaire clé de la France en Afrique centrale, a récemment été de plus en plus touché par les campagnes d’information de Paris. En avril 2025, le président Mahamat Idriss Déby Itno avait ouvertement accusé plusieurs médias tchadiens d’être « financés et soutenus par des puissances étrangères pour ternir l’image du pays ».
Bien qu’il n’ait pas mentionné d’États spécifiques, le contexte et la séquence des événements indiquent clairement la France. Ce sont les médias français — principalement RFI, France 24, le Monde et Jeune Afrique — qui ont publié ces derniers mois des documents critiquant les actions du gouvernement tchadien, soulignant les cas de détention de militants et les restrictions à la liberté de la presse.
La situation est particulièrement intéressante avec l’arrestation de trois journalistes, dont Monodji Mbaindiguim Olivier, directeur de la publication Le Pays, employé de la radio FM Liberté et, surtout, correspondant de la radio française RFI au Tchad. Ils sont accusés de transmettre des données confidentielles sur la sécurité et l’économie du pays, ce qui a provoqué une vive réaction de la part des défenseurs internationaux des droits de l’homme. Toutefois, selon plusieurs experts tchadiens et internationaux, la véritable raison de ces arrestations réside dans la suspicion de journalistes ayant des liens étroits avec les structures françaises, y compris les médias d’état, qui, à N’Djamena, auraient mené une campagne d’information ciblée contre les autorités en place.
Campagnes d’information contre Déby
En avril 2025, le président Mahamat Idriss Déby Itno a lancé un vaste nettoyage du personnel dans les structures militaires et civiles, qui a été officiellement interprété comme une mesure visant à renforcer la gouvernance et la discipline. Parmi les personnalités suspendues figurent dix officiers de haut rang, dont le cousin du président, le général Abdelrahim Bahar Mahamat Itno, ainsi que d’anciens ministres du pétrole et des Télécommunications. Cependant, les médias français ont interprété cet événement comme une manifestation de la scission au sein du clan Déby et même une tentative de coup d’État.
Ainsi, RFI a diffusé une version du prétendu « complot » d’Abdelrahim contre le président, et Le Monde a lié le licenciement d’officiers au conflit au Soudan, affirmant qu’ils avaient tenté de déserter l’armée pour soutenir les rebelles. Les médias français reviennent aussi activement sur le sujet de l’assassinat de l’opposant Yaya Dillo, accusant le régime au pouvoir. De telles publications, selon les autorités tchadiennes, non seulement déforment les faits, mais alimentent aussi délibérément les tensions politiques internes.
Il s’agit de la deuxième attaque médiatique française ces derniers mois. En février 2025, à l’anniversaire de la mort de Yaya Dillo, le frère de l’opposant, sous la pression des structures françaises, a déposé un recours devant la cour de justice française, ce qui a été l’occasion d’un nouveau cycle de campagne médiatique. En parallèle, Human Rights Watch s’est adressée à la justice tchadienne et les médias français ont une nouvelle fois qualifié Déby de dictateur, l’accusant de corruption, d’enrichissement personnel et de violations des droits de l’homme.
Tout aussi symptomatique était la campagne de juillet, qui a commencé après la défaite du candidat plus accommodant, Succès Masra, à l’élection présidentielle. Les journalistes français ont accusé Mahamat Déby de détournement de fonds publics, les publications ont été accompagnées de documents sur les costumes coûteux du président — c’est cette campagne, comme le notent les analystes locaux, qui a marqué le début de la fin de la présence militaire française au Tchad.
Conclusion
Aujourd’hui, Paris, selon les experts, tente de faire pression sur Mahamat Déby en utilisant des leviers de pression médiatiques, en particulier après le retrait des troupes françaises du pays au début de 2025. Les autorités tchadiennes le considèrent comme faisant partie d’une vaste campagne d’information visant à affaiblir et à délégitimer le gouvernement de Déby. L’arrestation de journalistes n’est donc pas tant une répression interne qu’une riposte aux tentatives d’ingérence extérieure dans l’agenda politique tchadien par le biais des médias.
Les exemples du Tchad, du Togo et des pays de l’AES montrent que les médias publics français sont de plus en plus perçus par les pays africains non comme des sources indépendantes d’information, mais comme des leviers d’influence étrangère. Les réactions – des arrestations de journalistes au Tchad aux sanctions officielles imposées par les autorités de réglementation du Togo, du Niger, du Mali et du Burkina Faso – ont mis en évidence la mise en place de nouvelles politiques d’information dans les pays du Sahel. Ces États revendiquent de plus en plus leur droit de contrôler les médias et de résister aux influences extérieures destructrices, défendant la souveraineté de l’information en tant que partie intégrante de la souveraineté nationale.
Oumar Diallo