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Contestations : Cette jeunesse sur le front

L’assaut aura duré toute une nuit. Dans la soirée du 11 au 12 juillet, c’est une pluie de gaz lacrymogènes et de balles réelles qui ont tenu éveillé le voisinage de la mosquée de l’Imam Mahmoud Dicko, à Badalabougou. À l’œuvre, la Force spéciale anti-terroriste (FORSAT), venue, selon des témoignages, arrêter l’influent imam. Mais elle bute sur une autre force, civile et juvénile. Munie de pierres, elle a mis en échec le projet de la force antiterroriste, au prix d’un lourd tribut : 12 personnes tuées et des dizaines de blessés. Depuis lors, c’est de cette mosquée jouxtant la maison de Mahmoud Dicko que des jeunes organisent la résistance. En première ligne des contestations depuis le 10 juillet, ils se disent déterminés à « faire partir IBK ».

 

Lundi 13 juillet. Pour poursuivre les contestations, près d’une centaine de jeunes s’organisent au niveau de la mosquée et de la maison de l’Imam Mahmoud Dicko à Badalabougou, en Commune V. C’est le Quartier général des contestataires. Les accès à l’endroit ont été condamnés par des tranchées et des barricades, pour montrer l’importance stratégique du lieu. Ce matin, une pluie fine arrose le quartier, secoué par des échauffourées entre forces de l’ordre et manifestants au niveau de l’hôtel Olympe. Les jeunes ont barré la route à l’aide de cailloux et de détritus, créant un embouteillage monstre.

Au « QG », ils sont plusieurs, dont des mineurs, venant de divers endroits de la capitale. Certains s’abritent sous les hangars en attendant la fin de la pluie. D’autres s’affairent à fabriquer des cocktails molotov. « Que ceux qui doivent périr périssent et que ceux qui doivent vivre vivent », dit Oumar, 14 ans. Rapidement, le groupe est à court d’essence. On demande aux autres jeunes sur place de mettre la main à la poche, car « l’assaut » peut être imminent. « Laissez-nous tranquille ! j’ai contribué à hauteur de 2 000 francs CFA l’autre jour pour l’achat de gasoil pour une opération qui n’a pas été à la hauteur du souhait », murmure un homme en colère sous un hangar. « Cessez de bavarder et allons les (forces de l’ordre, ndlr) affronter », interrompt Issa, 18 ans. Pressé à l’idée d’aller en découdre avec les forces de l’ordre au niveau du Palais de la culture, cela fait deux jours qu’il est sur place. « Je viens de Daoudabougou. Mes parents doivent être inquiets, car ils sont sans nouvelles de moi. J’ai laissé mon téléphone à la maison. Mais, ce matin, j’ai croisé des camarades du quartier auxquels j’ai demandé de dire en famille que tout va bien », explique-t-il.

Soudain, des crépitements de balles à blanc et des tirs de gaz lacrymogènes se font entendre au loin. Les affrontements viennent de recommencer au nord-est de la mosquée, avant de connaître une pause en début d’après-midi. Les jeunes manifestants en profitent pour se restaurer avec du riz chaud en sauce. Tout au long de la journée, des plats arrivent à la mosquée, grâce à la bonne volonté du voisinage de l’Imam Mahmoud Dicko. Il en est de même pour les sachets d’eau.

La révolution jusqu’à la mort

Très en colère face à la répression sanglante de la nuit du 11 au 12 juillet dernier, les manifestants sont plus que jamais déterminés. Ils n’ont qu’une seule demande : la démission du Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, pour « mauvaise gouvernance ». Et cela, au prix de leur sang s’il le faut. « On vous a confié le Mali pour 10 ans et vous l’avez plongé dans l’abîme pour 100 ans. Et vous osez nous tirer dessus avec des balles achetées avec nos propres impôts ? On ne cessera la révolution que jusqu’à la mort », s’insurge Almamy, âgé de moins de trente ans.

Les manifestants demeurent convaincus qu’ils ont été attaqués par la FORSAT dans la nuit du 11 au 12 juillet. Et, à ce sujet, il se murmure ci et là que des personnes parlant des langues étrangères auraient fait partie des auteurs de l’attaque. Raison de plus pour assurer à l’Imam Dicko une sécurité maximale. « Nous demandons qu’IBK, ancien Président de la République depuis le vendredi 10 juillet, libère les locaux du service public. J’ai été sur le pont et chez Manassa. L’unité qui nous attaque à balles réelles est la FORSAT. Nous protègerons l’Imam Dicko jusqu’à la mort. Dans la nuit du 11 au 12 juillet,  j’ai essuyé des balles et ramassé des corps sans vie ici. Tuer son peuple à cause du pouvoir, c’est honteux et malhonnête », s’indigne Boubacar, la trentaine.

Moussa, 27 ans, temporise. Il pense que ce sont des Maliens qui tirent sur des Maliens. Cependant, il n’oublie pas le sacrifice consenti par tous ceux qui sont morts lors de la contestation. « Chères forces de l’ordre, sachez que cette révolution c’est pour vous que nous la menons. Nul n’a le monopole de la violence. Nous savons aussi être violents, mais nous nous abstenons parce que nous sommes tous d’une même famille. Ceux qui sont morts ne le seront pas en vain. Nous sommes déterminés à mourir pour la cause pour laquelle vous avez été tués. Je jure au nom du Saint Coran qu’IBK va partir ». À peine a-t-il fini de parler que quelques pétarades se font entendre au loin. Et un camarade de Moussa s’empresse de nous montrer la douille d’une balle qui leur aurait été tirée dessus par les forces de l’ordre le matin, au niveau du Palais de la culture.

Riposter avec les moyens du bord

Face aux gaz lacrymogènes et aux « balles », les jeunes manifestants se défendent avec des lance-pierres et des cocktails molotov. Ces derniers n’atteignent pas les forces de l’ordre, à cause de la distance qui sépare les deux parties. C’est pourquoi la primauté est donnée aux lance-pierres, avec des billes comme projectiles. Tout au long de la journée, on en a acheté des dizaines afin d’équiper les contestataires. À chaque distribution, c’est le tohu-bohu total. Tout le monde voudrait en avoir, laissant les distributeurs à la merci de violentes bousculades. Cependant, un manifestant prévient : « que tous ceux qui sont dotés de lance-pierres partent sur le terrain des affrontements ou qu’ils les cèdent à ceux qui sont prêts à y aller ». Mais cette déclaration n’est pas suivie d’effet.

C’est cela qui caractérise ce mouvement de jeunes en furie : l’absence de leadership. Tout le monde propose quelque chose. On ne s’entend pas et les forces sont éparpillées, mettant ces contestataires à la merci des forces de l’ordre. Tantôt on propose de s’attaquer au commissariat du quatrième arrondissement, tantôt on pense que l’occupation des services publics serait un grand coup médiatique.

D’autres se démarquent de ces propositions et optent plutôt pour le blocage des trois ponts de la ville, quoiqu’il puisse en coûter. Alors qu’on discute stratégie, un jeune de moins de quinze ans est accueilli en héros. Il apporte un gilet pare-balles et une tenue des forces de l’ordre, récupérés lors d’un accrochage. On l’emmène dans la mosquée pour un débriefing et la mise en sécurité du « butin ». De quoi galvaniser le reste des manifestants. Cette fois-ci, c’est la détermination qui domine. On siffle en guise de rassemblement pour donner de nouvelles consignes. Et c’est armé de lance-pierres et de billes, les masques contre la Covid-19 servant de barrières aux gaz lacrymogènes et de garantie d’anonymat, que l’on reprend la contestation. Badalabougou, bien que l’épicentre de la lutte, n’est pas le seul quartier où les jeunes bamakois ont affronté les forces de l’ordre. Les nuits des 11 et 12 juillet ont été longues et « chaudes » en Commune III. Notamment à Bamako-Coura et à Dravela Bolibana, où des jeunes, voulant répondre selon certains à l’appel à la désobéissance civile, ont érigé des barricades sur une grande artère menant vers le Boulevard de l’Indépendance, rendant impossible toute circulation. Âgés de 14 à près de 30 ans pour la plupart, « guidés » certaines fois par des « grands frères » du quartier. La nuit du 12 a été particulièrement intense, après ce qu’ils considèrent comme une déconvenue, le 11 juillet, lorsque certains ont profité du chaos ambiant pour piller les locaux de la mairie, emportant mobiliers de bureau et même les cartons d’eau minérale. « Ce ne sont que des voleurs, nous n’avons rien à voir avec eux », s’emporte Demba, 28 ans. À la question de savoir pourquoi il combat, il répond « pour l’adrénaline de la confrontation et pour défendre nos frères ». À l’instar de Demba, les jeunes se sont bien préparés. Les grillages du terrain de football de Bolibana, construit lors du Cinquantenaire de l’indépendance et arrachés lors d’une forte nuit de tempête il y a deux ans, vont servir de barricades, afin d’empêcher le passage des véhicules de forces de l’ordre. « Cela va les bloquer, nous en profiterons pour les attaquer », affirme Seydou, 16 ans. Un espoir de courte durée. Quelques minutes plus tard, un blindé de la gendarmerie découpe les grilles métalliques, ouvrant le passage à un pick-up de la police depuis lequel les agents lancent des gaz lacrymogènes sur les protestataires. Les yeux embués, cherchant son souffle, Demba se questionne sur le produit utilisé par les forces de l’ordre, différent selon lui de celui de la veille. « Celui-ci pique très fortement », juge-t-il. Mais pas de quoi entamer leur détermination. Se cachant derrière les véhicules, ils attendent que les forces de défense aient fini de lancer leurs salves pour riposter avec des jets de pierre. Un jeu du chat et de la souris qui finit par lasser. Soudain, des crépitements éclatent, entraînant un mouvement de panique. « Ce sont des balles réelles », jure Demba. Ni lui, ni les autres protestataires n’arrivent à le confirmer. Au loin, ils croient distinguer l’arrivée de renforts. « Ce pourrait être la FORSAT », d’où cette déduction. Au milieu d’une bataille rangée, ils se souviennent des morts du 11 juillet. 

Lourd tribut  

Selon le Secrétaire général du ministère de la Santé, à la date du 13 juillet les différentes échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre avaient occasionné la mort de 11 personnes des deux côtés et plus de 158 blessés. La quasi-totalité des victimes sont des jeunes, voire des adolescents, à l’image du garçon de 17 ans tué par balle le 11 juillet dernier près de la maison de Manassa Danioko, l’ancienne Présidente de la Cour constitutionnelle. À côté des leaders du M5, qui ont brillé par leur absence suite à leur arrestation au lendemain du premier jour des contestations, ils sont des dizaines de jeunes contestataires entassés dans différents « violons » de la capitale. À en croire le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, 35 personnes sont concernées par des enquêtes du Parquet du tribunal de grande instance de la Commune 4. 3 ont été placées sous mandat de dépôt et 7 mineurs conduits devant le Procureur de la République du tribunal pour enfants de Bamako. En outre, plusieurs autres manifestants, arrêtés à Badalabougou, fief de la contestation, ont été libérés par le commissariat du 4ème arrondissement à la suite de missions de bons offices.

Boubacar Diallo

Journal du Mali

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