Quartier de la commune IV du district de Bamako et situé sur les
hauteurs de la capitale malienne, Lassa n’échappe pas à la grève du
Collectif des syndicats des enseignants signataires du 15 octobre 2016
qui paralyse l’école publique malienne depuis plus d’un mois. Des
parents et certains directeurs ne cachent plus leur ras-le-bol face à cette
«situation catastrophique pour l’avenir de nos enfants», comme l’a
déploré Gaoussou, un père de famille dépité.
Ce mercredi (5 février 2020), il est presque 7h30 quand nous nous arrêtons
devant l’établissement «Ecole fondamentale Sibiry Coulibaly» de Lassa.
D’habitude, à cette heure, la cour est envahie et les retardataires se
dépêchent avant que la cloche ne sonne la reprise des cours à 8h. Mais,
aujourd’hui, la cour est désespérément vide. Juste deux gamins et une gamine
qui jouent au football.
Plus tard, nous allons découvrir d’autres élèves prenant le thé à l’ombre des
nombreux manguiers du village-quartier. Et sur le chemin du retour, nous
avons aussi croisé un groupe d’adolescentes qui revenaient du marché de
Lafiabougou où elles ont été payer les condiments afin de faire la cuisine.
«Chacun se débrouille comme il peut pour tuer le temps en attendant que les
enseignants reviennent à de meilleurs sentiments», confie Koro, sans doute la
moins timide et la plus audacieuse.
«Cette situation n’arrange personne. Avec l’école, nous pouvons descendre
tranquillement vendre nos produits dans les marchés de la commune et payer
en retour de quoi préparer le déjeuner et le dîner pour la famille. Mais, avec la
grève, nous sommes condamnés à traîner les petits enfants avec nous parce
que, avec l’insécurité, ce n’est pas prudent de les laisser seuls à la maison»,
déplore Salimata, une brave mère de famille allant au marché de Lafiabougou
flanquée de deux enfants qui ont entre 5 et 10 ans.
Et malheureusement, rien ne prouve que leur calvaire va bientôt finir.«Les
grèves ont commencé à la veille des congés de Noël (décembre). Nous avons
néanmoins pu organiser l’examen du premier trimestre. Malheureusement les
résultats n’ont pas pu être encore proclamés car les enseignants grévistes
détiennent les copies)corrigées», souligne M. Issa Traoré, Directeur du
second cycle de l’école fondamentale «Sibiry Coulibaly» de Lassa. Avec un
effectif de 276 élèves, cette direction compte six professeurs tous en grèves.
«Je passe seul la journée à l’école depuis un mois.) C’est la désolation totale
au niveau de la direction et des parents. Les enfants viennent et repartent. Tu
ne sais même plus quoi leur dire», déplore M.Traoré.
Comme beaucoup de ses collègues directeurs, il est très préoccupé pour la
classe d’examen du Diplômes d’études fondamentales (DEF). «A cause des
perturbations de l’année scolaire passée, nous n’avons pu réaliser que 17 %
de réussite au DEF contre 98 % la précédente année», déplore le directeur.
C’est pourquoi, il a pris ses responsabilités en dispensant lui-même des cours
(français, anglais, histoire et géographie) aux élèves de cette classe.
Le public se vide au profit du privé qui refuse du monde
Une aubaine que presque seule la moitié de la classe (une trentaine sur un
effectif de 70 élèves) a décidé de saisir. Quant aux parents, ceux qui ont les
moyens ont tiré les enseignements en inscrivant leurs enfants dans les cinq
écoles privées du quartier. «Elles sont bondées car le coût de scolarisation est
fixé en fonction du niveau de vie des habitants», a indiqué Issa Traoré.
«Cette année, notre effectif a considérablement augmenté. Et je suis sûr que
c’est à cause de la grève qui a paralysé l’école publique l’année dernière», a
reconnu Ibrahim Dramane Kéita, promoteur du «Collège privé Awa Coulibaly»
(CAC).
Cet établissement compte six classes (de la première à la 6e année du
fondamental) fréquentées par 286 élèves. Malgré des tarifs bas par rapport à
la moyenne (2500 à 4000 F CFA par mois), de nombreux parents ont du mal
à s’acquitter de leur engagement financier. «Je rentre à la maison parce que
mon père doit plusieurs mois à l’école. J’ai donc été renvoyée en attendant
que ma situation soit régularisée», nous confie une adolescente que nous
avons croisée sur la route de Lassa avec l’une de ses camarades qui est aussi
dans la même situation.
«Il est vrai que nous accueillons beaucoup plus d’élève cette année. Mais,
notre souhait n’est pas que cela soit aux dépens de l’école publique parce que
nous constituons les deux maillons de notre système éducatif», a souligné M.
Kéita. «Nous sommes complémentaires. Et personne ne doit souhaiter
aujourd’hui la paralysie destructrice de l’école publique dont nous sommes
tous les produits», a défendu Goumar Ag Achewal, enseignant au collège
privé riche de sa vingtaine d’années d’enseignement.
Des patriotes qui ne demandent qu’â être convaincus de la sincérité du
gouvernement
«Nous demandons à nos camarades enseignants de penser à l’avenir des
enfants. Nous avons été encadrés par des enseignants qui travaillaient et
vivaient dans presque la totale précarité. Ils étaient mal payés et cumulaient
des arriérés de salaires, mais ils n’ont jamais abandonné leurs élèves. On ne
peut jamais payer assez un enseignant. Sans compter que le gouvernement a
beaucoup fait pour améliorer les conditions des enseignants», plaide Kéita.
Quant au directeur du second cycle de l’Ecole Sibiry Coulibaly, c’est le
président Ibrahim Boubacar Kéita qui doit s’assumer. «Après sa réélection en
2018, le président de la République a dédié ce second mandat à la jeunesse.
Il ne peut donc pas continuer à fermer les yeux alors qu’on est en train de
qualifier l’avenir des millions d’enfants», indique pour sa part Traoré.
«Je suis convaincu que si le Chef de l’Etat invite aujourd’hui les leaders
syndicaux pour discuter avec eux en toute franchise en leur montrant les
limites actuelles du Trésor public, nos camarades vont comprendre et vont
reprendre la craie car ce sont des patriotes», conseille-t-il. Et de renchérir, «si
IBK invite les enseignants à Koulouba et qu’il s’adresse à eux en toute
sincérité et en toute franchise comme il l’a fait le 5 octobre 2019 à l’occasion
de la Journée de l’enseignant, je suis convaincu que cela peut faire bouger)les
lignes. C’est pourquoi je suis convaincu que le Chef de l’Etat est le seul à
pouvoir débloquer la situation actuelle». Ce jour, IBK avait engagé le
gouvernement à redonner à l’enseignant sa valeur historique.
Il faut signaler que le collectif des syndicats des enseignants signataires du 15
octobre 2016 (SYLDEF, FENAREC, COSES, SNEC, SYPESCO, SYNEB,
SYNEFCT, SYNESEC…), après deux grèves de cinq jours chacune en
décembre 2019 et en janvier 2020, a entamé le 21 janvier un nouvel arrêt de
travail 14 jours (336 heures) allant du mardi 21 au vendredi 24 janvier 2020,
du lundi 27 au vendredi 31 janvier 2020 et du lundi 03 au vendredi 07 février
2020 inclus.).
Ils exigent l’application immédiate de l’article 39 de la Loi N°2018-007 du 16
janvier 2018, portant Statut du personnel enseignant de l’Enseignement
fondamental, secondaire et de l’Education préscolaire et spéciale.
Moussa Bolly/lecombat