Les juges devant lesquels sont référés les litiges sont confrontés à un casse-tête juridico-coutumier qui ne rend pas aisé la prise de décisions de justice irréfutables
La traversée des animaux des zones exondées vers les pâturages de bourgoutières est un événement d’une importance socio-culturelle inestimable pour les communautés pastorales de la région de Mopti. A l’occasion, les populations qui ont hérité de cette tradition multiséculaire, organisent de grandes manifestations culturelles et folkloriques. Mais, très souvent ce caractère festif est entaché de conflits entre les acteurs de la profession élevage. Le gouverneur de la région de Mopti, Kaman Kané, n’a-t-il pas rappelé une des citations du poète et écrivain malien de la région, Amadou Hampaté Ba qui écrivait que les traversées des animaux sont très souvent empreintes de conflits. Ce casse-tête et ses multiples enchaînements sont durement ressentis par la justice régionale, notamment au niveau du Tribunal de première instance de Mopti. En effet, le TPI de Mopti est régulièrement assailli des plaintes formulées en lien avec l’exploitation des bourgoutières. Car, l’enjeu est la propriété exclusive de la terre autour de laquelle se trament tous les conflits. Le TPI de Mopti a fait une communication qui relate toutes les difficultés auxquelles, il est confronté pour juger les cas de litiges fonciers liés au bourgou. Absence de normes écrites. La terre précieuse est une source de convoitises et de litiges souvent très meurtriers entre agriculteurs eux-mêmes, entre agriculteurs et éleveurs, entre éleveurs, entre éleveurs et pêcheurs, entre pêcheurs eux-mêmes, ou entre pêcheurs et agriculteurs. Car, elle nourrit l’homme (les produits agricoles, viande, lait, poissons, produits de cueillette.), mais aussi le bétail avec le « bourgou ». Il faut noter que les bourgoutières représentent des sources intéressantes d’argent, car pouvant rapporter la coquette somme de 30 millions Fcfa par an et voire plus. En fait, les conflits autour du bourgou résultent de la coordination de plusieurs facteurs. Sur le plan doctrinal, il existe deux grandes thèses qui s’affrontent en matière de propriété coutumière des terres de cultures et des pâturages à savoir la thèse du premier occupant et la thèse du dernier conquérant. De nos jours, il est constamment admis la primauté de la dernière, celle du dernier conquérant. Par ailleurs, une autre explication de ces conflits demeure la multiplicité des pouvoirs qui se sont succédé et qui géraient différemment la terre et les pâturages. En effet, la zone aurait été successivement sous le règne des Ardos (17ème, 18ème et début du 19ème siècle), de la Dina de Sékou Amadou (1818 à 1860), des Toucouleurs de 1860 à 1894, la colonisation française de 1894 à 1960 et maintenant de la république du Mali de 1960 à nos jours. L’absence de normes écrites en la matière occasionne aussi des velléités chez certaines personnes qui sont enclines à tourner le sens des coutumes, à les interpréter seulement dans le sens de leurs intérêts. Car, ni les réformes anciennes, ni la législation en vigueur n’ont pu apporter véritablement des réponses adéquates aux différentes manifestations du foncier rural et pastoral. Les germes des difficultés. Une partie importante et la plus délicate d’ailleurs, de ce contentieux est sous l’emprise du droit coutumier qui a subi la corrosion du temps, les incertitudes de vagues connaissances et la complaisance des hommes. Il s’ensuit que le juge, comme les assesseurs en matière coutumière, se trouvent en face d’un iceberg juridique dont l’immense partie est noyée dans l’imprécision de la règle et des souvenirs, l’ombre obscure provoquée par le temps et les manœuvres dilatoires du présent. Devant ces incertitudes, le juge est désarmé ou plutôt mal outillé lorsque ces problèmes lui sont déférés, car ils portent en eux mêmes les germes des difficultés de leur résolution. Ces difficultés de résolution font de ces litiges de véritables casse-têtes chinois pour le juge chargé de les trancher. Celui-ci n’a à sa disposition, pour ce faire, aucun texte écrit, les coutumes qui régissent la matière n’étant pas codifiées. Or, le juge doit quand même trancher sous peine de commettre un déni de justice. Ceci fait que le règlement de ces litiges procède d’une véritable gymnastique intellectuelle assez déplaisante. Avec la complexité du système hybride et la densité des systèmes de production, les conflits de pêcheries, de bourgoutières s’intensifient de plus en plus. Quelle peut être la meilleure approche possible pour y apporter une solution ? Modibo Coulibaly, Substitut du Procureur près le Tribunal de première instance (TPI) a expliqué la gestion des dossiers de conflits liés à l’exploitation des pâturages et la sécurisation des personnes et leurs biens dans la région de Mopti. Il a évoqué quelques cas juridiques de conflits de bourgou et le règlement judiciaire des litiges y afférents et dans un deuxième temps le rôle et la place des institutions coutumières et étatiques dans la prévention des litiges fonciers. Nous reviendrons sur quelques uns de ces conflits qui ont émaillé les assises du TPI de Mopti dans nos prochaines parutions.
M. COULIBALY
source ; essor