Si l’intervention des militaires a été saluée par une bonne partie de la population, cependant en tergiversant sur le choix des acteurs en vue de conduire la transition, ils donnent ainsi l’occasion aux opportunistes de s’approprier de la victoire des contestataires du régime d’IBK.
Mardi, 18 août 2020, un groupe de militaires ont mis fin au régime autocratique du président Ibrahim Boubacar Keïta suite à une mutinerie intervenue dans la garnison de Kati, à 15 km de Bamako. Aux dires des mutins, avec à leur tête, le colonel Assimi Goïta, loin d’être un coup d’État, leur intervention vient parachever le combat entamé depuis des mois par le peuple malien incarné par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Cependant, l’on constate une certaine contradiction entre les dits et les faits. Erreur stratégique ou complot déguisé contre le M5-RFP ? En tout cas la question mérite d’être posée.
Doit-on parler d’erreur stratégique ? En analysant la démarche du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), en vue de la mise en place d’une transition, l’on peut être tenté d’y croire. En effet, après avoir, disent-ils, parachevé le combat mené par le M5-RFP, l’on s’attendait à une collaboration franche entre ces militaires du CNSP et le M5-RFP. Le tandem CNSP-M5-RFP semblait bien le mieux indiqué pour diriger légitiment cette transition.
Certes, sans un esprit revanchard, leur succès héroïque leur conférait toute la légitimité pour constituer l’ossature de cette transition afin de poser les jalons de ce changement promis aux Maliens et pour lequel ils ont été suivis par ces derniers. En rompant ce lien ombilical tissé entre eux et le M5-RFP et en allant chercher des conseils en dehors de ce cadre, le CNSP entend répondre à cette volonté de vouloir rassembler tous les Maliens. Mais se rend-il compte qu’il est impossible de vouloir satisfaire tout le monde ? Dans une révolution il y a toujours deux forces principales à savoir les forces progressistes, acquises au changement et les réactionnaires qui, réfractrices au changement, sont prêtes à tout mettre en œuvre pour faire barrière à toute tentative ou tout simplement tout désir de récupérer le mouvement. Cela est une réalité historique. Ce choix du CNSP de s’ouvrir à tous, il est évident qu’il le conduit directement à sa chute. Parce qu’il est impossible de faire du nouveau avec l’ancien. Il faut rêver de se voir soutenir par ceux-là à qui vous avez arraché le pouvoir.
Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) doit se rendre compte que ces anciens dignitaires du régime ne se croiront jamais vaincus et tous les moyens sont bons pour ressusciter. Depuis la chute du régime autocratique du président IBK, l’on voit surgir par-ci, par-là des “experts en transition“. Comme le ridicule ne tue pas, ceux-là qui se sont battus bec et ongles pour défendre le régime si ce sont les mêmes qui viennent se présenter en “messie“, l’on a droit à se demander où l’on va ?
Pire, ces vastes campagnes médiatiques visant à discréditer toute la classe politique et inviter les militaires à conserver le pouvoir, tous ceux- ci relèvent d’une seule et unique volonté : faire capoter le mouvement ou à défaut le récupérer. Ce qui doit être compris par les militaires, c’est qu’il ne faut jamais se tromper d’amis
Complot déguisé ? Tout porte à y penser. “Nous sommes venus parachever votre combat mené depuis longtemps contre la mauvaise gouvernance”, peut on comprendre dans les premiers propos tenus par la junte au lendemain de la démission du président IBK, pour justifier leur immixtion sur la scène politique. S’ils ont été salués et applaudis par l’ensemble du peuple malien incarné par le M5-RFP et a tenu à magnifier son soutien indéfectible à travers un meeting géant organisé à la place de l’Indépendance, vendredi, le 21 août 2020.
Cependant, les agissements de la junte de ces derniers temps sèment la confusion et le doute dans l’esprit de bon nombre de Maliens. Bien que comblés avec le départ d’IBK, ou nombreux sont-ils aujourd’hui qui n’arrivent pas à s’empêcher de se poser des questions non seulement la facilité par laquelle les militaires ont réussi à renverser ce régime qui, à coup sûr, s’apprêtait à tout mettre pour asseoir son autorité. Certains ne manquent pas à se demander si ce coup d’État ne fut pas un plan planifié entre le président IBK et les militaires ?
En tout, cas une chose est claire pour tout le monde, c’est que les protestations enclenchées par le M5-RFP étaient telles que les pressions devenaient de plus en plus insoutenables, le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta ne tenait plus qu’à un fil. Alors, IBK et son régime se sont trouvés face à un dilemme à savoir faut-il démissionner ou faut-il continuer à faire de la résistance et regarder le pays sombrer dans le KO ? Face à la radicalisation de plus en plus du mouvement, l’urgence s’imposait de se déterminer.
Ainsi, l’occasion n’était-elle pas bien trouvée pour passer un accord secret avec les militaires afin de pouvoir obtenir une sortie plus ou moins honorable de l’histoire du Mali ? La question ne mérite-t-elle pas d’être posée quand on sait que nombreux sont des actes posés par la junte qui ont suscité l’attention de bon nombre de Maliens. De l’arrestation du président sans résistance aucune de la part de la garde présidentielle à la déclaration tardive de sa démission, déclaration intervenue dans les environs de une heure du matin, à la fuite de son fils Karim Keïta vers la Côte d’Ivoire, malgré le couvre- feu en vigueur depuis le renversement du régime, plus d’un malien s’y interroge, comment est-ce que tous ceux-ci ont été rendus possibles? Seul le temps nous donnera réponse à ces questions.
Daouda DOUMBIA
Inter De Bamako