Qu’est-ce qui pousse des individus à se radicaliser ? A basculer dans la violence terroriste ? Les attentats dans le monde occidental ont rendu cette question brûlante. En France, plusieurs courants existent pour tenter d’expliquer la démarche des djihadistes.
Que se passe-t-il dans la tête d’un djihadiste ? Pourquoi s’engage-t-il ? Pourquoi bascule-t-il dans le terrorisme ? Voilà ce qu’essaient de percer les chercheurs qui se penchent, depuis quelques années, sur la question de la radicalisation « islamique ». Pour comprendre et pouvoir, par la suite, mettre en œuvre des politiques publiques contre la radicalisation.
Il a fallu du temps, avant que la recherche scientifique ne se penche sur cette question. Il a surtout fallu deux évènements déclencheurs : d’abord le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, au cours duquel le le monde a découvert la menace terroriste islamiste et son ampleur. Un éléctrochoc, alors que les questions de la radicalisation des jeunes musulmans et la montée du groupe terroriste Al-Qaida n’étaient clairement pas auparavant dans les priorités de la recherche spécialisée dans le terrorisme.
Un autre tournant, a été celui des attentats du 7 juillet 2005 dans le métro londonien : ces attentats sont commis par quatre jeunes hommes musulmans élevés et apparemment socialement bien intégrés en Grande-Bretagne. Apparait ainsi que la menace terroriste liée à l’Islam radical n’était plus seulement en provenance du Moyen-Orient, mais également domestique.
Débat virulent en France
En France, le débat est virulent sur les voies de la radicalisation. Quatre grandes thèses s’affrontent, résumées par Xavier Crettiez et Bilel Ainine en préface de leur livre Soldats de Dieu, paroles de djihadistes incarcérés.
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1Une lecture salafiste du Coran
La première thèse est portée par Gilles Kepel politologue français, spécialiste de l’islam, professeur à Sciences Po. Il établit un lien de causalité presque directe entre « la lecture salafiste des textes coraniques » et la « mise en place de stratégies violentes aux finalités politiques déstabilisatrices pour l’ordre occidental ».
La violence serait donc le résultat d’une lecture singulière du Coran, proposée par diverses canaux, dont des mosquées radicalisées, à des jeunes désœuvrés, « et aisément manipulables ».
Une solution contre la violence armée djihadiste serait donc un contrôle accru à cette lecture.
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2Une forme d’engagement dans la violence armée
Autre position, plutôt inverse, est celle d’Olivier Roy, professeur à l’institut universitaire européen. Il compare la radicalisation djihadiste à d’autres formes d’engagements dans la violence armée, comme les mouvements ultragauche des années 1970. L’origine de cette violence n’est pas tellement dû à la religion qui n’est qu’un prétexte, mais plutôt le « geste contestataire générationnel exprimant une fascination mortifère ».
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3Une idéologie anti-impérialiste
Une troisième thèse, moins médiatisée, est portée par François Burgat, islamologue et directeur de recherche à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. Lui met en avant la dimension idéologique. L’islamisme armé contemporain serait pour lui une « réaction directe aux effets de la colonisation », et le djihadisme serait un combat politico-militaire fondé sur « une lecture tiers-mondiste et anti-impérialiste » du monde.
En clair, le désordre géopolitique qui a suivi la décolonisation, puis les interventions occidentales, conduisent à une véritable critique qui fait basculer dans la radicalisation armée.
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4Une lecture psychanalytique de la radicalisation
La dernière thèse est psychologique, défendue par Fethi Benslama, psychanalyste. Lui pense que plusieurs éléments conduisent au djihadisme armé : un « idéal islamique blessé » qu’il faut venger en s’en prenant aux responsables désignés (l’Occident, les chiites, les Juifs) ; l’accès à la toute-puissance pour des jeunes en souffrance ; une possibilité de purification dans la violence djihadiste qui effacerait les années de délinquance et de péchés ; et la découverte d’un monde de pureté, en opposition à l’univers de corruption représenté par l’Occident laïque, résument Xavier Cretiez et Bilel Ainine.
Les deux auteurs estiment eux que chacune de ces thèses est « vraie », ou en tout cas qu’elles comptent toute une part de vérité, et que leur opposition est stérile.
Reste que un autre problème se pose pour les chercheurs, ce qui ne facilite pas le travail, comme l’a relevé Olivier Roy lors d’un débat consacré au sujet : l’échantillon accessible à la recherche est plus que limité, il est faible. En effet, les seuls individus radicalisés auxquels un chercheur peut accéder sont ceux qui sont en détention. Mais pour des raisons juridiques, seuls ceux qui sont condamnés sont accessibles. « On travaille tous sur quelques dizaines de personnes comme il n’y a pas beaucoup de djihadistes, on va tous voir les mêmes. Il y a plus de djihadistes dans les bouquins qu’en réalité », prévient, un peu cynique Olivier Roy. « Et s’ils sont tous classés dans la catégorie djihadistes, tous ont tous des histoires différentes. » Dur donc, d’en tirer des conclusions fortes.