Devenu général de corps d’armée, le tombeur du « Vieux Commando » poursuit le grandiose festin qu’il avait entamé au Comité de réformes de l’armée. En attendant mieux ?
Dans la millénaire histoire du Mali, deux hommes n’ont pas matière à se plaindre : l’ancêtre Kankou Moussa et le contemporain Amadou Haya Sanogo. Kankou Moussa était riche comme Nabuchodonosor: en 1324, à la tête d’un millier d’esclaves et de chevaux chargés d’or, il a effectué le pèlerinage à la Mecque; à force de distribuer des lingots sur son passage, il a fait chuter, pendant 10 ans, le cours mondial de l’or. S’il vivait encore, il aurait sans doute été traduit par le Vérificateur Général devant la Cour Pénale Internationale pour génocide financier. Quant à Amadou Haya Sanogo, il n’est pas empereur, certes, mais il n’en est plus très loin puisqu’il vient de passer général de corps d’armée. Le plus haut grade malien de tous les temps! Même le général Abdoulaye Soumaré, fondateur de l’armée malienne, n’a pas eu droit à tant d’honneur.
Pour passer de capitaine à général de corps d’armée, Sanogo a brûlé les étapes à la manière d’une fusée de l’opération Serval. Il a sauté la bagatelle de sept grades: commandant, lieutenant-colonel, colonel, colonel-major, général de brigade, général de division et général d’armée. On mesure mieux le chemin parcouru quand on se souvient que Sanogo n’était, jusqu’au 20 mars 2012, qu’un simple capitaine sous le coup d’une mise à pied et qui, bien entendu, roulait en moto Jakarta. Comme quoi, quand on veut faire une carrière rapide, il suffit de lire, à la télé, un communiqué de chasse dénonçant « l’incompétence de monsieur Amadou Toumani Touré » !
A la vitesse où se déroule la promotion du capitaine, il a toutes les chances de devenir un jour maréchal. A moins qu’il ne décline l’offre car l’histoire se montre ingrate envers les maréchaux et plutôt clémente envers les généraux. A preuve, le maréchal Mobutu Sese Seko, l’homme à la toque de léopard, a dû fuir le Zaïre, malgré son grand âge, et finir ses jours en terre d’exil du Maroc. Quant au Maréchal français Philippe Pétain, chacun sait le déshonneur qui le poursuit, même dans la tombe. Au contraire, les généraux meurent tranquillement dans leur lit après une vie de bombance, à l’instar du Français Charles De Gaulle, de l’Américain Dwight Eisenhower ou, plus près de nous, du Guinéen Lansana Conté. A l’image des trois personnages sus-nommés, un général qui gère bien ses trois ou quatre étoiles finit toujours par gouverner son peuple. C’est dire que notre général de corps d’armée a un riant avenir devant lui…
En attendant de devenir calife à la place du calife, le capitaine, pardon !, le général Sanogo fait la fête. Déjà, il avait du…festin sur la planche depuis que Dioncounda Traoré l’avait porté, avec tambour et trompette, à la tête du Comité machin chargé des réformes militaires. Dans ce Comité, on ne meurt surtout pas de faim. Du président du Comité, Sanogo, aux membres des cellules, en passant par ceux des commissions et des ateliers, tout le monde se lèche les coudes avec des salaires et des primes triplant ceux des ministres en exercice. Et s’il y a une chose que messieurs les reformateurs de l’armée détestent, c’est qu’on trouble leur festin par des propos déplacés. Boukari Daou, l’impertient journaliste qui aimait gloser sur ledit festin en sait quelque chose: il a passé le plus clair du trimestre écoulé dans les geôles de la Sécurité d’Etat.
Bardé de ses nouveaux galons, le généralissime de Kati restera-t-il président du Comité de reformes ou deviendra-t-il, comme cela se murmure, chef d’état-major des armées ?Il appartient désormais à Ladji Bourama, le nouveau maître du palais, de répondre à la question. Sanogo continuera-t-il à demeurer à Kati ou emménagera-t-il dans une résidence plus digne de son rang ?Les mauvaises langues racontent qu’il pourrait se voir bientôt affecter, à l’ex-base aérienne de Bamako, la splendide résidence que le « Vieux Commando » était en train d’aménager pour ses vieux jours. Cette résidence a vraiment tout pour plaire. Le nouveau général, dans son uniforme flambant neuf, y logera juste à côté du Premier Ministre (dès fois que celui-ci, comme l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, aurait besoin d’une âme charitable pour « faciliter » son départ…). Le général y mangera en plein air, à l’abri des mendiants politiques de Yerewolo Ton ou de la COPAM qui regrettent fort qu’au lieu de leur fameuse Convention Nationale, il y ait plutôt eu des élections remportées, à leurs dépens, par Ladji Bourama. De plus, nuit et jour, le compère galonné entendra chanter les oiseaux nichés dans les frondaisons touffues, ce qui, de l’avis de spécialistes comme l’éminent docteur Oumar Mariko, procure une santé de fer et la longévité de Noé. Pour ne pas trop s’ennuyer dans son petit paradis terrestre, Mon Général aura tout le loisir d’animer des causeries nocturnes avec son ancien directeur de cabinet propulsé lui aussi général: Moussa Sinko Coulibaly. On commençait à s’inquiéter pour ce Moussa depuis que Soumaila Cissé avait demandé son éviction du gouvernement suite à ses analyses politiques prématurées; mais il y a eu plus de peur que de mal: l’homme des « tendances » électorales retombe sur ses deux pieds, devenant général de brigade du jour au lendemain, au saut du lit.
Quelques esprits chagrins se demandent pourquoi le président Dioncounda Traoré bombarde Sanogo au plus haut grade de l’armée. Si vous voulez la réponse, il vous suffit d’inverser la question: Dioncounda serait-il devenu président sans Sanogo ? En chassant le « Vieux Commando » du palais, l’officier a offert un raccourci à Dioncounda qui, au moment des faits, n’était que candidat et courait le risque de se faire devancer aux suffrages par Ladji Bourama, Soumaila ou Modibo Sidibé. Sanogo n’a pas seulement épargné à Dioncounda les aléas d’une compétition électorale; il lui a aussi enlevé des pieds l’épine Cheick Modibo Diarra, l’homme aux « pleins pouvoirs » devenu si puissant qu’il ne savait plus à qui remettre sa démission dans un pays pourtant vaste de 1.240 000 km2. Certes, Dioncounda, dans l’intervalle, a reçu la visite de bastonneurs inconnus mais c’était juste là un sacrifice rituel pour provoquer l’intervention des Français contre les jihadistes du nord.Et puis, ceux qui critiquent le grade de Sanogo feraient bien de consulter les archives:Balla, de simple lieutenant, a fini général d’armée après avoir déposé le président Modibo Kéita en 1968; le « Vieux Commando », lieutenant-colonel lors de son putsch du 26 mars 1991, est passé général de brigade un an plus tard. Amnistie personnelle et statut d’ancien chef d’Etat à la clé. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, le droit n’est que la codification des rapports de force…
A présent, une interrogation majeure subsiste: Sanogo ne se déplace qu’à bord d’une colonne armée de 4X4 rutilants; s’il lui arrive de croiser le convoi de Ladji Bourama, qui va céder le passage ? De la réponse à cette question dépend la qualité de ses relations avec le nouvel hôte de Koulouba. En tout cas, Ladji Bourama l’avait déjà dit: « Il n’y aura pas deux capitaines dans mon bateau ». Avant même de prendre ses fonctions, il a tenu parole puisque le capitaine Sanogo a cessé d’être capitaine…
Tiékorobani
Source: Le Procès Verbal