Malgré des sujets aussi graves que préoccupants comme la guerre commerciale sino-américaine ; la situation explosive dans le détroit d’Ormuz ; les massacres causés par des suprémacistes blancs aux USA ; le réveil brutal du volcan de la rivalité indo-pakistanaise à propos du Jammu-et-Cachemire ; l’instabilité des principales places boursières…, la presse internationale a abondamment traité, la semaine dernière, des déboires financiers de Harland& Wolff, le chantier naval de Belfast (Irlande du Nord) qui a construit le mythique paquebot Le Titanic. Une rapide revue des « Unes » laisse envisager, sans équivoque, que le Titanic coule à pic cette fois-ci pour de bon, sans aucune alternative de sauvetage : « Le mythique chantier naval du Titanic vers la faillite » (Paris-Match) ; « Le chantier naval du Titanic en passe de sombrer dans l’abysse de la faillite » (Figaro) ; « Harland& Wolff : le chantier du Titanic au bord de la faillite » (Euronews) ; « Le chantier naval du Titanic fait faillite » (Le Soir) ; « Clap de fin pour le chantier naval qui a construit le Titanic » (Capital.fr) ; « Le chantier naval du Titanic fait faillite » (tdg.ch).
Pour le grand public, qu’il soit amateur ou non des salles obscures, Le Titanic, c’est la méga-production (20th Century Fox et Paramount Pictures) réalisée par le canado-américain James Cameron en 1997 pour un budget pharaonique de 200 millions de dollars. Et comme si rien ne devait l’arrêter James Cameron battra ce record en 2009 avec le film de science-fiction Avatar pour 400 millions de dollars.
Parler du Titanic, c’est tout simplement aligner des superlatifs. Selon Wikipédia, « Le film est resté pendant une période record de 12 ans le plus grand succès de l’histoire du cinéma au box office mondial. Il a aussi égalé le record de onze Oscars en 1998, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. En France, le film aura cumulé un total de près de 20,7 millions de spectateurs (21,8 millions d’entrées avec les reprises), plaçant le film en tête du box-office français de tous les temps). Le film revient dans les salles de cinéma le 4 avril 2012, adapté en 3D, à l’occasion du centenaire du naufrage du Titanic.
Titanic devient un phénomène culturel à travers le monde, ainsi que le film le plus lucratif de tous les temps avec des recettes aux environs de 1,8 milliard de dollars dans le monde entier… ». Et en bonus, on vous offre la bande originale, Myheartwill go on, avec la voix suave et sublime de Céline Dion, qui rappelle que toute l’histoire de cette croisière tragique n’était qu’une ode à l’amour.
En un mot comme en mille, c’est une institution mythique en Irlande du Nord qui prend l’eau de toutes parts, et vouée à partager le funeste sort du plus grand paquebot jamais construit au monde sorti de ses entrailles. Avouez qu’il y a de quoi fouetter un chat et l’émoi de la presse mondiale en général et anglo-saxonne en particulier se justifie amplement. D’autant plus que le 06 août dernier, un cabinet d’audit (BDO) a été désigné administrateur pour entamer une procédure d’insolvabilité devant la Haute Cour de Belfast. Et c’est un doux euphémisme que d’affirmer que le chantier naval de Belfast se débat dans des difficultés financières depuis plusieurs décennies.
Les ouvriers d’Harland& Wolff soutenus par Unite Trade Union, leur syndicat, accusent certes le coup, mais lancent leurs dernières forces dans la bataille à la desperado pour tenter de sauver leur outil de travail. Ils occupent le chantier en espérant qu’une solution-miracle sous la forme d’une nationalisation verra le jour
Ils ont du mal à admettre que ce fleuron de l’industrie nord-irlandaise qui employait plus de 30 000 personnes à son apogée pendant la Seconde Guerre mondiale, soit réduite aujourd’hui à quémander un gilet de sauvetage pour ses 130 employés actuels.
La compagnie pétrolière norvégienne DolphinDrilling, propriétaire de Harland& Wolff, scrute tous les horizons. Mais manifestement, elle peine à trouver le bon Samaritain qui voudrait racheter le chantier naval à la dérive pour une bouchée de pain. Une situation inextricable aggravée par les incertitudes du Brexit et surtout le « no deal » que brandit Boris Johnson à l’horizon du 31 octobre 2019 auquel les européens menacent de répondre par le « backstop », c’est à dire « la clause de sauvegarde qui doit empêcher en dernier recours le rétablissement d’une frontière physique entre la république d’Irlande et la province britannique d’Irlande du Nord ».
In fine, les ouvriers de Belfast sont loin d’être sortis de l’auberge espagnole ; par solidarité prolétarienne, on ne peut que leur exprimer notre soutien et notre solidarité car, ici comme là-bas, le capital international intervient avec les mêmes méthodes brutales dépourvues de tout humanisme : le profit et rien que le profit ! Et si le profit n’est pas assuré, s’il est menacé ou s’il existe des perspectives plus favorables ailleurs, le capital international s’empresse de mettre ses billes à l’abri, ne se préoccupant nullement des drames humains qu’il provoque.
Même si toutes les apparences attestent de l’impossibilité d’éviter le second naufrage du Titanic, les ouvriers d’Harland& Wolff ont le droit et le devoir de s’accrocher à un espoir, si tenu soit-il, de remettre à flot leur mastodonte. Ce serait perpétuer une tradition industrielle remontant à 1861, et surtout honorer la mémoire des 1500 de 2200 passagers qui périrent dans les entrailles du Titanic qui a coulé en avril 1912 au large de Terre-Neuve, lors de son voyage inaugural entre la Grande-Bretagne et New York. Ce serait aussi célébrer la part importante prise par le chantier naval de Belfast dans la victoire contre les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale puisqu’il a fourni aux armées alliées pas moins de 150 navires de guerre.
Pour conclure, je voudrais partager avec vous cette pensée de l’auteur français Etienne de Senancour : « Vivre, c’est espérer et attendre ».
Serge de MERIDIO
Source: Infosept