Au Mali, la belligérance semble connaître de nouveaux protagonistes. Au delà des terroristes qui en font voir de toutes les couleurs, des acteurs politiques se dressent sur le pied de guerre, obligeant le pouvoir de transition à se battre sur plusieurs fronts. Depuis le 12 mai 2024, à travers une déclaration rendue publique, les opposants au pouvoir de transition voient celui-ci comme l’ennemi à abattre, le mal à bannir au sommet de l’Etat. Opposants politiques et pouvoir de transition s’accusent mutuellement et se regardent en chiens de faïence. Ils laissent tomber les masques de part et d’autre, mais vont-ils franchir le Rubicon? Et le peuple dans tout ça ? Le peuple malien a suffisamment montré qu’il est patient, qu’il peut même se comporter en «Mouton de Panurge», mais éternellement vivace et jamais définitivement acquis. Que les partis signataires de la déclaration du 31 mars 2024 et le pouvoir de transition se le retiennent pour dit.
De part et d’autre, ces partis politiques, le pouvoir de transition et le peuple du Mali réagissent face à un cumul de frustrations et de mécontentements infligé par la faillite de l’Etat, de laquelle on veut se relever.
D’abord, certains partis politiques ruminent mal leur marginalisation de la gestion des affaires publiques depuis le 18 août 2020, date de la chute du régime du président Ibrahim Boubacar Kéita; ensuite, la suspension du financements public des partis politiques depuis 2019, a été vécue comme une privation de leur moyens de subsistance; en outre, la suspension récente des activités des partis politiques; la suppression programmée du financement public des partis politiques; l’élaboration de nouvelles conditionnalités visant à réduire leur nombre; l’éventualité de la prorogation de la transition et de la candidature du président Assimi Goïta à la prochaine élection présidentielle, sont autant de facteurs qui concourent à la radicalisation des éléments de langage des partis politiques, qui n’entendent pas assister passifs à leur mort programmée.
Pour se défendre, ils appellent les forces vives à se mobiliser pour éteindre la transition. Mais cet appel peut-il être entendu des populations qui connaissent déjà la musique et y voient plutôt un jeu de chaise musicale qu’une réelle volonté de construire le pays pour le bien être des Maliens.
De mars 1991 à août 2020, le peuple a offert sur un plateau d’argent, suffisamment d’opportunités aux acteurs politiques pour servir le Mali au lieu de se servir. Si tous les acteurs ne s’étaient dédiés qu’à la cause du Mali, serions-nous tombés aussi bas? Tout le monde n’a pas joué franc jeu et c’est en cette période que des fonctionnaires sont devenus milliardaires, pendant que le peuple végète dans le dénuement, l’injustice sociale, la faim, l’insécurité, l’absence de plateau sanitaire adéquat, la dégringolade de l’école, la déconstruction des valeurs.
Des acteurs politiques au gré d’intérêts sordides se sont installés à demeure dans les pratiques de diviser pour régner; des formations politiques aux religieux, en passant par les syndicats, mettant dos à dos les Maliens. Il est temps de sortir de ce cercle vicieux d’opposition inopportune entre les Maliens, entre UDPM et le Mouvement démocratique qui ont vécu. D’ailleurs, en mettant côte à côte les figures emblématiques de ces deux courants politiques, à savoir Dr. Choguel Kokalla Maïga du MPR (UDPM) d’une part, Me Mountaga Tall du CNID-FYT et Dr. Oumar Mariko de SADI d’autre part, le Collectif des partis politiques de l’opposition (COPPO) a fini d’enterrer cette adversité entretenue entre les héritiers de l’UDMP et les acteurs du Mouvement démocratique qui ne relèvent plus que d’un mauvais souvenir dont il faut tourner la page sans la déchirer. Nos camarades martyrs doivent reposer en paix, leur mort ne sera pas vaine!
Si le CMLN n’a pas eu trop de mal à arrêter le président Modibo Kéita le 19 novembre 1968, c’est que ce dernier ne pouvait plus compter sur une institution qui tienne; la mobilisation de la force populaire a eu raison du régime du Général Moussa Traoré en 1991; le pouvoir du président Amadou Toumani Touré à son tour a été fragilisé en 2012 par des mutineries dans les garnisons et les pressions des opposants, avant de voir son régime tomber; quant au président Ibrahim Boubacar Kéita, les contestations politiques de rue ont eu raison de son régime, après l’avoir réduit en un squelettique gouvernement de six membres, sans parlement, avant d’être arrêté chez lui par ses tombeurs.
S’il y a une énième révolution à craindre au Mali, c’est bien celle qui viserait des politiciens véreux, qui ont résumé la politique à la conquête du pouvoir pour l’exercer dans leurs intérêts personnels et partisans au détriment de l’intérêt général. Avec de tels acteurs, tous les moyens sont bons pour parvenir: en usant de la désinformation à la mal information, de la mésinformation à la manipulation propagandiste.
Ni la démocratie ni le multipartisme en cause
Le multipartisme, cette potion magique qui nous est venue intervertie au début des années 90 a créé un énième miracle politique, le don de fractionner le peuple avec comme effet de l’affaiblir, donnant plus de possibilité au pouvoir de le dompter y compris le conduire comme un bétail, selon les circonstances.
La formation politique pour une conscience citoyenne, une opinion publique apte à contribuer à la consolidation de l’Etat et l’émergence d’hommes d’Etat d’envergure, a manqué à notre pays, malgré la présence de plus de 200 partis politiques, qui ont bénéficié de financements de l’Etat de près de 28 milliards de FCFA entre 2000 et 2019. Au Mali, la démocratie et le multipartisme ne sont pas en cause, mais les usages qu’en font les acteurs politiques.
A l’origine, le multipartisme permet aux citoyens de faire valoir leur liberté d’opinion concourant à la pluralité des formations, gage de contradiction et d’évolution. Son travestissement a donné de constater des phénomènes comme certaines mutations illégales pratiquées par des élus communaux ou nationaux, appelées aussi nomadisme politique, que seuls l’appât du gain facile, la quête de l’intérêt personnel, peuvent expliquer. Les électeurs, le peuple dans tout ça est-il supposé ne rien voir, ne rien comprendre et ne rien retenir ?
Le clash aura-t-il lieu?
Le pouvoir de transition au Mali et l’opposition politique ne s’en cachent plus, ils veulent en découdre et laissent tomber les masques de part et d’autre. Leurs activités suspendues, les partis politiques refusent de participer au dialogue inter-maliens et en rejettent les conclusions. La température monte d’un cran à Bamako, ce 12 mai, date de la « déclaration de dénonciation des conclusions du dialogue inter-maliens pour la paix et la réconciliation nationale, par les partis signataires de la déclaration commune du 31 mars 2024 ».
Où va-t-on ? Peut-on s’interroger quand on sait que notre pays traverse une crise profonde, qui plus est, la conséquence de décennies de mal gouvernance politique, sécuritaire et économique, et n’a nullement besoin de guéguerre politicienne qui ne relève que du déjà vu et qui n’a pas de valeur ajoutée pour le peuple meurtri du Mali ?
Un peuple meurtri
Chacun se le revendique, mais lui – le peuple – n’aspire qu’au bien être qui lui est miroité par les dirigeants depuis les batailles pré-indépendance, jusqu’à la démocratie pluripartite: de Modibo Kéita à Alpha Oumar Konaré, de Moussa Traoré à Ibrahim Boubacar Kéita en passant par Amadou Toumani Touré. Le peuple court en permanence derrière un lendemain meilleur, qui fuit au gré des régimes, comme un mirage. Le bonheur promis au peuple malien brille toujours devant nous et s’apparente à un miroir aux alouettes.
Le peuple souverain du Mali, qui n’a jamais pu accéder à cette indépendance, avec le bénéfice de nos généreuses ressources naturelles, sociétales et culturelles, doit se tenir debout, comme toujours, quand l’ennemi se présente pour perpétrer un ultime coup d’arrêt à la marche du progrès.
En 60 années d’indépendance, le peuple malien n’a pas connu la stabilité et la sécurité qu’il mérite : sécurité alimentaire, sécurité des personnes et des biens.
La conjugaison profitable de la stabilité nationale et la sécurité sociale et économique restent des quêtes du peuple qu’aucun pouvoir ne peut se vanter de lui avoir servi à souhait. Au réveil du peuple, les acteurs politiques se devront de rendre compte.
Qui n’a pas intérêt que le peuple malien sonne l’heure du refus ? Refus d’être mené en bateau, d’être manipulé, infantilisé, mis au banc du bétail électoral et roulé dans la farine par les boulangers politiques?
B. Daou
Source : Le Républicain