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Cheick Oumar Sissoko aux chefs d’Etat de la Cédéao : “votre solidarité doit être au bénéfice exclusif de nos populations et non s’avérer une complicité syndicale contre elles”

Lettre ouverte du cinéaste Cheick Oumar Sissoko (membre du M5-RFP) aux Chefs d’Etat de la Cédéao dont 5 d’entre eux sont annoncés ce jeudi 23 juillet 2020 à Bamako pour une ultime médiation entre le président Ibrahim Boubacar Kéita et son opposition.  “Votre solidarité doit être au bénéfice exclusif de nos populations et non s’avérer une complicité syndicale contre elles”, prévient-il…

Messieurs les Chef d’Etat de la CEDEAO,
Nous exprimons toute la gratitude du Peuple malien pour Vos initiatives et efforts inlassables à la recherche d’une solution négociée à la crise de gouvernance que traverse le pays. Cela est à Votre honneur de mandataires des peuples frères, voisins ou distants, qui ont souci du Mali.
Le Peuple malien est un peuple digne et mature, même si cela ne s’est pas toujours reflété dans les attitudes et comportements de certains de ses dirigeants accidentels et animateurs de l’Etat. Pour preuve, depuis plus d’une dizaine d’années, une crise de confiance règne entre les populations maliennes et leurs gouvernants. En règle générale, le discrédit avéré de la chose politique frappe tous ceux qui sollicitent des suffrages, supposés ne venir aux affaires que pour se servir, en bandes organisées, au lieu de servir la Nation.

Depuis l’arrachée sanglante de la démocratie pluraliste, en 1991, le pays, sous la 3è République, replongea peu à peu dans les eaux troubles de la corruption et de la délinquance financière, de la gabegie et des abus en tout genre. Le système vomi, balayé au prix du sang, se remit en place en toute impunité. Un pourrissement allant jusqu’à transformer le jeu électoral en un grand marché ou tout s’achète : achat de conscience ; vente aux enchères des voix d’électeurs ; trafic de cartes NINA et de cartes d’électeurs ; vices d’invalidation des votes ; achats des présidents et assesseurs des bureaux de vote pour la falsification des résultats ; achat des juges électoraux ; et, comble de dissolution : l’achat aussi de la voix des élus à l’Assemblée Nationale.

Ces vices et travers n’ont, certes, pas commencé aujourd’hui. La mal gouvernance a conduit à une crise profonde de société, où plus personne n’a confiance en rien. Seul l’argent finit comme maître du jeu, et tout est bon désormais pour en gagner : mentir, arnaquer, détourner, voler et même tuer. Pendant ce temps, d’énormes budgets sont décaissés et demeurent sans trace. Une criminalité transfrontalière a germé et prospéré au pied de cette gouvernance mal propre, avec son lot d’argent sale, d’argent facile, de fraudes en tout genre, de blanchiments et d’excès dans la débauche. On peut difficilement faire plus dans la malédiction. Combien de fonctionnaires et d’officiers milliardaires avez-vous dans vos pays respectifs ? Le cas du Mali défraie la chronique. Trouvez-vous cela normal pour un pays combien éprouvé, en guerre ?

Ma première question, Messieurs les Présidents, peut-on construire une nation sur la base de tant d’inconscience et d’insouciance de ceux qui président aux destinées de la collectivité ? Sans Vous manquer de respect, allez-vous admettre que cela se passe dans vos pays respectifs ?
Je voudrais que Vous daigniez Vous pencher sur le cas incontournable de Kidal, comme l’a évoqué S.E. Mahamadou Issoufou au Sommet du G5 Sahel en septembre 2019, à Ouagadougou. On admet aisément que c’est devant toutes ces injustices découlant d’une mal gouvernance chronique, aggravée au plus haut point par les pesanteurs d’un environnement hostile, que nos frères de l’Adrar ont à nouveau pris les armes contre l’Etat des prédateurs et fossoyeurs, se soldant par un conflit fratricide horrible, regrettable, avec des pertes de vie d’innocents, des violences qui endeuillent encore nos communautés.

L’usage des armes, autant le dire, est à mon avis un extrême désapprouvé. Des éléments étrangers mus par des intérêts inavoués sont venus greffer aux revendications de cette lutte d’intégration nationale des considérations raciales, sécessionnistes, religieuses et, n’ayons pas peur de le dire, le narcotrafic. Qu’a fait le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita pour résoudre cette question de Kidal, vitale pour les Maliens ? Vous avez la réponse.

Les Maliens sont déçus. Le manque de crédibilité de nos hauts responsables, Vous en êtes des témoins privilégiés et même des premiers indignés. Cette situation affecte l’image de notre pays, la dignité de tout un peuple et de ses représentants, humiliés, de ses citoyens travailleurs honnêtes devenus la risée du monde. Non. Cela, nous n’allons plus l’accepter, plus jamais !

A présent, je m’en vais vous dire pourquoi j’ai décidé de Vous adresser cette lettre ouverte. La voix des Maliennes et des Maliens, de l’ intérieur et de la diaspora, ne semble pas bien entendue. La demande de démission du Président IBK ne se fonde guère sur la seule mal gouvernance comme telle, difficile à évaluer en soi. Monsieur Kéita est accusé de fautes graves, pour lesquelles il doit répondre devant la loi. Ce qui est légal et constitutionnel.

M. Ibrahim Boubacar Kéita s’est rendu coupable de parjure, en violant son serment, en violant la Constitution et en violant la séparation des pouvoirs. Des faits actés.

M. Ibrahim Boubacar Kéita s’est rendu coupable de forfaiture et de haute trahison, en signant un accord de défense sans l’aval de l’Assemblée Nationale, document comportant des clauses restrictives sur la souveraineté de défense. Toutes choses qui l’ont bloqué (selon ses propres aveux) dans sa volonté d’équipement de notre Armée en moyens aériens. Comme si cela ne suffisait pas, Chef suprême des Armées, il a tenté de soustraire à la justice ses proches corrompus mis en cause dans des détournements par surfacturations et achats de matériels inopérants (avions cloués au sol, blindés factices.. .). Il aura à jamais sur la conscience la mort de nos milliers de soldats sacrifiés, livrés à la boucherie, et la souffrance de leurs veuves et orphelins, délaissés, abandonnés.

M. Ibrahim Boubacar Kéita s’est rendu enfin coupable de crimes de sang, en ayant recours de manière illégale à la force antiterroriste, FORSAT, pour réprimer des manifestations pacifiques, d’abord à Sikasso, et maintenant à Bamako, et cela continue ailleurs, faisant 23 morts et plus de la centaine de blessés ; sans oublier les près de 15000 victimes civiles et militaires, au Nord et au Centre du pays, et quelques 400 villages détruits. Le régime poursuit malencontreusement les intimidations et arrestations de leaders du Mouvement, dont des jeunes patriotes. Cela est inadmissible.

Je vous épargne le recours faits aux techniques des casseurs infiltrés et briseurs de grève pour confondre et discréditer le Mouvement M5-RFP, en saccageant des biens publics et privés. Les preuves existent et seront versés au dossier judiciaire. Nos consignes de non violence sont attestées, et les thèses de débordement, fumeuses.

Messieurs les Chefs d’ Etat,
Vous projetez de venir en terre africaine du Mali, chez Vous, c’est Votre droit, et Vous serez les bienvenus, l’hospitalité pour nous étant sacrée.
Vous voulez qu’ensemble, en famille, nous puissions dialoguer davantage afin de trouver une issue honorable et pérenne à cette révolte populaire, car il ne s’agit pas d’un mouvement d’opposition, même si des opposants y sont. Pour nous, l’issue doit être juste pour être durable.

Nous avons entendu de vos émissaires que le départ du Président de la République est une ligne rouge à ne pas franchir. En fait, Vous pensez pouvoir demander au Peuple malien de ne pas poursuivre et démettre son élu à la magistrature suprême, alors qu’il a manifestement violé la loi et la Constitution dont le Peuple l’avait fait gardien. Qu’est-ce à dire ?

En somme, on voudrait nous imposer d’accepter le parjure, la forfaiture et la haute trahison, les assassinats délibérés. Je n’ose commenter pareille audace car nous Vous respectons. Mais, pourquoi se dote-t-on alors de lois ?

Au nom de quoi, un Chef d’Etat serait-il au-dessus des lois pour ne pas répondre des fautes gravissimes commises par lui, quand la loi a souverainement prévu la poursuite et la sanction ?

Certains parmi Vous ont encore l’estime de nos peuples, prenez donc garde à ne pas Vous compromettre à vouloir sauver coûte que coûte un des Vôtres. Ce serait grave, car ce n’est pas une question de personne. Votre solidarité doit être au bénéfice exclusif de nos populations et non s’avérer une complicité syndicale contre elles.

Si cela ne Vous dissuade pas de Vous engager dans une mission formelle, à l’issue connue, malgré la répression programmée qui ne saurait être la solution, nous prenons à témoin les peuples frères de la CEDEAO et d’Afrique et l’opinion internationale. Aucun Président n’a à craindre un soi-disant « syndrome malien », tant qu’il n’enfreint pas gravement aux lois de son pays. Les lois nous protègent tous, ou du moins, c’est ce qui se doit.

Nous reprochons au nôtre sa gouvernance et celle de son régime, et dénonçons son incompétence et les frasques inacceptables de son clan. Mais, c’est surtout pour les accusations fondées de préjudice à la Nation, comme exposées plus haut, qu’il est appelé par le Peuple malien à rendre sa démission. S’il persiste, nul doute que le Peuple saura décider de son sort.

Un nouveau jour se lève sur le pays de Modibo Kéita, l’espoir de la renaissance du Mali. Que nul ne s’y méprenne pour tenter de le briser. Une conférence souveraine prendra en compte les attentes de toutes les composantes nationales. Nous ne désespérons pas de voir nos parents de Kidal regagner au plus vite leur place dans la République débarrassée de la mauvaise graine dans les Institutions dévoyées. Avec toutes nos familles réunies, y compris la Diaspora forte de plus de 4 millions d’âmes, nous rebâtirons, dans la paix des cœurs, notre Nation porteuse de son destin africain d’humanité et de dignité.

Le Mali nouveau, MALI KOURA, sera encore plus beau de sa mixité métissée, plus fort de la foi commune, plus riche de sa diversité et plus prospère, à jamais terre africaine d’accueil.

Par Cheick Oumar Sissoko, cinéaste

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