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Cheick Diallo designer malien : “Le design est un outil de développement” “Préserver une partie de la culture fait partie des missions qu’on doit s’assigner soi-même”

Architecte de formation, Cheick Diallo s’est engagé dans la voie du design dont il est l’un des précurseurs en Afrique. Après avoir vécu pendant plus d’une trentaine d’années en France, le designer malien de renom s’est définitivement installé à Bamako en 2014 dans le quartier populaire de Niaréla. Honoré par de nombreuses distinctions internationales, ce passionné du design, qui a exposé dans les plus grands musées design à travers les cinq continents du monde, se fixe désormais comme mission de vulgariser cet art peu connu dans son pays. Nous l’avons rencontré pour échanger, entre autres, autour de sa riche carrière de designer, ses projets et sa vision de l’art du design. 

Aujourd’hui-Mali : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le design, selon vous ? 

Cheick Diallo : Le design est une discipline assez nouvelle. Elle est peu connue parce que peu enseignée. Tous les objets de notre environnement sont conçus par le service du design. C’est un métier qui est fort ressemblant à l’architecture. Nous pouvons même dire que c’est l’architecture des objets. Ses diversités sont grandes. Elles vont du graphisme jusqu’à la conception d’une voiture, d’un train ou d’un avion. Son spectre est très large avec différentes branches. Nous avons le design industriel, artisanal, graphique, culinaire textile, d’environnement ou design d’espace. Aujourd’hui, les architectes d’intérieur se font même appeler designers.

Lequel des différents types de design est votre monde ?

Je suis plus dans le design d’environnement qui est un mélange un peu du design industriel et artisanal, parce j’ai toujours été un fervent défenseur du savoir artisanal. J’ai été l’un des premiers en Afrique à montrer que le design en Afrique pouvait s’appuyer sur le savoir-faire artisanal africain à travers des écoles de la rue, des expositions et des formations. Aujourd’hui, on peut dire que le design a gagné ses lettres de noblesse en termes de force de proposition auprès de l’artisanat et c’est ce qui a permis à l’artisanat de s’améliorer et de se rénover de telle sorte que le design apparait comme un outil. Toute chose qui faisait partie de mes batailles à travers le monde.

Architecte de formation, dites-nous comment vous avez découvert le design ?

La frontière entre le design et l’architecture est très mince. Je dirais même que les architectes sont à la base de la création de cette discipline.  C’est à partir des années 45 qu’on a commencé à parler de design, sinon avant ça s’appelait esthétique industrielle. Avant, les architectes dessinaient tout et concevaient tout. Ils étaient même politisés. C’est vrai, l’architecture est ce qui m’a amené en Europe, c’est ce que j’ai étudié. J’ai eu la chance d’avoir un père architecte qui a été l’un des premiers architectes à s’installer au Mali et qui a formé de nombreux architectes. Après mes études en architecture, j’ai découvert le design qui est une sous-banche de l’architecture.  J’ai ensuite suivi une autre formation en design dans une école de design industriel et je me suis dit, comme le design est une discipline très peu connue en Afrique, qu’il serait bon qu’on s’y intéresse et voilà comment je suis devenu designer.

Etabli en France notamment à Rouen, vous décidez de rentrer au pays, le Mali, en 2014.  Peut-on savoir ce qui a motivé ce choix ?

Au fait, je n’avais jamais quitté le Mali, pourtant. Quand j’ai commencé le design, ma production je la faisais pratiquement au Mali parce que je voulais travailler avec les Maliens sur mes productions pour montrer que le Made in Mali existait. Pour ce faire, j’étais très fréquent au Mali parce que j’y venais tous les deux mois et certains se demandaient même si j’étais établi en France ou au Mali. Mais mon installation au Mali a surtout été motivée par le fait que j’ai atteint un certain âge et je devais reprendre le flambeau que mon père a tenu depuis longtemps, tant au niveau familial que professionnel. Après avoir vécu près de trente-cinq (35) ans en France, il fallait que je revienne au pays.

Avez-vous reçu des distinctions au cours de votre riche carrière ? Si oui, lesquelles et laquelle vous a-t-elle le plus marqué ?

Oui, j’ai eu la chance et l’opportunité de remporter plusieurs prix dans le domaine du design. Les plus grands sont au nombre de cinq (5). Il y a le trophée du Salon international du design intérieur de Montréal (Sidim). J’ai eu à remporter deux prix au musée des beaux-arts décoratifs de Paris. J’ai remporté en 2014 le prix du meilleur designer de l’Afrique au Gabon.  Le prix qui m’a le plus marqué est mon prix des arts décoratifs que j’ai remporté étant encore étudiant. Les premiers prix, même s’ils sont moins valeureux, restent quand-même les plus marquants. Ce premier prix m’a permis d’avoir confiance en ce nouveau métier que j’embrassais. Ce qui très important.

Quels types de matériaux utilisez-vous pour vos créations ?

Je n’ai pas de matériaux de prédilection. Je fais les créations avec ce que je trouve sur place. Si les qualités intrinsèques du matériau peuvent m’aider, je n’hésite pas à les utiliser. Je ne veux pas être un spécialiste. Ce qui n’est pas le rôle d’un designer. Etre un spécialiste est le fort d’un artisan. Un designer est un chef d’orchestre qui fait travailler différents corps de métier pour coordonner le tout parce que c’est lui qui est à la base des idées. S’il se spécialise dans un seul corps de métier, il peut se retrouver pauvre en expressions.

Entre la France et le Mali, lequel des deux pays vous est plus inspirant dans votre métier ?

Je dis les deux. Je suis un citoyen du monde, un métis culturel. Les frontières m’emmerdent. Je suis fier d’être malien et il ne s’agit de le prouver à qui que ce soit. Et je ne vais pas être ingrat envers la France pour ce qu’il m’a donné. Il y a vraiment de belles choses au Mali, mais la France est une vitrine pour moi. C’est elle qui m’a enseigné le design. La France m’a donné un outil que j’ai exploré et faire découvrir à mes compatriotes. Quand j’étais en France, je pensais au Mali et quand je suis au Mali je vois des opportunités en France que je peux explorer. J’ai eu la chance d’être connu en Occident, mais le Mali reste ma source, ma base. Je défends les couleurs du Mali parce que je suis un fils du Mali.

Vous-êtes également le président de l’Association des designers africains (ADA), pouvez-vous nous la présenter ?

C’est une association qui a vu le jour en 1996 lors de la Biennale de Dakar où nous (designers africains) avons eu à présenter avec succès le design africain et c’est à partir de là que nous avons décidé de créer cette association pour faire découvrir le design. On était une douzaine de designers. C’est en 2004 que j’ai pris les rênes de l’association.

Considéré comme le meilleur designer du Mali, que comptez-vous apporter au plan national en termes de design ?

C’est ce que je fais depuis une trentaine d’années. Je suis l’un des piliers de cet art en Afrique et du Mali bien sûr. La considération est plutôt fondamentale parce que beaucoup de musées consacrés au design dans le monde ont choisi mes objets en collection. C’est une sorte de reconnaissance. Peu de personnes ont cette chance-là. Donc je reconnais cette considération.

J’avais tenté de créer la meilleure école de design ici au Mali pour qu’on puisse apprendre le métier aux jeunes Maliens et de la sous-région afin de faire connaitre le design en travaillant avec des industriels et des artisans, mais malheureusement, j’ai été peu suivi. J’ai pris cette initiative il y a 20 ans et si l’école avait existé, on n’en serait pas là. Le design ne serait pas une curiosité pour les Maliens. Si ce projet avait abouti, le design serait aujourd’hui un métier à part entière au Mali. Nous avons du savoir-faire et je ne vois pas autre métier pour faire développer ce savoir-faire à part le design. Les enjeux je les connaissais.

J’ai sillonné un peu partout au Mali pour me rendre compte de tout le potentiel de notre pays dans ce domaine.  Aussi, j’ai toujours fait connaitre le savoir-faire malien ou le Made in Mali. Ce savoir-faire malien que j’ai exploré est aujourd’hui repris un peu partout dans le monde. Je vous appends que j’ai enseigné le design dans plusieurs pays, notamment dans des pays plus développés que nous en termes de design, tels que dans le Maghreb en passant par l’Afrique du Sud, le Canada, la France, la Hollande, en Asie, entre autres.

Je suis prêt même de façon bénévole à aider tous ceux qui ont besoin des conseils ou qui veulent apprendre le design. Beaucoup d’étudiants des écoles d’arts viennent prendre des cours, que ce soit théoriques ou pratiques. Je dis à tout designer, artiste ou étudiant qui a besoin de conseils ou autres, que je suis disponible à tout moment parce que je me suis donné comme mission de faire connaitre le design.

Quels sont vos projets ?

J’ai beaucoup de projets, notamment des formations à l’étranger pour développer le design en Tunisie, au Maroc, en Afrique et même en France.

Nous sommes également à la recherche de partenaires également pour dire que le Made in Mali est toujours vivant.

Avez-vous un message à l’endroit des autorités maliennes ?

La laideur se vend très mal ! Celui qui ne produit pas ne peut pas s’enrichir. Le design est un outil de développement. Encourager le design, c’est encourager le savoir-faire. Préserver une partie de la culture fait partie des missions qu’on doit s’assigner soi-même. Il y a des pays qui se développent parce qu’ils produisent et vendent. Et nous, qu’est-ce que nous proposons ? Qu’est ce nous transformons ? C’est quoi les valeurs ajoutées ?  Il faut savoir que tout n’est pas touriste. Il faut aussi former les gens à définir les bons projets.

Les meilleurs ambassadeurs du Mali, ce ne sont pas des personnes, ce sont des produits par ce que les produits fabriqués au Mali de façon qualitative représentent mieux le pays que ceux qui le représentent officiellement.

Quel sera votre mot de la fin ?

Le développement ne va pas sans formation. Plus vous êtes mieux formés, plus vous produisez mieux. Le savoir-faire est ce que nous avons de plus cher parce que c’est notre culture de savoir-faire et si nous perdons cela, d’autres le ferons à notre place et nous serons à leur service. Il est vrai qu’on doit s’accrocher à la tradition qui est un repère pour nous, mais on doit se servir de cette tradition pour évoluer à travers l’innovation et le design qui est un excellent outil pour l’innovation.

        Réalisée par Youssouf KONE

Source: Aujourd’hui-Mali

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