Rien ne va plus au Centre national des œuvres universitaires (Cenou). Une dizaine d’agents ont été relevés de leur poste pour avoir observé une grève de 48 heures, comme si la grève n’était pas un droit reconnu par la Constitution. Et comme si cela ne suffisait pas, la direction du Cenou, adresse une correspondance à la direction des Ressources humaines, demande le reversement de certains de ces agents.
Les faits
En décembre 2014 , le Comité syndical du Cenou tient une Assemblée générale avec à l’ordre du jour, notamment les points de revendication suivants : les états d’heures supplémentaires non payées (plus de cinq états d’heures supplémentaires non payées), la sécurisation du Cenou (en raison de la menace permanente que certains étudiants mal intentionnés ou mal encadrés font planer sur l’établissement), le plan de formation (dont personne ne bénéficiait malgré son existence théorique), la révision de l’accord d’établissement en vue de revoir à la hausse les primes et eu égard à la décision de mise en vente de cartes d’étudiants.
Les intimidations du Dga, Allaye Ba
Après de nombreuses tractations sans suite, l’Assemblée générale a opté pour une grève de 48 heures dont le préavis a été déposé le 16 décembre 2014. Et dès le lendemain 17 décembre, le Dga menace des membres du comité syndical : ’’ Des sanctions vont tomber’’ aurait-il laissé entendre. Et ce n’étaient pas que des mots en l’air puisqu’Allaye Bâ, qui supplante visiblement le Dg, va sévir. Et durement. Sont relevés de leur poste le 18 décembre : le Secrétaire général du comité syndical (par ailleurs membre du Conseil d’administration du Cenou), jusqu’alors chef de section au Service sports ; le Secrétaire administratif du comité syndical, chef de section au Service santé et action sociale ; le Trésorier général du comité syndical, chef de section au Service allocations financières. Cela fait trois membres du bureau relevés de leur poste dès le premier préavis de grève.
Le processus de conciliation
Deux semaines plus tard, un processus de conciliation est entamé, réunissant la Direction du Cenou, le Syndicat et la Direction nationale de la fonction publique. La conciliation est concluante puisqu’un point d’entente est trouvé. La grève n’aura plus lieu. La Direction s’est engagée à payer trois états d’heures supplémentaires, et le reste courant premier trimestre 2015. Trois états d’heures supplémentaires ont effectivement été payés, mais des impayés demeurent à ce jour. Le plan de formation a aussi évolué, puisque certains agents ont pu en bénéficier. Par rapport à la sécurisation du centre, le dossier n’a guère bougé. Les syndicalistes souhaitaient une permanence de la police pour dissuader les groupuscules d’étudiants malveillants qui viennent menacer en permanence.
Nouvelle Assemblée générale
La décision de relever les responsables du Syndicat étant intervenue après la conciliation -disons plutôt au mépris de la conciliation- le comité syndical convoque une nouvelle Assemblée générale, avec à l’ordre du jour : le point des accords avec l’administration (la direction) et la situation des camarades syndicalistes relevés de leur poste à la suite du premier préavis et malgré l’entame du processus de conciliation. L’A.G. décide alors du dépôt d’un nouveau préavis dans le but de faire annuler la décision cavalière et autocratique prise à l’encontre des syndicalistes. Un nouveau processus de conciliation est mis en marche. Il regroupe la Direction du Cenou, le Syndicat et des médiateurs dont le professeur Younouss Hamèye Dicko. Cette fois-ci, on ne trouvera pas d’entente. Et le syndicat, en toute responsabilité, appelle à observer une grève de 48 heures.
Encore des intimidations du Dga
Au premier jour, la grève avait été bien observée, avant qu’Allaye Bâ n’entre dans ses manœuvres : intimidations, menaces. On mettrait fin au contrat du personnel contractuel qui aura continué à observer la grève. Quant aux fonctionnaires, ceux d’entre eux qui occuperaient des postes de responsabilités seraient tout simplement relevés de leur poste. Le DGA appelle alors les chefs de service, leur enjoignant de convaincre leurs agents à venir travailler. A coup de menaces donc, on est parvenu à convaincre un nombre important d’agents qui ont finalement mis fin à leur grève. Depuis, les agents qui ont décidé de ne pas renier leurs principes et d’aller jusqu’au bout de leur logique-par surcroît légale-sont devenus des pestiférés. Une des conséquences immédiates à été de bloquer leur carburant, pendant qu’on donnait leurs bons à ceux qui avaient interrompu le mouvement. Les grévistes auront les leurs deux semaines plus tard.
Entre-temps, le Dga redoublait d’efforts pour casser le syndicat, vaille que vaille. Il croit en avoir les moyens. Le Cenou est riche, il y a à boire et à manger. Il arrive à manipuler les agents qui, lors d’une autre AG, demandent la démission du Comité syndical qui, selon eux, «a mal agi» par rapport à la grève. Une énième AG se tient mais va avorter, certains militants y voyant une tentative de «coup d’Etat» contre le Comité syndical. Une semaine plus tard, les militants manipulés par la Direction tenteront un nouveau coup de force en voulant mettre en place un nouveau comité syndical, en l’absence du Comité exécutif national de l’enseignement supérieur (Synesup).
Nouveau Comité syndical
Finalement, face à la forte pression exercée sur le comité syndical (à coup de menaces, de promesses de promotions (et pourquoi pas d’espèces sonnantes et trébuchantes ?) et aux multiples remous, le comité opte pour la mise en place d’un nouveau bureau, et ce, malgré la prorogation des mandats accordés par le Comité exécutif national jusqu’à la tenue de son prochain congrès. Ainsi, avec l’accord du bureau sortant, une nouvelle AG devait se tenir le 13 mars 2015 pour mettre en place un nouveau bureau, sous la supervision du Comité exécutif national.
De nouveaux cadres grévistes relevés de leur poste
Le 10 mars, une décision signée la veille par le Dg Yéhia Haïdara, relève de leur poste quatre chefs de division, un chef de section et des chargés de dossiers. La décision est prise et ventilée sans que les intéressés aient été informés des motivations ou supposées fautes administratives qu’ils auraient pu commettre.
Un chauffeur à la tête du Comité syndical
Le vendredi 13 mars se tient l’AG devant élire le nouveau bureau. Deux candidats sont en lice pour le poste de Secrétaire général : le Secrétaire général sortant, Abdoulaye Amadou Coulibaly et un chauffeur du Cenou du nom d’Ousmane N’Dao, par ailleurs candidat de l’administration. Laquelle n’avait pas lésiné sur les moyens en tous genres pour briser le syndicat et mettre à sa tête une marionnette taillable et corvéable à merci. La direction réussira son coup. Le personnel de soutien, les agents subalternes sont composés pour la plupart de contractuels qui n’ont pas- dans un Etat autocratique-une assise solide pour tenir tête à une administration qui semble-à tous points de vue- jouir d’une protection efficace .Mais qui ? On le verra plus tard. Ces contractuels, comme l’on pouvait s’y attendre, seront appuyés par le staff de la Direction, les nouveaux promus et tous les autres à qui on avait miroité monts et merveilles. C’est dans ces conditions que le chauffeur, Ousmane N’Dao l’emportera face à Abdoulaye Amadou Coulibaly, à la grande honte de tout l’enseignement supérieur. Certes un chauffeur est un agent comme un autre, mais quand un chauffeur se retrouve chef d’un bureau syndical dans un établissement ou une structure de l’enseignement supérieur, il y a anguille sous roche, ça cloche comme on dit.
Une lettre confidentielle et intrigante
Fait incroyable, malgré la révocation des syndicalistes et des grévistes, la Direction adresse une lettre confidentielle à la Direction des Ressources Humaines (secteur de l’Education) demandant le reversement d’un certain nombre d’entre eux. Cette correspondance est envoyée depuis le mois de mars, mais les intéressés-pourtant ampliateurs-n ‘ont reçu aucune notification. D’après nos informations, la Direction des ressources humaines a demandé de motiver la demande de reversement. Le département, qui est aussi ampliateur, tarde à réagir. Me Tall, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, est aussi président du Conseil d’administration.
Intrigues et suspicions
Face à une situation aussi chevaleresque, comment comprendre le silence du chef du département, par ailleurs président du Conseil d’administration, Me Mountaga Tall, et du Secrétaire général du Synesup, M. Mallé ? Comment comprendre ou interpréter l’inaction de M. Mallé face à cette dérive ? Les questionnements sont nombreux. Mais en tout état de cause, on a du mal à croire que la direction ait pu aller a de telles extrémités sans l’aval du chef du département et sans une certaine complicité active ou passive du Secrétaire général du Synesup.
Les incohérences de la Direction
La Direction viole les dispositions du droit de grève, foule au pied le plan de carrière en vigueur au Cenou .Elle tente en vain de motiver la révocation des agents concernés par le principe de l’obligation de résultat. Mais elle se contredit dans la mesure où les agents concernés ont toujours été notés de ‘’ bon’’ ‘’à très bon’’. Ils ont été relevés, dans certains cas, sans que leurs chefs hiérarchiques aient été associés aux différentes décisions. Concernant la demande de reversement, elle est tout simplement incompréhensible d’autant plus que la Direction a exprimé le besoin de recruter quelque 84 nouveaux agents dans la perspective de déménagement dans les locaux de l’Université de Kabala. Si ce n’est pas une chasse aux sorcières, pourquoi demander à se débarrasser de quelque six agents valables au moment où l’on cherche à en recruter d’autres ?
Une vraie injustice
Ce qui est révoltant dans l’attitude cavalière de la Direction, c’est de vouloir chasser-comme des malpropres- des gens qui sont les véritables artisans de ce qu’est aujourd’hui le Cenou : une structure où il fait désormais bon vivre. En effet, le Dg Yéhia Haidara est arrivé seulement en novembre 2013 ; le Dga Allaye Ba, depuis seulement début 2014. Ces deux intrus veulent chasser aujourd’hui ceux-là qui ont d’abord fait les jours difficiles du Cenou. Le Cenou a été créé en 2001 et la plupart des agents concernés par ces mesures injustes comptent parmi ses premiers locataires. En ce moment, le Cenou disposait de quatre pièces plus un salon, et quelques rares sièges pour s’asseoir. L’accord d’établissement, instrument d’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, est leur œuvre. Il a été obtenu à la suite d’une grève de 10 jours. Et il y a eu des retenues sur leurs salaires à la suite de ce débrayage. Malgré tous ces sacrifices, des «responsables» tout fraichement débarqués s’attèlent à éloigner les véritables artisans afin de faire main basse sur le Cenou, faire la pluie et le beau temps. Sans contestation et en toute impunité.
Le sujet qui provoqua l’ire de la Direction : les cartes d’étudiant
L’administration du Cenou a décidé, après avoir «convaincu» les deux représentants de l’Aeem, de confectionner et mettre en vente les cartes d’étudiant à 5000 Fcfa l’unité. Les 16 000 nouveaux bacheliers ont été les premiers «clients». Leurs aînés devront suivre, le processus est même en cours. Au final, ce sont plus de 90 000 étudiants qui devront disposer de cette carte d’étudiant devant, dit-on, leur faciliter les opérations bancaires, entre autres avantages. C’est donc au regard de ces nouvelles rentrées financières que le comité syndical, en toute légitimité, a souhaité la révision de l’Accord d’établissement afin de revoir à la hausse certains avantages. La Direction n’a pu gober une telle audace à vouloir scruter vers la nouvelle manne financière, la vache laitière. Dont la gestion est déjà perçue par certains comme opaque et chaotique.
Les victimes en action
Ils ne restent pas les bras croisés, les agents victimes du harcèlement de la Direction. Ils ont saisi la presse, la Commission de l’éducation à l’Assemblée nationale. Ils ont adressé une lettre de protestation au président du Conseil d’administration avec ampliations à la Primature, à l’Assemblée nationale. notamment. Ils ont décidé de monter jusqu’à Koulouba si nécessaire. En attendant cette ultime étape, ils s’organisent pour attaquer les injustes décisions devant le Tribunal administratif. Bref, ils ne ménageront aucun effort pour rentrer dans leurs droits et faire annuler des décisions qu’on ne saurait se permettre, même dans une société totalement privée.
Le plan machiavélique de la Direction
Le plan machiavélique de la Direction, c’est de recruter le maximum de contractuels afin de maintenir en permanence l’épée de Damoclès sur leur tête. Ils se disent qu’avec une majorité de fonctionnaires, ils auraient du mal à agir à leur guise. Et si l’on en croit certaines mauvaises langues, cette machine de recrutement des contractuels est en marche. Une stagiaire, visiblement très chanceuse, a pu obtenir facilement un contrat, accompagné d’une belle voiture «Drogba». Il y a peu, cette stagiaire était accompagnée au service par son mari en Djakarta. Comme quoi les stagiaires bien inspirées ont de beaux jours devant elles au Cenou. Une autre jeune dame d’un service voisin se serait contentée d’une moto Djakarta au financement proche du Cenou. Mais tous les stagiaires ne semblent pas logés à la même enseigne. Certaines sources indiquent que des recrues pourraient venir d’ailleurs. Au grand dam de stagiaires dont certains auraient plus d’un an voire deux ans (depuis 2012-2013). Quant aux recrues fonctionnaires, on préfère les éloigner, en les affectant tout simplement à l’intérieur du pays.
Odeurs de malversations
Il aurait été demandé à certains agents d’exprimer des besoins non justifiés portant sur des pièces de rechange de véhicules. Beaucoup de rumeurs circulent à ce sujet, notamment sur le cas d’une pompe à eau prise sur un car, mise sur un autre et ayant couté quelque 3 millions de francs. De tels cas seraient fréquents Mais cela n’est rien à côté des transferts de bourses vers les subventions. En d’autres termes, en 2013-2014, le Cenou serait parvenu à transférer 2 milliards de Fcfa (bourses d’étudiants) vers le chapitre «budget de fonctionnement». C’est là une irrégularité grossière et inacceptable. Mais bien pensée, car c’est là un moyen facile de faire «travailler» cette somme colossale, faire des marchés et pouvoir se frotter grassement les mains, sans tambour ni trompette. Cette manœuvre, selon nos sources, a affecté sérieusement les échéances de paiement des bourses. Des décisions de paiement signées en 2013 et 2014 n’auraient pu être effectuées qu’en mars 2015. L’appétit venant en mangeant, on voulait rééditer la même manœuvre en transférant 1 milliard de Fcfa pour le 1er trimestre 2015. Le cabinet aurait rejeté-cette fois-ci-la demande. De telles manœuvres pourraient expliquer les nombreux mouvements de grèves dans nos facultés. Le Directeur général, lui-même ne jouit pas d’une bonne presse, surtout lors de son passage au Ministère de l’agriculture comme chef de cabinet. Des confrères journalistes ne gardent pas un bon souvenir de lui. «Il n’hésitait pas à grignoter sur nos maigres ressources», se souvient un confrère, surpris que ce soient de tels agents à qui l’on confie le sort des individus. Vrai ou faux, une chose est sûre : l’agissement du Dg (même s’il semble manipulé par son adjoint-ironie du sort) ne plaide nullement en sa faveur. Ce duo infernal est même parvenu à bloquer le plan de carrière des agents. Comme quoi, certains peuvent tout se permettre dans un Mali dit démocratique.
Rappelons que Sidiki N’Fa Konaté, alors Dg de l’Ortm, avait aussi sanctionné quelques grévistes en rétrogradant notamment un caméraman à sa première fonction de chauffeur, un technicien à sa première fonction de caméraman. Il n’était pas revenu sur sa décision qui viole les conventions du Bureau international du travail (Bit) dont le Mali est signataire. Lui était proche d’ATT, d’IBK maintenant et curieusement. Que dire des deux directeurs du Cenou ?
Affaire à suivre !
S.Haidara
source : Le Point