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Cameroun : Paul Biya accusé d’instrumentaliser une loi antiterroriste à des fins politiques

Avec la montée en puissance de Boko Haram au nord du Cameroun, le chef de l’État, Paul Biya, a cru bon de proposer une nouvelle législation anti-terroriste à la fin de 2014. Adoptée par le Parlement, celle-ci fait pourtant l’unanimité contre elle dans l’opposition, qui estime que le président cherche à la museler en menaçant ses leaders de la peine de mort.

Paul Biya president republique camerounaise

Paul Biya s’attendait sûrement à la polémique, le jour où, depuis le Palais de l’Unité à Yaoundé, il a donné son aval à une proposition du gouvernement pour une nouvelle législation anti-terroriste. Alors que le Parlement l’a ratifiée sans broncher le 4 décembre et que le président l’a promulguée le 23 (voir le texte intégral en bas de page), la loi numéro 2014/028 suscite les foudres de l’opposition et d’organisations de la société civile.

“Ce texte apparaît manifestement comme sa réponse au soulèvement populaire au Burkina Faso”, explique ainsi Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). “Il assimile en définitive les populations camerounaises qui manifesteraient leur mécontentement à des terroristes”, ajoute-t-il.

Dans la ligne de mire des détracteurs du texte, l’article 2, qui vise à définir les actes jugés comme terroristes, et notamment l’alinéa 1 :

“Est puni de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention de :

a)    D’intimider la population de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation, nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes.
b)    De perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations.
c)    De créer une insurrection générale dans le pays.”

“Selon les humeurs” du pouvoir

Le mouvement de société civile Dynamique citoyenne explique : “Vous serez considéré comme terroriste si, par exemple, lors d’une manifestation publique (…), votre action peut, selon les humeurs des tenants du pouvoir, tomber sous le coup de “tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique” de quelqu’un.

“On assimile aux actes de terrorisme les actes de protestation normale dans un État de droit, à l’instar des grèves, des marches, même pacifiques, d’appels à la désobéissance civile”, explique Joseph Claude Billigha, avocat camerounais. “Il convient de relever que ce n’est pas tant l’adoption d’une loi contre le terrorisme qui pose problème, mais c’est l’extension de cette loi aux comportements normaux et légitimes des populations qui est critiqué”, ajoute-t-il.

“Le projet de loi crée manifestement une infraction politique puisqu’il interdit de la sorte l’expression collective, même pacifique d’un désaccord politique”, croit quant à lui savoir Maurice Kamto. “Le Cameroun a certainement besoin d’un dispositif pénal approprié pour combattre le terrorisme. Une telle loi devrait contenir une  définition de l’infraction de terrorisme telle qu’elle ressort de tous les instruments juridiques internationaux”, explique-t-il.

Mais en réalité, il n’y a pas de définition du terrorisme communément acceptée dans le monde et l’Organisation des Nations unies n’a pas encore validé une formulation stricte. En novembre 2004, le Secrétaire général a proposé de le définir comme :

“Toute action […] qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d’un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d’intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s’en abstenir”.

C’est notamment la ligne qu’a choisie la France. Le pouvoir camerounais a de toute évidence préféré élargir le concept, en particulier en ajoutant le motif de perturbation du “fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou [le fait] de créer une situation de crise au sein des populations”. Il a également étendu la durée de la garde à vue permise en cas de suspicion d’actes de terrorisme à “quinze jours, renouvelables sur autorisation du Commissaire du gouvernement”.

“La bataille de succession a commencé”

“Dans la bataille de succession qui a commencé, certains se préparent à s’emparer du pouvoir de façon antidémocratique (…) en faisant planer la menace de la peine de mort sur les leaders de l’opposition”, proteste Maurice Kamto.

Du côté de la présidence, on assure que ce débat n’a pas lieu d’être.

Faut-il réellement s’attendre à ce que le nouveau dispositif devienne une arme dans la main du régime Biya ? Du côté de la présidence, on assure que ce débat n’a pas lieu d’être. “Il ne s’agit aucunement, comme l’ont prétendu certains esprits mal intentionnés, d’en prendre prétexte pour restreindre les libertés publiques. D’ailleurs, le texte est parfaitement clair à cet égard”, a déclaré Paul Biya à l’occasion de ses vœux pour 2015, tandis que le ministre de la Communication insistait sur RFI sur le fait que “les lois sociales, les lois de la communication sociale qui définissent les règles du jeu pour les partis politiques, pour la société civile, pour la liberté de la presse, (…) demeurent intactes”.

“On ne saurait confondre une manifestation politique et une manifestation à caractère terroriste”, ajoute ce dernier, qui explique que “le terrorisme est parfaitement défini dans cette loi”.

On aplatit l’État de droit et les libertés, mais dans une légalité apparente, réagit Me Alice Nkom.

“Affirmer que l’État saura faire une différence entre les divers types de manifestations peut être interprété comme la preuve de l’immixtion de l’exécutif dans la sphère judiciaire”, déplore Joseph Claude Billigha.

“On a vu ce qu’a donné l’opération Épervier. Sous prétexte de lutte contre la corruption, on a lancé un règlement de compte politique et une chasse aux sorcières interne”, répond à son tour l’avocate Alice Nkom. “Biya a pris cette décision à cause de ce qui s’est passé au Burkina Faso. Il traite ceux qui l’ont élu comme des ennemis, en partie parce qu’il n’est pas sûr que sa candidature soit acceptée pour la présidentielle de 2018. On aplatit l’État de droit et les libertés, mais dans une légalité apparente”, conclut-elle.

Source: jeuneafrique.com

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