Le Mali est signataire de plusieurs instruments juridiques internationaux, panafricains et sous régionaux visant à protéger les droits de chaque personne sans aucune discrimination et garantir les libertés fondamentales. En juillet 2023, une nouvelle Constitution a été adoptée par référendum et promulguée par le Président de la Transition. Cet instrument juridique national reconnait et garantit les droits humains, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Les compétences du Cadi !
Aguibou Bouaré est le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Mali (CNDH). Cette institution est chargée de former, d’informer, de communiquer en vue d’instaurer une culture des droits humains au Mali. Elle dispose en son sein d’un Commissaire représentant toutes les confessions religieuses du Mali. La CDNH entreprend des études scientifiques sur les problématiques des droits humains et est chargée d’introduire l’enseignement des droits humains au niveau de tous les cycles de formation y compris la formation professionnelle.
Parlant du système judiciaire du Cadi, le Président de la CNDH dira que le Cadi est la personne chargée de trancher certains litiges au regard de certaines religions, notamment l’islam. L’intervention du Cadi se situe dans le cadre des modes alternatifs de règlement des litiges hors du champ de la justice classique c’est-à-dire étatique. Et permet de désengorger les juridictions étatiques en tranchant les litiges mineurs à l’exclusion de la matière pénale.
Les poursuites au titre des violations et abus des droits humains échappent à la compétence des cadis ou devraient l’y échapper pour tout ce qui concerne les violations graves. L’Etat est le principal débiteur en matière de protection des droits humains en ce sens qu’il doit veiller à les respecter et les faire respecter. Les violations et abus des droits humains doivent être réprimés devant les juridictions classiques Étatiques, par complémentarité devant les juridictions régionales ou internationales telles que la Cour Pénale Internationale (CPI). « En clair, le Cadi peut jouer un rôle important dans la distribution de la justice pourvu que sa compétence soit limitée aux affaires civiles et commerciales ; il peut trancher les affaires pénales mineures à l’instar de la médiation pénale » a précisé M. Aguibou Bouaré, Président de la CNDH,
Le Cadi est un mécanisme juridictionnel religieux ou coutumier. Il ne doit pas méconnaître dans son office les principes universels des droits humains qui sont des droits inhérents à la nature humaine, inaliénables, indivisibles, interdépendants. Certains de ces principes universels sont consacrés dans notre loi fondamentale (la Constitution). Il faut en déduire que les décisions du Cadi ne doivent pas aller à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains. Le point de convergence significatif avec les droits humains est le droit à la justice dans le sens de l’accès à une justice crédible, indépendante, impartiale et rendue dans un délai raisonnable.
Quant au point de divergence, toutes les décisions du Cadi relatives à la torture, aux traitements cruels, inhumains ou dégradants (sévices corporels, amputations) ne sont pas respectueuses des droits humains. De façon générale, l’office du Cadi doit s’inscrire dans le respect des lois de la République et des traités internationaux auxquels le Mali a souscrit. La justice ne peut être rendue sur la base de corpus juridiques antinomiques dans un même pays.
Les bases de l’Office du Cadi dans la religion musulmane !
Ousmane Diarra, Secrétaire chargé de la jeunesse au Bureau National du Haut Conseil Islamique du Mali et Président de l’Association Malienne des Jeunes Musulmans, explique l’importance du droit musulman dans la société. Il a souligné que l’islam est une religion qui préserve cinq valeurs fondamentales : la croyance, la vie, l’esprit, l’honneur et le bien. Selon lui, le Cadi s’appuie sur plusieurs sources pour exercer la justice : le Coran, l’analogie, la tradition prophétique (Sounna), le consensus entre les musulmans, ainsi que la coutume et la tradition. Ces éléments forment la base de la jurisprudence islamique.
Pour Ousmane Diarra, le droit musulman va bien au-delà des préoccupations de la vie terrestre et englobe aussi la vie dans l’au-delà. Il estime que, contrairement au droit international contemporain, qui ne prend en compte qu’une partie de la réalité humaine ; la législation islamique embrasse une vision beaucoup plus large de l’existence. Bien qu’il existe des points de convergence entre le droit musulman et le droit universel, des divergences demeurent sur plusieurs aspects. Diarra affirme qu’un Cadi qui exerce pleinement ses fonctions, avec les pouvoirs nécessaires dans une société musulmane, peut grandement contribuer à la paix sociale et à la justice équitable. Cela garantirait à chacun le respect de ses droits et la préservation des droits humains.
Toutefois, il reconnaît que l’islam se réserve certains points en ce qui concerne le droit universel. Il plaide pour un débat ouvert entre la justice islamique afin de mieux concilier les deux systèmes. Ce dialogue permettrait de mieux comprendre les exigences et les objectifs de chaque système afin de travailler ensemble malgré des approches différentes sur certaines questions.
L’avenir de la coexistence législative au Mali !
L’Avocat au barreau du Mali, Me Moctar Mariko explique que le rôle des Cadis a été particulièrement connu pendant la crise au nord où ils assuraient la justice informelle. Il précise que l’intégration des Cadis dans le système judiciaire est en discussion au CNT devant la Commission permanente des lois. Un avant-projet de loi vise à définir leur rôle et statut, en les limitant aux litiges civils et religieux ainsi qu’à la médiation. Toutefois, les affaires pénales graves échappent à leur compétence. Il souligne que les décisions des Cadis doivent être homologuées par un juge formel, garantissant ainsi leur conformité avec les normes internationales.
A noter que le Mali, en tant qu’Etat partie à plusieurs traités relatifs aux droits humains, est tenu de respecter et protéger ces droits. La coexistence entre la justice islamique des Cadis et le système juridique formel malien pose des défis, mais un dialogue entre les deux systèmes pourrait ouvrir la voie à une complémentarité bénéfique pour la société malienne. L’enjeu est de garantir que les droits humains tels que consacrés dans les lois nationales et internationales soient respectés par tous, y compris les Cadis.
Par Fatoumata Coulibaly « Ce reportage est publié avec le soutien de JDH et NED »
Source: Le Sursaut