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BTP : les buildings de tous les dangers

Des immeubles en construction s’écroulent comme des châteaux de cartes. La faute à la propension des entreprises à faire des économies sur les études des sols et des matériaux

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Le 19 septembre dernier, un immeuble de 8 niveaux (R+7) s’est écroulé à l’ACI 2000, causant la mort de deux personnes qui ont eu la malchance de passer par là. A l’origine de cet énième sinistre de ce type : le non respect du plan initial qui prévoyait un immeuble R+5 au lieu de R+7. L’immense bâtisse appartenait à l’opérateur économique Amadou Baïba Kouma que nous avons tenté en vain de joindre. L’homme d’affaire aurait quitté le pays depuis 2012.

Après le drame, le département de l’Urbanisme et de l’Habitat a entrepris de faire toute la lumière sur ses causes. L’enquête ouverte est toujours en cours. Selon nos informations, les investigations ont établi que c’est en violation des prescriptions du plan initial que le représentant du promoteur a demandé l’extension de l’immeuble à l’entreprise chinoise SCCC-SA. Les travaux supplémentaires concernaient les 6è et 7è étages avec un délai d’exécution de 4 mois.

La même entreprise chinoise avait exécuté les travaux du plan initial qui portait sur la réalisation d’un immeuble de type R+Mezzianine+5. Ce plan, approuvé par la direction régionale de l’urbanisme, a été élaboré par le bureau d’études QUARC assurant la maîtrise d’oeuvre du projet.

En sa qualité de consultant, QUARC était chargé de la coordination, du pilotage et de l’ordonnancement du chantier. A cet effet, il devait placer sur le site un contrôleur des travaux et procéder à l’élaboration des ordres de services. Il était aussi chargé de l’approbation des installations de chantier et des implantations, de l’organisation des réunions de chantier hebdomadaires et/ou mensuelles. Il devrait aussi élaborer les différents procès-verbaux, analyser des réclamations et faire des recommandations quant aux mesures à prendre pour régler les litiges éventuels, approuver des décomptes de l’entreprise, organiser la réception des travaux, des échantillons des matériaux et matériels, des plans et documents approuvés par le bureau de contrôle technique et élaborer les différents procès-verbaux. Il devait en outre veiller au respect des règles d’hygiène, de sécurité et la protection de l’environnement, de la qualité d’exécution des ouvrages, au bon déroulement des travaux et à leur organisation. QUARC devait veiller également au respect des prescriptions techniques en la matière et des instructions quant aux recommandations et objectifs à atteindre par le maître d’ouvrage.

Le même bureau d’études avait en charge la supervision qui consiste à donner à l’entrepreneur des directives propres à assurer le respect des dispositions prévues au marché, sans pour autant dégager l’entrepreneur de ses obligations contractuelles et de ses responsabilités d’études techniques (plans d’exécutions) et de mise en oeuvre.

Le même bureau assure le contrôle de la conformité de l’ouvrage suivant les plans d’exécution et les plans d’architecture. Il vérifie les situations des travaux et établit les propositions d’acompte si nécessaire. L’ingénieur qu’il a recruté assure la supervision technique de l’exécution des ouvrages et dirige les réunions hebdomadaires de chantier.

Quant au bureau d’ingénierie conseil ALPAGES-MALI, il devait assurer le contrôle technique qui concerne la normalisation des risques d’effondrement et la responsabilité décennale. Elle a pour but de prévoir ou déceler les imperfections susceptibles de nuire à la stabilité. La mission de supervision d’ALPAGES-MALI a porté, entre autres, sur la solidité des ouvrages et des éléments d’équipements indissociables en vue de la garantie décennale. A cet effet, il devait examiner les plans d’exécution et avis circonstanciés, réaliser des visites inopinées sur le site toutes les semaines avec réception impérative des fonds de fouilles des fondations. C’est ainsi qu’à la faveur d’une visite de terrain, ALPAGES-MALI a dressé un procès-verbal en date du 4 avril 2011 relatif à la réception des fouilles. « A la profondeur de 2 mètres, la couche rencontrée est de l’argile conformément aux rapports de l’étude de sol. ALPAGES demande à l’entreprise de fournir les plans du réseau de terre pour approbation », peut-on lire dans le document.

DECISIONS CONTRAIGNANTES. Jusque-là, le projet restait dans le strict cadre normatif qui lui a valu l’avis favorable de la direction régionale de l’urbanisme et de l’habitat et l’autorisation de la mairie, le 22 février 2011. Le président de la délégation spéciale d’alors de la Commune IV, Karim Togola, a dans une correspondance adressée au promoteur Amadou B. Kouma, insisté sur le strict respect des normes. L’autorisation, d’une durée d’un an, avait été accordée sous réserve de conformité avec les plans et devis déposés auprès des services techniques et de la mairie.

Mais, selon nos sources, c’est en l’absence du promoteur que son représentant a instruit l’extension du chantier, le portant à R+7 en violation des engagements pris précédemment. Dans une correspondance en date du 30 novembre 2012, adressée au promoteur, le directeur régional de l’urbanisme et de l’habitat a instruit de faire arrêter les travaux sur le chantier. Cette injonction est restée sans suite. Selon nos sources, le directeur régional de l’urbanisme et de l’habitat aurait dû informer sa hiérarchie de la réponse à sa correspondance. Ainsi, le procureur de la République près le tribunal de la Commune IV aurait pu décider de faire arrêter les travaux. Mais cette démarche n’a pas été effectuée. En l’absence de décisions contraignantes, les travaux du chantier ont donc continué jusqu’à la date fatidique du 19 septembre 2015.

Selon nos sources, en l’absence du rapport d’enquête, il n’est pas aisé de se prononcer sur les causes du sinistre mais l’attention s’est focalisée sur les structures de base du bâtiment qui étaient conçues pour un bâtiment de 6 niveaux.

Ce drame aurait pu être évité, selon des techniciens du Centre national de recherche et d’expérimentation en bâtiment et travaux publics (CENREX-BTP). Ce centre a été consulté par les enquêteurs commis par le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat pour élucider cette affaire. Les agents du CENREX-BTP, Massa Djourté et Diessé Ousmane Traoré, ont critiqué le fait que les entreprises de construction ne s’adressent pas à leur structure pour les études géotechniques et les études des matériaux. Le CENREX-BTP, d’après nos interlocuteurs, est l’un des mieux équipés d’Afrique et le seul au Mali à disposer des compétences techniques avérées dans tous les domaines des BTP. Il dispose d’équipements de dernière génération en matière d’études. Au lieu d’utiliser les services de ce laboratoire ultramoderne, certaines entreprises ont préféré se doter de petits laboratoires forcément moins performants.

Nos deux interlocuteurs imputent les effondrements à répétition des immeubles en chantier à des négligences dans les études géotechniques et les études des matériaux. Les techniciens critiquent à ce propos la propension des entreprises à réaliser des économies sur les frais d’études. Ils assurent que le Burkina Faso s’est inspiré du CENREX-BTP pour construire son laboratoire de pointe. Aujourd’hui au Pays des hommes intègres, seul le laboratoire national est habilité à réaliser les études du sol et des matériaux de construction. Sans son cachet, aucun document officiel n’est délivré en la matière. Au Ghana, sans le cachet du laboratoire national, aucun matériau de construction n’est autorisé sur le marché.

Les techniciens du CENREX-BTP pensent que notre pays doit s’inspirer de ces exemples pour éviter les drames sur les chantiers de construction. Selon nos interlocuteurs, les routes aussi se dégradent très vite parce les normes de construction ne sont pas respectées. C’est pour cette raison que le ministre de l’Équipement, des Transports et du Désenclavement, Mamadou Hachim Koumaré, a instruit à tous ses services techniques impliqués dans la réalisation d’infrastructures structurantes de recourir à l’expertise du CENREX-BTP.

Ce volontarisme du ministre Koumaré ne résout pas totalement le problème car le CENREX-BTP, une entreprise publique à caractère administratif avec autonomie de gestion, est handicapé principalement par le fait qu’il n’intervient que sur les études, un segment de la chaîne de fabrication. Alors que les marchés d’appel d’offre sont présentés sous forme de paquets de services. Le CENREX-BTP est donc réduit à une entreprise de sous-traitance pour les entreprises privées. C’est pour cette raison que la plupart d’entre elles ont tout simplement créé de petits laboratoires domestiques. Mais les erreurs d’analyses dans les BTP provoquent des drames. La solution, selon nos interlocuteurs, serait donc d’exiger le certificat du laboratoire national des BTP dans les demandes d’autorisation de construire.

A. O. DIALLO

Source: Essor

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