Proclamée par la Cour constitutionnelle, la réélection d’IBK est contestée par le leader de l’opposition, Soumaila Cissé, lequel dit « catégoriquement » rejeter l’arrêt de la Cour et appelle à la mobilisation générale pour restaurer sa « victoire volée ». On assiste donc à un troisième tour du scrutin, cette fois dans les rues.
LE RECOURS À LA RUE
Mais pourquoi Soumaila Cissé, pourtant réputé pacifiste et qui, en 2013, est allé féliciter Le président élu jusqu’à domicile, en appelle-t-il aujourd’hui à la rue ? Plusieurs explications sont possibles.
D’abord, Cissé a 69 ans et joue sa dernière carte présidentielle, 2023 s’annonçant comme un tournant générationnel aux dépens des acteurs du 26 Mars 1991.
Ensuite, le chef de l’opposition paraît réellement convaincu d’avoir remporté le scrutin si l’on ne comptabilise pas ce qu’il prend pour des « bourrages d’urnes » perpétrés au nord et au centre du Mali.
De surcroît, Soumaila Cissé estime qu’avec le « système de fraude et de corruption » mis en place par le pouvoir à l’échelle étatique, aucune des futures échéances électorales (législatives, régionales et communales) ne sourira à l’opposition.
En outre, maints alliés de Cissé, notamment Choguel Maiga, pensent que pour gagner au nord et au centre, le chef de l’Etat a pactisé avec les rebelles de la CMA qui profiteront du nouveau quinquennat pour légaliser leur domination sur les deux tiers du territoire national, au détriment des majorités populaires locales.
De plus, toutes les forces regroupées autour de Soumaila Cissé croient dur comme fer que si elles laissent IBK gouverner en paix, il organisera une transmission dysnastique du pouvoir et que plus jamais, il n’y aura d’élection régulière au Mali.
Enfin, les leaders de la contestation sont persuadés qu’en se démobilisant, ils seront esseulés et embastillés un à un par le pouvoir qui, ces derniers mois, aurait acquis un puissant arsenal répressif.
On le voit, l’enjeu du conflit dépasse le cadre de la seule présidentielle; il induit une totale crise de confiance entre les deux bords politiques, agrémentée d’arêtes ethno-sécuritaires.
OFFRE DE DIALOGUE
Pour apaiser le climat, le président IBK invite Soumaila Cissé à « gérer le réel et non les illusions », en acceptant de participer à la gestion du pouvoir car, assure l’hôte de Koulouba, « il y a de la place pour tout le monde ». L’offre est déclinée par Cissé qui refuse de reconnaître l’élection de son rival dont la Cour constitutionnelle ne serait qu’une « prisonnière volontaire ».
Pourquoi le chef de l’opposition refuse-t-il l’offre de dialogue du chef de l’Etat ? Deux hypothèses explicatives nous viennent à l’esprit.
La première tient à la crise de confiance susdite. L’opposition pointe du doigt la forte discordance entre le discours apaisant tenu par le président IBK en français et les menaces qu’il a ensuite proférées contre ses adversaires en bambara. Elle en déduit que la volonté de dialogue du chef de l’Etat manque de sincérité et qu’en y donnant suite, l’opposition tomberait, la tête la première, dans un piège.
De plus, Soumaila Cissé et ses compagnons ne semblent nullement assurés de pouvoir travailler librement dans un gouvernement que leur ouvrirait à contrecoeur IBK. « D’ailleurs, murmure-t-on dans les coulisses de l’opposition, rien ne permet de penser qu’IBK remettra à l’opposition des ministères importants ni qu’il maintiendra les opposants en poste une fois qu’il se sentira assez fort pour se débarrasser d’eux. Sans compter les risques de trahison des ministres que l’opposition enverrait au gouvernement ».
Il s’ensuit que Soumaila Cissé voit de meilleures garanties dans une conjoncture où, à défaut de pouvoir arracher la magistrature suprême, il garderait son statut de chef de file de l’opposition avec, en prime, plusieurs présidences de conseils de cercles et de régions, ainsi que de multiples mairies. Or, en participant au gouvernement, l’URD cesserait légalement d’appartenir à l’opposition et son président, Soumaila Cissé, perdrait (au profit d’Aliou Diallo par exemple) le statut de chef de file de l’opposition qui lui confère une liberté d’action, un rang protocolaire, une visibilité politique et un budget annuel dépassant de loin les avantages d’un ministère.
Pour ne rien arranger, les médiateurs sociaux (leaders religieux, griots, notables) qui auraient pu forcer IBK et Soumaila Cissé à s’entendre sont pour la plupart grillés. La raison? Eux-mêmes ont trempé dans le sulfure partisan, apparaissant désormais comme des acteurs plutôt que comme des arbitres. Leur rôle d’intercesseur revient maintenant, hélas!, aux puissances étrangères qui ne veulent pas forcément du bien de notre pays.
RAPPORTS DE FORCE
À présent, le commun des Maliens s’interroge sur l’issue du bras de fer engagé dans les rues. Si, lors de ses premières marches du 11 et du 18 août, l’opposition a mobilisé des foules moyennes, elle a, en revanche, fait un véritable raz-de-marée le 25 août et ce, de manière simultanée, dans plusieurs localités de l’intérieur et de l’extérieur : Bamako, Mopti, Tombouctou, Gao, Ségou, Goundam, Niafunke (fief de Soumaila Cissé), Nioro (fief du Chérif Bouillé Haidara), Paris, Barcelone et New York…
Soumaila Cissé réussit ainsi à troubler la quiétude du pouvoir comme l’atteste le cafouillage administratif qui a consisté, de la part du gouverneur de Bamako, à interdire puis à autoriser la marche du 25 août en l’espace de quelques heures, rendant, du coup, parfaitement indéfendable le prétexte officiel d’interdiction tiré de l’état d’urgence.
Ce faisant, Cissé fait d’une pierre deux coups : il engrange les dividendes de son alliance avec le CDR de l’activiste Ras Bath, passé maître dans l’art de galvaniser les foules; parallèlement, il entretient un climat délétère susceptible d’entraîner, au fil des étapes, de nouveaux groupes de mécontents : syndicats de magistrats, de la santé, de l’éducation, des collectivités territoriales, etc.
Le résultat de cette stratégie de harcèlement pourrait fortement préjudicier au regime d’IBK. Cerné d’adversaires et de brouhaha, celui-ci attirera difficilement les investisseurs étrangers pour développer l’économie et tenir ses promesses socioéconomiques de base. Pis, alors que le désordre règne dans les rues des villes, comment appliquer plus vigoureusement l’accord de paix signé avec les groupes armés ? Comment procéder aux réformes légales et constitutionnelles que requiert le texte ? Et si IBK, faute de stabilité au sud, se voyait obligé de retarder l’application de l’accord, ne pousserait-il pas les groupes armés et leur marraine (la communauté internationale) dans les bras de Soumaila Cissé ?
Ces questions montrent bien pourquoi IBK multiplie les menaces contre « quiconque veut mettre le feu au pays ». Elles permettent surtout de mesurer l’ampleur de son embarras dans la réponse à apporter aux grondements de la rue. Deux options s’offrent à lui:
* gagner les contestataires à l’usure: cette éventualité présente l’avantage que le président n’usera pas de la force, gardera une image de bon démocrate laissant chacun s’exprimer à sa guise, débauchera les opposants les moins convaincus, tout en laissant les foules adverses se décourager progressivement et l’opposition mourir de sa belle mort comme le défunt Coppo de 1997; mais l’inconvénient majeur de cette stratégie d’usure réside dans les urgences sociales à régler et, surtout, dans la vive impatience de la communauté internationale à voir l’accord de paix appliqué;
* réprimer les contestataires: cette démarche, si elle réussissait, permettrait de mettre fin à la grogne en un temps record et de libérer le président de toute contrainte dans l’exécution de ses promesses intérieures et extérieures; mais la stratégie de la force comporte des risques de bain de sang, d’exacerbation de la révolte et de réprobation internationale dans un monde où de nombreux dirigeants sont poursuivis devant la CPI pour faits de répression sanglante (Laurent Gbagbo, par exemple).
Il y a lieu de souligner qu’une dégradation de la situation politique et sociale pourrait faire l’objet de récupération à des fins terroristes ou putschistes.
QUE FAIRE ?
Pour toutes ces raisons, il nous paraît judicieux de proposer au chef de l’Etat et à l’opposition les compromis suivants:
* former un gouvernement d’union nationale où la primature et plusieurs ministères clés reviennent à l’opposition: cette équipe, qui durera un ou deux ans, aura charge d’organiser, sous supervision internationale, les élections législatives, régionales et communales avec la garantie que nul n’en contestera les resultats;
* laisser le gouvernement à l’opposition au cas où elle sort majoritaire des législatives;
* laisser le président IBK former le gouvernement de son choix au cas où ses partisans gagnent aux législatives;
* convoquer des assises nationales pour relire l’accord de paix, la loi électorale et la Constitution du Mali.
Maître Cheick Oumar Konaré
Malizine