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Bourem : LE SABLE ENGLOUTIT TOUT

Maisons à moitié ensevelies, champs envahis, fleuve ensablé. Les dunes font fuir les hommes et les animaux, les privant des ressources vitales

bourem gao nord mali

Bourem, à la porte du désert. Le temps est à la canicule. Des vents chauds et secs soufflent avec force et répandent partout du sable. Pour se protéger des rafales, certains arborent un turban, d’autres se coiffent d’une chéchia. En ce début d’hivernage, les pluies se déclenchent sous la forme de violentes tornades. Quand le temps menace, il faut vite chercher un abri. Car se déplacer devient impossible. Ce qui nous oblige à attendre avant de pouvoir rallier Bourem Jindo, Baria, puis Karabassane et Bosso-miyo. Sur notre moto, nous passons sans difficulté le poste de contrôle tenu par l’armée malienne. L’accueil chez le chef de village de Baria, Abdoul Wahidou Maïga, est chaleureux. Le village est entouré de palmiers doum. Dans la cour non clôturée de notre hôte, il faut faire attention à ne pas marcher sur des tas de bouse de vache qui jonchent le sol.
Ces excréments (« handjèri » en songhoy), nous explique-t-on, sont laissés éparpillés délibérément au soleil pour sécher et servir ensuite de combustible pour les besoins domestiques. La famille Maïga dispose, grâce aux réserves qu’elle a constituées, de quoi alimenter les foyers de sa cuisine de juin à février sans recourir au bois de chauffe. Ici, on utilise la bouse de vache depuis longtemps, car le bois de chauffe devient de plus en plus inaccessible. Un tas de trois ou quatre petits morceaux se vend aujourd’hui à 250 Fcfa. Le sac de charbon de bois en provenance de Gossi coûte 6500 Fcfa. Les vendeurs arrivent à se procurer du bois malgré l’interdiction de couper les rares pieds d’arbres qui parsèment le désert. « Il arrive que nous coupions des arbres à moitié. Nous revenons quelques jours après pour voir s’ils commencent à s’assécher. On se permet ensuite de les abattre complètement », confie l’un des vendeurs de bois qui explique que cette astuce permet de contourner la loi, puisque celle-ci n’interdit pas la coupe de bois mort.
Notre interlocuteur est pourtant conscient qu’il contribue ainsi au déboisement qui, conjugué à d’autres facteurs, favorise l’ensablement. Ahmadou Mahitou, un environnementaliste, relève surtout les effets du surpâturage sur le couvert végétal. Aujourd’hui, souligne-t-il, les animaux ont presque fini de tondre le couvert végétal de la partie nord de Bourem. C’est pourquoi les éleveurs se rendent dans le Gourma (plus au sud). Mais, prévient-il, le Gourma aussi sera dévasté bientôt si les éleveurs continuent à pratiquer l’élevage extensif. Notre spécialiste pointe également l’ensoleillement excessif qui détruit les germes des espèces végétales dans le sol.

DES ESPÈCES QUI DISPARAISSENT. Les arbres, c’est connu, constituent un rempart contre l’avancée du désert. Leur absence crée des sols pelés sur lesquels les grains de sable sont déposés au gré du vent. Les conséquences sont alarmantes. Le sable est devenu envahissant, obligeant les paysans à délaisser leurs champs. Dans les villages, des habitants abandonnent leurs maisons à moitié ensevelies par le sable. Les pistes sont à peine carrossables. Aujourd’hui, la menace s’étend aux cultures pluviales et maraîchères, à la pêche, à l’environnement aquatique, en passant par les écosystèmes de la vallée du Niger. Le fleuve, principale ressource en eau de surface de notre pays, devient de moins en moins profond. En cette période d’étiage, et en de nombreux endroits, des bancs de sable émergent en îlots, alors que l’alimentation en eau des populations et des animaux devient de plus en plus difficile.
De nos jours, de nombreuses espèces fauniques et halieutiques ont disparu, alerte Ahmadou Mahitou, qui cite des variétés végétales comme le cramcram (une épineuse dont les graines s’accrochent aux vêtements) et le fonio, ou encore des espèces animales comme le lapin, le lion, l’hyène, la girafe, sans oublier des espèces aquatiques comme le caïman et le lamantin. Notre spécialiste explique que le phénomène de l’ensablement est à l’origine de l’insécurité alimentaire chronique et de l’aggravation de la pauvreté, car la biodiversité qui fournit des matières premières, des aliments et des médicaments est complètement détériorée.
Les populations tentent de s’adapter à la situation en organisant leurs activités en conséquence. C’est le cas des communautés de Bossomiyo et Karabassane. «Le sable est notre compagnon. Nous nous déplaçons vers le sud du Gourma au fur et à mesure qu’il avance vers nous», indique avec une amère ironie Fatoumata Inahongou, mère d’une famille de quatre enfants à Bossomiyo. Elle nous indique de la main sa maison familiale abandonnée à un kilomètre vers Karabassane, voilà plus de 20 ans.
Dans le Haoussa (côté nord du fleuve), les habitants se montre beaucoup plus inquiets, car la situation est très préoccupante. A Bourem Jindo, la maison du vieux Tami Maïga est engloutie jusqu’aux fenêtres. Le chef de famille n’exclut pas de se déplacer vers le Gourma avant l’ensevelissement total de sa maison. Dans le village de Maza, le panicum tirgidum (Saaba, en langue vernaculaire) planté pour former une haie de protection du fleuve ne retient plus le sable.
Au niveau de Téméra, le Niger est comme coincé entre des montagnes de sable. C’est la décrue, nous traversons les villages en roulant sur la berge. Selon Almaïmoune Maïga, le premier adjoint au maire de la commune de Bourem, certains champs ont perdu de 1980 à aujourd’hui plusieurs mètres en largeur du fait de l’ensablement. C’est encore pire dans d’autres villages, dit-il. Le chef de village de Baria, par ailleurs deuxième adjoint au maire, précise qu’on récoltait 3 tonnes en 1983 dans un champ entièrement délaissé aujourd’hui. Sur la route, la monotonie du paysage laisse présager que toute présence pourrait bien avoir déserté ces lieux sous peu.
Pourtant les idées ne manquent pas pour contrer le phénomène de l’ensablement. Le directeur général du bureau d’études environnementales Mak Consulting, Abdoulaye Maïga, préconise la culture du bourgou, très développée dans la zone. La plante permet de fixer le sol et constitue une source de revenus puisqu’elle sert d’aliments aux animaux. La botte de bourgou se vend entre 2500 Fcfa et 3000 Fcfa. Pendant l’hivernage, le prix tombe à 1500 Fcfa à cause de la chute de la demande du fait du départ des animaux vers le Gourma.

LA VEILLE CITOYENNE A ÉTÉ MISE EN PLACE. Beaucoup misent également sur le reboisement. Les écoles sont mises en compétition pour reboiser le maximum de superficies, souligne le coordinateur régional du programme Gouvernance locale démocratique dans la gestion des ressources naturelles (GLD), Souleymane Touré. A Hamane Koira (Bourem), le reboisement scolaire a donné des résultats probants. Mais ces arbres vont-ils résister aux activités néfastes de l’homme ?
Souleymane Touré voit plus grand et préconise de faire avancer en toute urgence le projet de la Grande muraille verte qui amènera nécessairement le reboisement des espaces dénudés pour freiner le phénomène de l’ensablement. Rappelons que ce projet prévoit le reboisement de 15 millions d’hectares dans la bande sahélo-saharienne sur une largeur de 15 kilomètres et une longueur de plus de 7000 kilomètres. Son coût est estimé à 1,5 milliard de dollars et concerne tous les pays sahéliens du Sénégal à Djibouti.
Notre interlocuteur explique que dans le cadre de la mise en œuvre du programme national GLD, des comités de veille citoyenne ont été mis en place pour surveiller les actions liées à la gestion des ressources naturelles des décideurs et agents au niveau local. Chaque année, ces comités tiendront un espace d’interpellation pour donner la parole à tous les acteurs.
Pour Ahmadou Mahitou, la solution durable dans cette zone désertique réside dans l’aménagement et l’utilisation de puits citernes, de forages, de pompes éoliennes et de panneaux solaires pour extraire l’eau souterraine. La réponse au phénomène nécessite la conjugaison d’efforts communs et des moyens conséquents. « Le malheur à Bourem, c’est que les jeunes parlent trop sans agir. Nous n’avons ni le temps, ni les moyens d’entretenir une dune. Nous ne cherchons qu’à manger », déplore Abdou Touré, un leader de jeunes.
Dans le cadre de la lutte contre l’ensablement du fleuve Niger, l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN), a mené des actions de fixation de dunes à Gao en 2005 et procédé à l’enlèvement de 440.000 mètres cubes de sable en 2011. En perspectives, dans le cadre du Projet de réhabilitation économique et environnemental du fleuve Niger (PREEFN) dont le financement est assuré par la Banque mondiale, il est prévu le dragage du fleuve dans le Delta intérieur du Niger. Les études sont en cours pour cette opération. L’ABFN prévoit aussi le dragage du fleuve Niger de Bamako à la frontière guinéenne, et entre Ansongo et Niafunké dans le Programme national de sauvegarde du fleuve Niger (PNSFN) dont le texte a été adopté en Conseil des ministres le 8 juillet dernier. Autant d’heureuses annonces dont la réalisation est impatiemment attendue par les populations.

Envoyé spécial A. A. MAÏGA

Source : L’ Essor

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