L’Etat malien a recruté 10 200 soldats et 1 500 policiers depuis deux ans, précise le ministre des Finances, à la veille d’un sommet qui doit permettre aux pays du Sahel de récolter des fonds pour soutenir la lutte militaire contre les djihadistes
Les faits. Une nouvelle table ronde du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad) se tient vendredi à Bruxelles, en présence d’Emmanuel Macron et de ses pairs africains. Objectif : rassembler davantage de financement auprès des pays donateurs, pour permettre le déploiement effectif et durable de cette force militaire dans la région en proie aux attaques terroristes. Le G5 Sahel doit prendre en partie le relais de l’opération anti-djihadiste Barkhane de l’armée française, dont deux soldats ont été tués par l’explosion d’une mine artisanale, jeudi au Mali.
Qu’attendez-vous de la Conférence internationale de haut niveau sur le Sahel ?
Nous avons réalisé une estimation des besoins. Il faut 423 millions de dollars par an pour assurer la montée en puissance de la force conjointe du G5, dotée de 5 000 hommes, l’équiper et mettre à sa disposition les infrastructures militaires nécessaires. Nous espérons boucler ce budget lors de cette réunion à Bruxelles. Nous avons déjà des promesses fermes d’engagements à hauteur de 254 millions pour cette année. Les États du Sahel ont mis en place des outils de bonne gestion de cette enveloppe financière (fonds fiduciaire, manuel de procédures, organes de gestion). Tout le monde est aujourd’hui convaincu de la nécessité d’appuyer cette force pour enrayer le fléau terroriste.
Quel est le coût de l’effort militaire sur le budget malien ?
Il est très important puisqu’il représente 22 % du budget national, soit environ 600 millions de dollars par an. Les trois quarts vont à l’armée et un quart à la sécurité intérieure. Il faut assurer la masse salariale de 30 000 hommes. En 2016 et 2017, nous avons recruté 10 200 soldats pour renforcer l’armée et 1 500 policiers. Nous avons prévu d’embaucher 5 100 soldats et 2 000 policiers supplémentaires pour l’année 2018. Ce budget militaire comprend également les équipements et la formation, dont une partie est aussi dispensée par des partenaires extérieurs comme l’Union européenne. Nous avons en outre mis en place depuis 2016 une force spéciale antiterroriste (Forsat), une sorte de GIGN. Cette structure opérationnelle est constituée de 180 éléments triés sur le volet (60 policiers, 60 gendarmes et 60 gardes nationaux). C’est une troupe d’élite, très bien formée, mobilisable rapidement sur des terrains à haut risque terroriste comme en juin dernier lors de l’attaque du campement de Kangaba, en périphérie de Bamako.
Que faites-vous pour favoriser le retour de l’État dans les régions du centre qui ont basculé dans le terrorisme ?
Nous mettons en œuvre un plan de sécurisation des régions du centre. Ce plan prévoit le redéploiement de militaires, de policiers, de gendarmes, de gardes forestiers et autres représentants de l’État (juges, préfets…). Notre objectif est d’avoir 3 000 éléments des forces de sécurité sur le terrain d’ici deux mois pour sécuriser la zone. Cela permettra de recréer un climat de confiance avec la population, de mettre en œuvre des actions de développement (santé, éducation, agriculture) et de préparer l’élection présidentielle, le 29 juillet prochain.
Le calendrier électoral sera-t-il tenu ?
Nous avons prévu de dépenser 100 millions de dollars pour financer le cycle électoral (présidentielle et législatives). Nous allons réaliser un audit du fichier électoral, une révision exceptionnelle de ce fichier (opérations spéciales d’enrôlement) et certainement fabriquer de nouvelles cartes d’électeurs. Nous étudions aussi l’acquisition d’un processus de transmission sécurisée pour la compilation des résultats. Ce qui explique la cherté du processus mais c’est le prix à payer pour assurer des élections crédibles et transparentes et pour éviter les contestations.
Où trouvez-vous les ressources pour financer ces actions ?
Les ressources sont d’abord mobilisées en interne à travers les recettes fiscales et douanières qui ont connu une augmentation de plus de 50 % depuis l’année 2013. Les cours de l’or et du coton, qui assurent 80 % de nos recettes d’exportation, se portent bien. La récolte cotonnière devrait atteindre un record à 707 000 tonnes, ce qui fait du Mali le premier producteur en Afrique au sud du Sahara. Et la production aurifère, avec 48 tonnes extraites, est en hausse. Une grande société canadienne, B2Gold, a découvert la plus grande mine d’or de la sous-région, à Fékola, près de la grande ville de Kayes. Cela nous permet d’avoir des ressources additionnelles et d’accroître nos investissements dans l’agriculture (15 % du budget) et dans les infrastructures routières et énergétiques. La priorité va au désenclavement de certaines zones comme Sadiola, Ségou, Sévaré. Plus de 42 % des investissements proviennent du budget de l’État. Nous espérons avoir une croissance de plus de 6 % en 2018 contre 5,6 % en 2017.
Y a-t-il des espoirs de relancer l’industrialisation ?
Le secteur secondaire représente 6 % du PIB. C’est faible. Un des freins au développement industriel est le coût de l’énergie et l’absence d’infrastructures pour répondre à une demande électrique qui croît de 10 % par an. Nous avons 350 mégawatts de capacité installée, alors que les besoins sont de 700. L’énergie représente 55 % du coût de production d’une once d’or. C’est bien plus cher qu’au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Nous sommes en train de poser des fondations pour l’essor industriel en transformant la base structurelle de notre économie, notamment en construisant des routes et des centrales électriques, particulièrement des centrales solaires. Cela devrait permettre d’améliorer la compétitivité.
Où en êtes-vous du processus de décentralisation ?
Nous prévoyons de transférer 30 % de recettes budgétaires aux collectivités locales dans le cadre des engagements pris dans l’Accord pour la paix et la réconciliation, en septembre dernier. Cela se fait concomitamment au processus de décentralisation des services de l’État, en vue de transférer les compétences de gestion au niveau local. Cela nécessite l’adaptation des textes et des lois et la sécurisation des transferts de fonds (redevabilité, reddition des comptes). Cela pourrait prendre un peu de temps, toutes les collectivités n’ayant pas encore les capacités d’absorption de ces ressources.
Docteur en économie, Boubou Cissé est spécialiste des questions de développement. Après des études secondaires en Allemagne et aux Emirats Arabes Unies, puis supérieures à Clermont-Ferrand et Aix-Marseille, il intègre la Banque mondiale à Washington en 2005. En 2013, il revient à Bamako, où il est né et a passé son enfance, pour devenir ministre de l’Industrie et des mines, à moins de 40 ans. Il est titulaire du portefeuille de l’Economie et des finances depuis deux ans.
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