Ex-haut cadre de la Banque africaine de développement, ce Malien en convoite la présidence. Expert des montages financiers, il veut fédérer les acteurs publics comme privés face à son déficit de financement.
Ne lui dites surtout pas qu’avoir été ministre des Finances dans son propre pays est un passage obligé pour postuler à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). “Je vous assure que cette analyse, que j’ai lue dans l’un de vos articles, n’est pas la bonne”, affirme le Malien Birama Boubacar Sidibé, 62 ans, lors de sa visite chez Jeune Afrique le 24 avril.
En rejetant de la sorte notre critique du profil de son rival nigérian Akinwumi Adesina, l’ex-directeur général de Shelter Afrique (organisme spécialisé dans le financement du logement), en course pour succéder à Donald Kaberuka, défend surtout le sien. Vice-président et directeur des opérations de la Banque islamique du développement (BID) entre 2009 et 2015, après avoir passé plus de vingt ans au sein de l’institution dont il veut aujourd’hui prendre la présidence, il n’a en effet jamais occupé la moindre fonction gouvernementale au Mali. Mais pour lui, “gérer une institution de plus de 100 milliards de dollars de capital n’a rien à voir avec la gestion d’un portefeuille ministériel. Un ministre des Finances gère le compte d’une nation et met en oeuvre une politique publique, il ne prend pas de risques, contrairement au patron d’une grande institution comme la BAD”.
Analyse
D’après le Malien, le prochain président doit être choisi pour ses capacités d’analyse des grands enjeux internationaux et de prise de décision rapide, car le monde change toujours plus vite, tout comme les besoins des clients des grandes institutions financières internationales. L’élu doit donc être “un banquier capable de fédérer des intérêts politiques différents”, explique-t-il. Et pour Birama Boubacar Sidibé, la question essentielle à laquelle doivent répondre les postulants relève surtout du “comment ?”. Le candidat malien estime que tous les diagnostics ont été faits. Que les solutions sont connues et mettent en évidence la nécessité d’une transformation structurelle des économies, via l’intégration régionale, ou encore le développement des infrastructures. Entre autres…
“Nous avons passé les vingt dernières années à parler de projets du Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (Pida). Mais sur le terrain, pas grand-chose n’a été réalisé”, déplore-t-il. Comment financer la mise en oeuvre de ces solutions ? Comment créer les biens, à commencer par les infrastructures, qui génèrent des rendements ? D’autant que l’endettement des États, aussi bien auprès des banques multilatérales que vis-à-vis des partenaires bilatéraux, ne suffit pas à couvrir les besoins.
“Il faut entrer dans des accords de partenariat public-privé [PPP] autour de projets identifiés comme prioritaires dans les différentes régions du continent et communs à plusieurs pays”, répond Birama Boubacar Sidibé, reprenant la méthode qu’il a appliquée à la BID. Concrètement, “il s’agit de transformer chaque infrastructure, avant même qu’elle ne soit née, en investissement dont le certificat sera vendu”. Autrement dit, si on peut lever des fonds en s’appuyant sur des actifs déjà existants (le système classique de garantie), le Malien veut mettre en place un système qui permet par exemple de vendre des parts d’un bien avant même que celui-ci ne soit fabriqué. Avec la garantie pour les investisseurs qu’ils auront leur retour sur investissement grâce aux flux financiers que générera son utilisation. Mais pour cela, il faut changer le mode opératoire de la BAD, soutient l’ingénieur formé en France et passé par HEC Montréal.
“La relation d’institution à pays qui existe entre la BAD et ses clients [les États africains] à travers des accords de financement va progressivement évoluer”, explique celui qui soutient avoir mis en oeuvre à la BID le Programme spécial pour le développement de l’Afrique (PSDA), à travers le financement de projets en faveur de vingt-sept pays pour une valeur de 4,2 milliards de dollars. “Je ne vois pas la BAD de demain comme une institution qui exposera son bilan en prêtant directement de l’argent mais davantage comme un intermédiaire. Ce qui mettra moins de pression sur ses comptes.”
Caution
Reconnu à la BID pour sa capacité d’innovation en matière de montage financier, Birama Boubacar Sidibé compte miser sur un modèle catalytique (fonds déclenchés pour en appeler d’autres) s’il est élu le 28 mai. “Individuellement, les banques de développement n’ont pas suffisamment de ressources pour combler tout le déficit de financement en Afrique, la BAD doit fédérer les investisseurs privés mais aussi les bilatéraux comme la Chine, parce qu’elle jouit d’une crédibilité certaine et sa présence servira de caution morale”, explique-t-il.
Responsable de la coopération avec le G 20, la Banque mondiale ou encore la Banque asiatique de développement dans le cadre de ses précédentes fonctions, il estime être à même de mettre en place cette stratégie. Parmi les projets qui, d’après lui, pourraient en bénéficier figure le barrage du Grand Inga, en RD Congo. En projet depuis plus d’un demi-siècle, il n’a toujours pas produit un seul mégawatt.
Le programme de Birama Boubacar Sididé pour la BAD
Tout en indiquant vouloir préserver la vision d’une Afrique intégrée et transformée, Birama Boubacar Sidibé veut ajuster le modèle opératoire de la BAD en l’orientant, selon sa profession de foi, vers la création de solutions concrètes. Il s’agit d’abord, précise-t-il, d’offrir aux pays africains des solutions de financement adaptées pour bâtir des institutions représentatives et des administrations publiques compétentes. Ensuite, il faut inciter le secteur privé africain et international à participer davantage aux projets d’intégration de grande envergure et, enfin, apporter une aide accrue aux pays africains dans la mobilisation de ressources pour accroître le taux d’investissement.
Par ailleurs, le candidat malien veut positionner la BAD au coeur du montage des projets de connectivité régionale et continentale, et allouer en priorité les ressources concessionnelles aux programmes d’inclusion économique et sociale.
Source: jeune afrique