Des acteurs de la filière lait ont, depuis longtemps, vainement tiré la sonnette d’alarme. Malheureusement, ce qui devrait arriver arriva le 10 décembre 2020. Ce jour-là, une nouvelle faitière des producteurs de lait, la Confédération nationale des producteurs de lait au Mali (Cofenalait), a été portée sur fonts baptismaux par Sanoussi Bouya Sylla. Ce dernier a été soutenu dans sa démarche par sa fédération locale de Sikasso, Ferlait, avec la bénédiction du président de l’ONG CAB Dèmèso, Moussa Diabaté. Ceux-ci ont aussi bénéficié de la complicité passive du point focal du Programme d’appui au secteur de l’élevage au Mali (Pasem) à la Coopération suisse, Hamet Cissé. La création de cette deuxième faîtière consacre désormais le bicéphalisme à la tête de la filière.
Comment en est-on arrivé là ?
A l’origine des difficultés, selon nos sources, des constats d’irrégularités dans les écritures comptables de l’ONG Cab Dèmèso, qui avait été commise par la Coopération suisse, à travers le Pasem, pour accompagner les acteurs de la filière lait au Mali à se constituer en Coopérative de production selon les normes Ohada. Au terme du projet, selon l’entendement des partenaires suisses, les bénéficiaires devraient pouvoir acquérir des compétences leur permettant de gérer de façon autonome leur filière. Ce qui n’a pas été le cas, selon les bénéficiaires, qui se sont plaints d’ailleurs auprès du bailleur suisse de la gestion « opaque » des ressources mises à disposition pour la formation et l’équipement des membres de la faitière. Devant cette situation, la Coopération suisse, qui envisageait une deuxième phase du projet, a commandé une étude diagnostique de la première phase, avant d’entamer la seconde. G-Force, un bureau d’études, a été recruté suite à un appel à candidatures. Les résultats de sa mission sont effarants au regard des manquements constatés dans la gestion des fonds par l’ONG CAB Dèmèso, confirmant ainsi les soupçons de perte de ressources à destination de la faîtière.
Dès lors, la Coopération suisse a donné mandat au bureau d’études de mettre en œuvre lui-même ses propres recommandations. Lesquelles consistaient à doter la Fenalait d’un plan d’actions prioritaires. La mission a lui confiée s’articulait autour de deux axes principaux : le premier se rapportait à un appui institutionnel qui a permis de doter la faîtière d’un siège, avec bureaux équipés de moyens de communication (téléphone fixe et kit de messagerie), de trois ordinateurs et d’une imprimante.
Le deuxième volet de ce premier point de la mission était relatif au renforcement des capacités organisationnelles et opérationnelles de la filière, notamment le recrutement et la mise à disposition de la filière de trois techniciens, à savoir un directeur technique, un suivi-évaluateur et un responsable administratif et financier et la formation sur l’esprit associatif et coopératif, sur les textes Ohada, qui est le choix de la forme d’organisation retenue.
La deuxième phase de la mission consistait à assurer l’accompagnement de la Fenalait à obtenir le récépissé de la nouvelle faîtière. Mais, ce volet n’a pu se réaliser. Car, entre-temps, la scission est intervenue et la Coopération suisse n’avait rien fait pour anticiper sur le comportement fractionnel de certains membres de la filière, avec le soutien de l’ONG CAB Dèmèso, a notifié à la Fenalait la suspension de la convention de financement. Selon nos sources, la même correspondance adressée au Président de la Fenalait précisait que seules les dépenses liées au personnel et le fonctionnement étaient admises.
A titre de rappel, le responsable de l’ONG Cab Dèmèso, Sanoussi Bouya Sylla et certains membres de la Fenalait qui avaient en leur possession le premier récépissé de la faitière, délivré en 2006 par le Gouvernorat du District, ont décidé de se détacher de la Fenalait pour créer la Cofenalait en décembre 2020, en violation de toutes les règles et procédures qui gouvernent la faitière. Selon nos sources, cette nouvelle structure a été créée dans l’illégalité, d’autant plus qu’aucun de ces membres n’avait initialement démissionné de la Fenalait pour ensuite se retrouver dans la Cofenalait qui a pu avoir aussi un récépissé en avril 2021, avec le sigle Fenalait, délivré par le même Gouvernorat du District. Pour parler de vice de forme, nos sources pointent du doigt la convocation du 3ème vice-président de la Fenalait de 2006, résident de Sikasso que l’Assemblée Générale Constitutive de la COFENALAIT a été tenue. D’où le bicéphalisme actuel, justifiant la suspension du financement de la coopération suisse, faisant perdre à la filière un appui substantiel d’environ 14 milliards de FCFA.
Pourquoi les soupçons pèsent sur le président de l’ONG CAB Dèmèso et le point focal du Pasem ? Selon nos sources, le Procès-verbal de passation de service entre le président de la Fenalait, Abou Niangadou, et le président de la Cofenalait, Sanoussi Bouya Sylla, suscite beaucoup d’interrogations. Mais, celle qui retient fortement l’attention est l’inscription sur les documents de passation de service des noms et prénoms de quatre employés de l’ONG CAB Dèmèso. Le second motif de la suspicion est la passation de service en l’absence des autres membres du bureau sortant, dirigé par Abou Niangadou. Ce qui fait que ce dernier aussi est suspecté de trahison des autres membres de la faitière. La double casquette d’Abou Niangadou a été connue plus tard. Mais, pour nos sources, tout cela découle des manœuvres de division pour mieux régner du président de l’ONG CAB Dèmèso qui semblerait aussi bénéficier du soutien du point focal Hamet Cissé. Ce dernier aurait pu arrêter l’incurie s’il en avait la volonté.
Divisé pour conserver la mainmise sur la filière
Notons que CAB Dèmèso, qui est une ONG locale, est le partenaire stratégique de la Fenalait depuis sa création en 2006. A ce titre, elle a mobilisé des financements pour soutenir des actions en faveur des producteurs laitiers. Mais courant 2020, l’idée d’aller vers l’autonomisation de la Fenalait a été suffisamment partagée et soutenue au sein de l’organisation dont les membres n’ont pas hésité à défendre cela devant qui de droit. Cela a été aussi une opportunité pour la Coopération suisse de commanditer une étude diagnostique confiée au bureau d’études « G-Force ». L’étude a débouché sur un Plan d’actions, dont la mise en œuvre lui a également été confiée par la Coopération suisse. Qu’est ce qui pourrait naître de ce bouleversement ? Quelle appréciation CAB Dèmèso fera de cette nouvelle donne ? Et quelle position CAB Dèmèso pourra prendre ? Ce sont les réponses à cette série de questions qui ont d’abord nourri de forts soupçons de manœuvres de division contre elle. Qui se confirment par la présence de ses employés sur le lieu de passation, attesté par l’inscription de leurs noms et prénoms sur la liste de présence du PV de passation. Selon nos sources, la présence de ces employés lève toute l’équivoque sur ses faits et gestes et son objectif à atteindre. « Je soutiens que l’ONG CAB Dèmèso, voyant la fin de sa mainmise sur les financements de la Fenalait et Prodevalait, a maladroitement choisi de quitter la posture d’accompagnateur de la Fenalait pour se porter en concurrente de la Fenalait par la mise place de coopératives de base et récemment des tentatives de mise en place des bureaux fédéraux au niveau des régions de Mopti et de Koulikoro », peut-on lire dans le compte rendu d’un rapport d’analyse de la situation, dont nous nous sommes procuré une copie.
C’est dire qu’au moment où tout le Mali parle de changement dans la gouvernance, bref de « Mali Kura », il revient au gouvernement de s’arrêter un tant soit peu sur cette question. Qui, du reste, handicape tout un secteur.
Nous y reviendrons
M.A. Diakité