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Bathily-Tessougue : Les non-dits d’un bras de fer

D’une implosion latente, la justice malienne a carrément explosé depuis jeudi dernier quand le ministre de la justice Mohamed Ali Bathily a mis sur la place publique, via les médias, le bras de fer qui l’oppose au Procureur général près la Cour d’Appel, Daniel Tessougué et au Procureur près le tribunal de première instance de la commune III du District de Bamako, et non moins Procureur du Pôle économique et financier chargé de la lutte contre la corruption et la délinquance financière, Mohamed Sidda Dicko, à propos de l’affaire Adama Sangaré, maire du District de Bamako. Quels sont les dessous de ce « duel de magistrats » dans lequel le ministre Bathily est (toujours) le seul à avoir parlé. Notre rédaction a enquêté.

 

 Mohamed__Ali_Bathily ministre justice

L’affaire Adama Sangaré met la justice malienne en ébullition, avec le ministre de la justice, Mohamed Ali Bathily, qui veut coûte que coûte mettre en prison le maire du District et le Procureur général Tessougué ainsi que le juge anticorruption Dicko qui ne l’entendent pas de cette oreille, du moins sur la base de l’ouverture d’enquêtes instruites par le ministre.

 

Rappel des faits

Dans  une correspondance en date du 3 octobre 2013, le ministre de la justice adresse au procureur général près la Cour d’appel, une plainte « Pour ouverture d’enquêtes » signée de son secrétaire général, Djibril Kane, dans l’Affaire Mairie de la commune IV contre Maire du District de Bamako.

 

 

 

Dans une deuxième correspondance en date du 14 octobre 2013, le ministre envoie directement au Procureur de la République près le tribunal de première instance de la commune III du District de Bamako, une plainte contre Adama Sangaré pour faux et usage de faux. Le ministre écrit en substance : « …selon les renseignements, de graves suspicions de faux et usage de faux pèseraient sur le sieur Adama Sangaré, maire du District dans l’attribution des terres dans sa circonscription se traduisant par l’extorsion de biens d’autrui, des attributions de parcelles sur les titres fonciers d’autrui. C’est pourquoi, je vous instruis de faire procéder par le procureur de la République près le tribunal de première instance de la commune III à l’ouverture d’une enquête sur ces faits pour en établir la vérité, en rassembler les preuves et procéder à l’arrestation d’Adama Sangaré pour les besoins de ladite enquête ».

 

 

Nos investigations nous révèlent qu’aussitôt la première lettre reçue, le PG a envoyé la note, sous le Bordereau 0640 du 21 octobre 2013, à son Procureur anticorruption, Mohamed Sidda Dicko, qui à son tour l’impute à sa Brigade pour ouverture d’enquêtes.

 

 

 

Quelques jours après, le procureur Dicko informe le ministre qu’il n’y a pas lieu de poursuivre et d’incarcérer Adama Sangaré sur la base de l’enquête qu’il a commanditée parce qu’il n’y a pas d’infraction.

 

 

Le ministre persiste qu’il a déjà les preuves que Adama Sangaré a fauté et instruit au juge anticorruption de procéder à son arrestation. Refus du juge!

 

 

 

Mieux, le procureur Dicko adresse à son supérieur hiérarchique, une correspondance de protestation qui dit en substance ceci : «…Malgré les professions de foi, maintes fois affirmées et répétées, je suis au regret de constater que mes fonctions légales sont vidées de leur contenuUne enquête ouverte par le procureur de la République,  à la demande de Monsieur le ministre de la justice, est dirigée  par le cabinet du ministre et ce, en violation de toutes les dispositions légales. Le procureur se trouve ainsi assisté à son insu par des personnes non habilitées légalement…L’affaire, objet du présent rapport,  est traitée en fonction de paramètres extérieurs que l’enquête n’a pas établis. Je crois savoir que dans l’exercice de sa fonction, le Magistrat, fusse-t-il le procureur, n’obéit qu’à la loi et à sa conscience. Cela est et reste toujours ma conviction. Je préfère perdre un poste que de perdre mon âme. Au regard des constats, l’honneur et les principes m’obligent à en tirer les conséquences de droit. C’est pourquoi, je vous informe que je ne suis plus en mesure d’exercer moralement et légalement les fonctions que vous m’avez confiées. Je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre position prise en accédant favorablement à ma requête, et ce dans l’intérêt de la justice ».

 

 

 

Les errements de Bathily

Ayant assimilé cette lettre à une démission, les services du ministre de la justice la fait publier dans la presse.

 

 

Mais, l’information est rapidement démentie par le PG Daniel Tessougué qui ajoute que le Procureur Dicko est l’un des meilleurs magistrats du pays et que, si un jour il venait à démissionner, « il faut désespérer de la justice malienne ».

A la lecture de cette précision de taille qui lui fauche l’herbe sous les pieds, le ministre Bathily s’emporte et convoque illico presto une conférence de presse à laquelle « L’Aube » n’était pas conviée.

 

 

 

Au cours de cette rencontre en catimini avec les journalistes, le garde des sceaux exhibe sa correspondance adressée au PG, celle du juge Dicko assimilée à une lettre de démission. Mais, d’un autre côté, il omet de dire toute la vérité et pire, il insulte Tessougué en le qualifiant d’irresponsable et de quelqu’un qui manque de bon sens.

Première faute du ministre : il cache la vérité en disant que le Procureur Mohamed Sidda Dicko a décidé de classer le dossier Adama Sangaré eu égard à l’annulation par la section administrative de la Cour suprême des attributions de parcelles abusives qui avaient valu au maire du District d’être poursuivi et incarcéré.

 

 

D’abord, une source judiciaire nous indique que la récente incarcération du maire du District (actuellement en liberté provisoire) n’a (absolument) rien à voir avec la décision de la section administrative de la Cour suprême. Celle-ci porte sur 11 décisions d’attributions de parcelles du  maire sur des espaces publics; décisions annulées par la cour suprême et la mairie de la commune IV jouit actuellement de ces espaces.

 

 

 

Ensuite, le ministre Bathily ne dit pas vrai quand il réduit le refus d’arrêter Adama à la seule décision de la cour suprême. La brigade anticorruption du Pôle économique et financier a bel et bien procédé à des enquêtes approfondies et produit un procès verbal (PV que le ministre n’a pas remis à la presse, ni même en faire cas).

 

 

 

Les conclusions du PV sont claires et nettes : il n’y a pas eu d’infraction de la part de Adama Sangaré aussi bien par rapport à la disposition de biens d’autrui que sur le faux et usage de faux. Ce sont ces conclusions que Tessougué et Dicko ont porté à la connaissance du ministre pour justifier leur refus de procéder à l’arrestation de Adama Sangaré. C’est ça la réalité.

 

 

Deuxième faute du ministre : A sa demande, une enquête est ouverte par le procureur de la République. Mais, parallèlement une autre est dirigée  par le cabinet du ministre (sans doute à sa demande). Dès lors, le ministre exerce (directement) l’action publique et outrepasse par conséquent ses prérogatives. Car, l’article 3 du Code de procédure pénale (Loi n°01-080 du 8 août 2001) stipule clairement : « L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code ». Nulle part, le nom du ministre de la justice n’est cité dans cette disposition. Et, le chef de l’action publique, c’est le Procureur général, dont le rôle est de veiller à l’application de la loi pénale. Alors, pourquoi le ministre Bathily empiète-il dans un domaine qui ne lui est pas réservé. Il se trompe lourdement s’il se base sur le statut des magistrats du parquet qui dit que l’indépendance des procureurs « est limitée par le fait qu’ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux ».

 

 

 

Le procureur Dicko n’a pas démissionné

C’est sur ces entrefaites que le juge anticorruption a fait part de toute sa frustration par rapport à l’empiètement du ministre sur ses prérogatives. La correspondance a-t-elle été lue à l’envers par le ministre Bathily et son cabinet qui ont vite conclu à une lettre de démission et se sont empressés de  la « publier » dans la presse? Ou encore le ministre veut-il pousser vers la sortie des collaborateurs (procureurs) devenus à ses yeux encombrants? A-t-il l’intention d’obtenir leur départ au moment où le monde judiciaire attend le prochain conseil de la magistrature?

 

 

Toujours est-il que le procureur Mohamed Sidda Dicko n’a jamais démissionné de ses fonctions de Procureur de la République près le tribunal de première instance de la commune III du District de Bamako et de Procureur du Pôle économique et financier.

 

 

Dans la correspondance que vous avez pu lire plus haut, Mohamed Sidda Dicko ne dit ni plus, ni moins que si le ministre n’a pas confiance en lui, qu’il lui plaise de le démettre de ses fonctions. Nulle part dans le texte, l’auteur ne mentionne formellement qu’il rend sa démission comme il est de coutume dans une lettre de démission.

 

 

Le président du tribunal de la commune III met sa responsabilité devant le ministre de la justice. Aussi simple que ça.

 

 

Troisième faute du ministre : c’est quand il qualifie, sous le coup de la colère, le PG Tessougué d’ « un irresponsable ». Un responsable, qui assume de surcroit de très hautes fonctions, doit avoir de la mesure aussi bien dans les propos que dans les actes. Bathily a manqué d’humilité, surtout quand il dit que Tessougué a été soudoyé par Adama Sangaré.

 

 

Si le ministre répète ces propos, aucun Malien ne donnerait plus du crédit à sa parole. Car, Tessougué est connu pour sa haute probité morale.

 

 

 

Dernière interrogation : Pourquoi le ministre Mohamed Ali Bathily en veut autant à Adama Sangaré, un maire contre lequel 13 dossiers sont encore en instance, dont 10 sont au niveau de la police et 3 à Koulikoro ? Il cherche sans doute un coup d’éclat à l’approche du remaniement ministériel. Pour, dit-on, parvenir à son vœu secret: occuper la Primature.

 

 

La Rédaction

 

 

SOURCE: L’Aube

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