Issue de la culture griotique, la chanteuse malienne Babani Koné, a su renouveler la tradition. Elle part à la conquête d’un large public, au-delà de son pays d’origine.
Babani Koné
Portrait d’une femme de caractère
Dès qu’elle apparaît sur scène, une clameur monte dans le Trianon, une belle salle de concert parisienne. Des élégantes en boubou bazin se lèvent pour acclamer Babani Koné, la diva malienne. Quelques billets sont même glissés sur la scène. Seule différence avec Bamako, la capitale malienne où elle vit, il ne s’agit pas de francs CFA mais d’euros. À Bamako, Babani Koné, chanteuse originaire de Ségou, est une star. «Elle est adulée. Beaucoup de femmes s’inspirent de ses tenues vestimentaires», souligne un de ses fans bamakois. Ce 21 septembre au soir, les Maliens de Paris se sont donné rendez-vous pour l’acclamer. Ses chants mandingues s’enchaînent, sa voix est portée par la musique de Ballaké Sissoko, le grand joueur de kora. Son dernier album, Maliba, a été produit avant la guerre à Bamako : il est servi par les arrangements de Cheikh Tidiane Seck, chanteur et compositeur de grand talent.
Entre deux morceaux, Babani Koné, de son vrai nom Fatoumata Koné, donne des explications en français à ses chants en bambara. Elle rappelle régulièrement qu’elle n’oubliera pas d’interpréter la chanson qui rend hommage à François Hollande, le « sauveur du Mali ». Elle remercie les Français pour leur intervention militaire de janvier dernier qui a permis de libérer le pays de l’emprise des djihadistes. Le public applaudit à tout rompre. Ici, dans cette « salle malienne », le président de la République française possède une cote de popularité qui pourrait faire pâlir d’envie n’importe quel chef d’État. Le Parti socialiste ne s’y est pas trompé : le maire de Paris, Bertrand Delanoë, assiste au concert. Fidèle à la tradition griotique, Babani Koné lui attribue généreusement le titre de « maire de la France ». L’artiste malienne revendique son identité de griotte. Elle a commencé dès l’âge de six ans à chanter en accompagnant sa grand-mère dans des mariages ou des baptêmes. La chanteuse se produit sur scène depuis plus de trente ans.
Travail de griot
«Je n’hésite pas à faire les louanges des nobles. Cela fait partie de notre travail de griot. Nous avons besoin d’eux. Pendant la guerre au Mali, je ne pouvais plus faire de concert. Avec la période d’état d’urgence de six mois, il était devenu impossible de se réunir en grand nombre. Ce sont « mes nobles » au Mali, en Europe et aux États-Unis qui ont donné de l’argent qui m’a permis de tenir le coup», explique celle qui épouse les traditions tout en voulant parfois les modifier. «La guerre m’a vraiment transformée. Nous sommes passés tout près de la catastrophe. Si les djihadistes étaient rentrés dans Bamako, je n’aurais plus jamais pu chanter. Ce sont des hypocrites, ils courent après les femmes et en même temps, ils veulent les voiler. Tout ça n’est pas dans la culture malienne», explique Babani Koné, qui avoue avoir voté pour la première fois de son existence à l’occasion de la présidentielle ayant abouti à l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, le 11 août 2013. «Pendant ce conflit, j’ai pris conscience de l’importance de la politique. Il fallait voter pour tourner la page. Sortir de la crise et de la guerre», explique Babani Koné, qui ne se contente pas de faire entrer la politique dans ses chansons : elle est aussi une ardente défenseuse de la cause des femmes.
La cause des femmes
Dans ses textes qu’elle écrit elle-même, elle critique vertement la polygamie. «Qui est pour la polygamie ? » demande-t-elle aux « sœurs » présentes dans la salle. «À cause de ce système, les familles se déchirent, la jalousie triomphe» se désole cette féministe qui dénonce aussi le poids des castes et déplore qu’un fils ou une fille de griot ne puisse épouser un enfant de noble. Du coup, elle suit avec beaucoup d’intérêt la carrière du chanteur sénégalais, Youssou N’Dour, lui-même issu d’une famille de griots. «C’est formidable qu’il ait pu devenir ministre. Moi-même, si on me propose un jour ce poste au Mali, je ne dirai pas non», reconnaît l’artiste qui regrette de ne pas être restée longtemps sur les bancs de l’école. C’est aussi pour ça qu’elle a envoyé ses trois filles pour étudier en Amérique du Nord. Loin de la culture griotique, elles apprennent le business et le management. L’une d’elles a envie de chanter, comme sa mère. «Elle pourra choisir son destin» se réjouit celle-ci.
Babani Koné effectue de plus en plus de tournées à l’extérieur du Mali. «En janvier, lorsque François Hollande a pris cette décision formidable d’intervenir dans mon pays, j’étais en Chine, en concert. Là-bas, c’est étonnant, il y a même une Chinoise qui gagne sa vie en m’imitant. Son bambara n’est pas terrible, elle ne comprend pas ce qu’elle dit. Mais bon… je n’imaginais pas avoir autant de fans là-bas».
Tout comme Youssou N’Dour, elle peut compter sur la diaspora africaine pour populariser son art dans de nouveaux territoires. «Pour l’instant, c’est trop dangereux de faire des concerts dans le nord du Mali. Il faut encore attendre avant d’aller voir mes fans là-bas», explique Babani Koné qui va se produire de plus en plus souvent hors de son pays d’origine. Et, pourquoi ne pas enregistrer un album destiné à un nouveau public hors du Mali ? «Grâce aux concerts parisiens, j’ai vu que je pouvais élargir mon public. Tout est désormais possible. Si on m’imite jusqu’en Chine, je ne dois pas m’arrêter en si bon chemin» dit l’artiste en souriant.
Diadjiri DIARRA depuis Paris