La récente libération du président de l’URD Soumaïla Cissé, la formation du gouvernement de la Transition et la situation sociopolitique du pays sont, entre autres, sujets abordés dans cette interview par le chercheur à l’Institut d’études de sécurité
L’Essor : Le président de l’URD, Soumaïla Cissé, avec des otages européens, vient d’être libéré, après plus de six mois de son enlèvement. Quels commentaires faites-vous sur cet heureux dénouement ?
Baba Dakono : Soumaïla Cissé est une figure importante de la scène politique malienne et au-delà. Son enlèvement pendant la campagne législative, le 25 mars dernier, était un événement malheureux et il rappelle la fragilité dans laquelle le pays se trouve ainsi que l’interdépendance des questions politiques et sécuritaires.
Parce que si l’organisation des élections législatives, dans un contexte d’insécurité et de crise sanitaire, a été présentée par le gouvernement comme un impératif pour la stabilité politique et institutionnelle du pays, l’enlèvement de M. Cissé, en pleine campagne électorale, est venue rappeler les limites avec lesquelles ces élections étaient organisées.
Des limites au plan sécuritaire surtout. Cet état de fait doit interpeller les autorités actuelles qui doivent également organiser des élections dans moins de 18 mois. Le désormais précédent concernant Soumaïla Cissé doit servir d’enseignements et toutes les leçons doivent en être tirées. Aujourd’hui, il faut se réjouir du retour de M. Cissé qui doit occuper sa place dans le débat politique mais également dans les perspectives.
L’Essor : Quelle est votre lecture sur la formation du nouveau gouvernement consécutive à la désignation des président et vice-président de la Transition ?
Baba Dakono : Ce gouvernement a été formé dans un contexte de fortes attentes. Depuis plusieurs mois, le pays est déjà confronté à la triple crise sécuritaire, sanitaire et politique et doit faire face à de nombreux autres défis y compris l’amélioration de la gouvernance. Il est attendu du gouvernement de trouver des solutions aux nombreux problèmes du pays tout en créant les conditions d’organisation d’élections crédibles et inclusives. Comme on le sait, quand les attentes sont élevées, il est facile de décevoir. Sans donc préjuger du succès ou de l’échec de ce gouvernement, il est important d’avoir une visibilité sur sa feuille de route et de mieux appréhender la direction de l’action publique pour les prochains mois.
La période de sursis va vite passer et le gouvernement devra rapidement rassurer les Maliens sur sa capacité à faire face aux défis. Et, à ce niveau, l’absence des politiques en son sein peut être un atout mais aussi un handicap surtout quand il s’agira d’animer le débat public autour des réformes envisagées et attendues.
S’agissant des autres autorités, notamment le président et le vice-président, ce sont des pouvoirs publics jouissant d’une faible légitimité, au regard de leur mode de désignation. Ils doivent donc travailler, au mieux, dans un cadre inclusif et participatif avec l’ensemble des forces vives de la nation. Sans être dans la recherche effrénée du « consensus absolu », ils doivent être à l’écoute et impliquer davantage les acteurs politiques et civils dans les grandes décisions nationales. La recherche de cet équilibre doit être permanente.
L’Essor : Les orientations données par le président de la Transition lors du premier Conseil des ministres sont-elles susceptibles de rassurer une opinion nationale qui aspire au changement ?
Baba Dakono : Ce discours n’est pas nouveau. Il ressort dans quasiment tous les propos des différents responsables du pays depuis quelques semaines. Ce qui peut rassurer les Maliens aujourd’hui ce sont les actions. Comme je le disais, cette crise est aussi celle de la confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens. Le déficit ne pourra être comblé qu’à travers des actions allant dans le sens du renouveau de la gouvernance.
L’Essor : Quelle appréciation faites-vous de la situation sociopolitique du pays, près de deux mois après les événements du 18 août ?
Baba Dakono : Ce qui s’est passé le 18 août aurait pu et dû être évité. Les incertitudes et les inquiétudes sur le lendemain d’un départ précipité du président Ibrahim Boubacar Keïta étaient déjà formulées. L’intervention de l’armée était prévisible et les difficultés de cohabitation entre elle et les autres forces politiques et civiles l’étaient aussi. Mais cette crise doit être appréhendée au-delà des trois derniers mois du président IBK. Elle est le résultat de nombreux facteurs mais traduit principalement une rupture de confiance entre les citoyens et les pouvoirs publics.
Elle ne s’est pas manifestée que par la seule contestation du M5-RFP, elle se manifeste depuis plusieurs années, au nord, au centre et au sud du pays. Partout au Mali, des citoyens ont tourné le dos à l’État, certains se sont retrouvés dans des groupes armés ou réseaux criminels. Donc, c’est une crise de gouvernance qui s’est cristallisée autour du président IBK parce qu’il avait été perçu en 2013 comme «l’homme de la situation».
Malheureusement, les années que le président a passées à la tête du pays n’ont pas permis de résoudre cette crise. Le fossé s’est agrandi et le sentiment d’une gouvernance clanique et celui de l’impunité s’est généralisé. Finalement, le mouvement du 5 juin a été une remorque transportant les frustrations qui se sont accumulées au fil des années. Il apparaît désormais évident que ce pays ne peut plus être gouverné comme il l’a été par le passé. Cette nouvelle donne était perceptible depuis les luttes citoyennes menées en 2019, à l’exemple de celle des jeunes de Kati, de Kayes ou encore « Tombouctou réclame ses routes ». En définitive, cette crise qui n’a pas commencé en juin dernier est pleine d’enseignements il faut les comprendre pour éviter une rechute.
L’Essor : De nombreux Maliens espèrent que cette Transition posera les jalons de la refondation de notre pays. Concrètement, quel Mali souhaiteriez vous voir aux termes de ce processus qui devra durer 18 mois ?…
Source: L’Essor