La Fondation Mo Ibrahim, établie en 2006 par l’entrepreneur soudano-britannique Mohamed Ibrahim, s’est forgé une réputation d’institution dédiée à la promotion de la bonne gouvernance en Afrique.
À travers son prestigieux Prix Ibrahim pour le leadership d’excellence, doté de 5 millions de dollars, et son indice de gouvernance qui évalue annuellement les performances des États africains, la fondation est devenue une référence en matière d’évaluation de la qualité démocratique sur le continent. Son action vise à encourager les dirigeants africains à respecter les principes démocratiques et à œuvrer pour le développement durable de leurs pays. C’est dans ce cadre qu’une récente nomination a provoqué stupeur et indignation parmi les observateurs de la vie politique africaine.
Le 8 avril dernier, la Fondation Mo Ibrahim annonçait l’arrivée de nouveaux membres au sein de son Conseil et du Comité du Prix Ibrahim, dont l’ancien président sénégalais Macky Sall. « Nous sommes ravis d’accueillir Josep Borrell, Moussa Faki Mahamat, Mark Malloch-Brown et Macky Sall au sein de la Fondation. Chacun d’entre eux apporte une expérience exceptionnelle », déclarait Mo Ibrahim dans un communiqué. Cette décision a rapidement déclenché une vague de protestations, cristallisée par une tribune signée par une soixantaine d’intellectuels et universitaires demandant à la Fondation de revenir sur son choix.
Un bilan économique sous le feu des critiques
La gestion économique de Macky Sall durant sa présidence (2012-2024) fait l’objet de sévères remises en question. Des audits menés par la Cour des comptes sénégalaise ont révélé d’importantes irrégularités que l’ancien régime aurait tenté de dissimuler. Les chiffres officiels présentés durant sa gouvernance masquaient apparemment une réalité bien plus sombre. Alors que le gouvernement annonçait des indicateurs économiques rassurants, les audits post-mandat suggèrent un déficit budgétaire atteignant parfois 12% – bien au-delà des normes communautaires de l’UEMOA – et un endettement proche de 100% du PIB.
Cette opacité financière ne se limitait pas aux grands équilibres macroéconomiques. De nombreux projets d’infrastructures lancés sous son administration font désormais l’objet d’enquêtes pour surfacturation et irrégularités dans les procédures d’attribution. Les mécanismes de contrôle budgétaire semblent avoir été contournés, permettant une gestion des finances publiques échappant aux regards extérieurs. Ces pratiques, aujourd’hui mises en lumière, contrastent fortement avec les principes de transparence que défend la Fondation Mo Ibrahim.
L’érosion démocratique comme héritage politique
Le second volet des critiques adressées à l’ancien président concerne son rapport aux institutions démocratiques. Sa tentative controversée de reporter les élections présidentielles de février 2024 a marqué les esprits. Cette décision, finalement invalidée par le Conseil constitutionnel, a été perçue comme une manœuvre pour prolonger indirectement son influence au-delà de son mandat constitutionnel.
Ce n’était pas un incident isolé. Durant ses derniers mois au pouvoir, Macky Sall a orchestré l’élimination de candidats d’opposition de la course présidentielle, notamment par le biais de poursuites judiciaires. Les manifestations de protestation ont été réprimées avec une sévérité inhabituelle pour le Sénégal, considéré jusqu’alors comme un modèle de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest. Des dizaines de morts ont été déplorées lors de ces rassemblements, tandis que des centaines d’opposants étaient emprisonnés sans jugement.
Ces dérives autoritaires ont terni l’image internationale du Sénégal et contredisent directement les valeurs prônées par la Fondation Mo Ibrahim, qui mesure justement la qualité des institutions démocratiques dans son indice de gouvernance. La nomination de Macky Sall apparaît ainsi comme une contradiction flagrante avec les principes fondateurs de l’organisation.
En intégrant Macky Sall à ses instances dirigeantes, la Fondation Mo Ibrahim semble donc compromettre sa crédibilité durement acquise. Cette décision, perçue comme un blanc-seing accordé à des pratiques qu’elle combat officiellement, pourrait bien représenter un tournant dans l’histoire de cette institution respectée. Le paradoxe est frappant : en cherchant peut-être à renforcer son influence par la présence d’une personnalité politique de premier plan, Mo Ibrahim risque d’affaiblir durablement l’autorité morale de sa fondation sur les questions de gouvernance africaine.
Source : https://lanouvelletribune.info/