C’était il y a près de deux ans maintenant, mais Meimouna en pleure encore. Assise sur une natte, dans un quartier populaire périphérique de Bamako, cette femme vêtue d’un boubou noir, originaire de la région de Gao, est partie de chez elle en avril 2012, au moment où la rébellion touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) prenait le contrôle des villes du Nord.
« Ils sont arrivés un matin et ont emmené mon frère, en disant qu’il faisait partie de Ganda Koy », une milice progouvernementale. Lorsque Meimouna le retrouve quelques jours plus tard, il a été torturé et meurt à l’hôpital. Elle réunit quelques affaires à la hâte et prend la route. Depuis, elle vit dans la capitale malienne, loin de son village, qu’elle espère bientôt rejoindre. Mais « retourner là-bas et oublierces souffrances sera difficile », lâche-t-elle.
Près d’un an après le début de l’intervention militaire française, le pays est en phase de stabilisation. Le MNLA est circonscrit à Kidal, les djihadistes ont été affaiblis par l’opération « Serval ». Le pays a organisé en juillet un scrutin présidentiel et il s’apprête à vivre, dimanche 15 décembre, le deuxième tour des élections législatives. Mais le défi de la réconciliation reste entier.
« IL Y A BEAUCOUP DE RANCŒUR ENTRE LES COMMUNAUTÉS »
Avec son lot d’exactions et de représailles, le conflit a mis à mal la mosaïque ethnique au nord du Mali. Arabes, Peul, Songhaï, Touareg, Bambara et Bozo, nomades et sédentaires, populations noires et « teints clairs » y cohabitent dans un complexe équilibre. Au pire moment de la guerre, plusieurs centaines de milliers de Maliens du Nord ont pris la route vers le sud ou vers les Etats voisins, pour fuir la menace des groupes armés.
Certains sont partis dès janvier 2012 devant l’avancée des troupes du MNLA, d’autres lorsque les islamistes prirent le pouvoir, quatre mois plus tard. Craignant d’être assimilés aux rebelles du MNLA après la libération, de nombreux Touareg ont aussi pris le chemin de l’exil.
Une partie des déplacés sont aujourd’hui rentrés au nord, rassurés par la présence de forces françaises et onusiennes. « Il y a beaucoup de rancoeur entre les communautés », constate Almahadi Cissé, président de l’association Cri de coeur pour le Nord-Mali. Créée début 2013 pour apporter de l’aide humanitaire aux victimes du conflit, l’organisation a lancé, cet été, une campagne de sensibilisation au nord, sous le nom d’Alafia, qui veut dire « paix » dans plusieurs langues sahéliennes. « La confiance revient peu à peu, mais elle est précaire », reconnaît-il.
« ILS AIMENT L’ARGENT FACILE »
Beaucoup sont tiraillés entre le souvenir du conflit et le désir de réconciliation. « J’ai des amis touareg et tout Touareg n’est pas un rebelle », explique Diakité, un commerçant de Gao, réfugié à Bamako. Mais l’homme s’emporte rapidement, puisant dans des préjugés historiques : « Ce ne sont jamais eux qui font les métiers fatigants ; eux, ils aiment l’argent facile. Et puis, pendant la guerre, beaucoup ont collaboré avec le MNLA. »
Si le conflit a ravivé, au nord, les tensions entre « Noirs » et « Blancs » (les Touareg et les Arabes), il a aussi fragilisé les liens sociaux. Mouna, qui vit dans la capitale malienne depuis un an et demi, sait que son logement a été occupé et pillé à Gao : « Ce sont des voisins qui ont donné ma maison au Mujao , je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça. » « Tout ceci s’est produit entre des gens qui se connaissaient très bien », rappelle un journaliste malien, spécialiste des problématiques du Nord. « Dans le passé, des exactions ont été commises par l’armée malienne contre des Touareg et des Arabes, mais il ne s’agissait pas de civils contre d’autres civils, rappelle-t-il. Ce conflit a affecté les relations entre les différents groupes à un niveau sans précédent. »
Dès son élection en août, Ibrahim Boubacar Keïta avait déclaré qu’il serait « le président de la réconciliation ». Un ministère de la réconciliation et du développement des régions du Nord a été créé. Une commission dialogue et réconciliation existe. Pléthorique, elle n’a jamais vraiment fonctionné et devrait bientôt être réformée avec un volet justice.
« Les victimes doivent pouvoir obtenir justice. Il ne faut pas que les gens se vengent, ce serait un cycle sans fin de représailles », souligne Almahadi Cissé. L’enjeu sera de n’épargner personne : les mouvements armés, les civils, mais aussi l’armée, accusée d’exécutions extrajudiciaires. « Et pourquoi ne pas créerune commission vérité et réconciliation comme Nelson Mandela l’a fait en Afrique du Sud, afin que chacun puisse raconter ? », interroge Mohamed, un jeune réfugié de Tombouctou, songhaï par sa mère et « teint clair » par son père. Un métissage qui montre, selon lui, que la cohabitation est possible.
Sauf que le blocage des négociations de paix entre le gouvernement malien et le MNLA ne facilite pas les choses. « Tout est dans les mains des Français, estime Mouna, réfugiée de Tombouctou, s’ils décident que tout est fini, alors ça le sera. »
Charlotte Bozonnet (Bamako, envoyée spéciale)
Source: Le Monde.fr