Aux termes de l’article 82 de la Constitution, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) a pour missions de « veiller sur la gestion de la carrière des magistrats et donner son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature ; de statuer comme conseil de discipline pour les magistrats ».
L’article 82 atteste bien que la Constitution ne donne à cet organisme, aucune compétence en matière de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.
C’est plutôt à la Cour constitutionnelle et à elle seule, qu’incombe de droit cette attribution en vertu de l’article 85 de la Constitution en faisant « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». L’intention du constituant de 92 n’a jamais été que la prérogative de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics relevant de la Cour constitutionnelle, soit concurremment exercée par le CSM, ou même que cette dernière puisse suppléer le vide actuel qu’on observe au niveau de la Cour constitutionnelle depuis sa démolition totale opérée par le décret présidentiel anticonstitutionnel et illégal n°2020-0312 du 11 juillet 2020.
Néanmoins, la session qui s’est précipitamment tenue le 30 juillet 2020 s’est dédouanée de toute contrainte constitutionnelle en faisant fi des articles 82 et 85. Pour tout dire, le CSM s’est arrogée des prérogatives qui n’ont rien à voir avec l’article 82 de la Constitution. C’est ainsi qu’elle a largement outrepassé son pouvoir de désignation de ses trois membres à la Cour constitutionnelle, pour aller empiéter sur les domaines de compétence réservés au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale en la matière.
Pour bien comprendre ce processus qui fait dévier ainsi le CSM de sa trajectoire institutionnelle et l’amener à explorer des questions étrangères à son périmètre constitutionnel de compétence, il faut se rappeler que le CSM est et demeure avant tout, et à double titre, la chose du pouvoir politique de l’exécution qui le tient par la gorge à son niveau le plus élevé à travers sa présidence « présidentialisée » et sa Vice-présidence ministérielle. En vérité, c’est le Président de la République et son ministre de la Justice qui tiennent le CSM en laisse. Ceci explique cela. Excepté la désignation de ses trois membres, le CSM se met complètement en marge de son territoire de compétence constitutionnelle lorsqu’il se permet de fourrer le nez dans le choix par le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale de leurs trois membres respectifs devant siéger à la Cour constitutionnelle.
De quoi se mêle donc le Conseil supérieur de la magistrature ?
C’est avec gravité que cette question se pose dans toute sa connotation d’inconstitutionnalité, pour quiconque aurait écouté avec une oreille attentive, le compte rendu télévisé ORTM1 fait de la session du 30 juillet 2020 par le tout nouveau et ancien ministre de la Justice Me TAPO. Pourquoi le CSM se mêle-t-il de ce qui ne le regarde pas ? Pourquoi son Président IBK et son Vice-président Me TAPO se rendent-ils complices de l’escapade institutionnelle du CSM ? Les passages qui suivent tirés du compte rendu fait de la session du 30 juillet par le Ministre TAPO témoignent éloquemment de la pertinence de ces questionnements. Me TAPO a la parole.
«…. Le Conseil supérieur de la magistrature a fait au Président de la République, une proposition extrêmement importante ».
En écoutant Me TAPO à ce niveau de son intervention, on s’attend naturellement à des choses effectivement « extrêmement importantes », mais aussi strictement en lien avec les prérogatives du CSM qui ne peuvent s’échapper au-delà du périmètre constitutionnel de l’article 82. Que nenni ! Que nenni ! De la manière la plus maladroite, la session du 30 juillet 2020 s’est essayée dans un exercice mal réussi de confiscation de prérogatives qui ne sont pas les siennes et qui mordent sur le champ de compétence de la Cour constitutionnelle. Suivons bien Me TAPO.
« Puisque vous le savez, on avait proposé de désigner 6 membres de la Cour constitutionnelle pour qu’on puisse régler le contentieux électoral et ensuite désigner les 3 autres. Le Conseil a trouvé que ce n’était pas une solution conforme à la Constitution… »
Ici, le CSM s’arroge véritablement des compétences dont la plupart de ses membres ne disposent même pas des qualifications élémentaires indispensables à leur exercice. Aux dires de Me TAPO, « le Conseil a trouvé que ce n’était pas une solution conforme à la Constitution ». Incroyable quand même, d’entendre le CSM statuer ainsi de la conformité à la Constitution d’une pratique qui plus est, concerne les relations entre des Institutions de la République. La Constitution du Mali aurait-elle donc été modifiée, au point de faire désormais du CSM, la doublure, voire l’intérimaire institutionnelle de la Cour constitutionnelle ?
IBK le Président du CSM et Me TAPO son Vice-président de ministre de la Justice, doivent des explications aux Maliens à ce sujet. Mais ce n’est pas tout. Me TAPO poursuit.
« Le CSM a proposé donc que l’Assemblée nationale choisisse parmi une liste de 6 à 7 personnes proposées par la société civile, les 3 membres qui doivent être désignés au titre de l’Assemblée nationale …».
Ainsi donc, en remplacement de la solution dite « non conforme à la Constitution » qui était de « désigner 6 membres de la Cour constitutionnelle », le CSM propose que « l’Assemblée nationale choisisse parmi une liste de 6 à 7 personnes proposées par la société civile, les 3 membres qui doivent être désignés au titre de l’Assemblée nationale ». Le CSM donne là, l’élément de preuve irréfutable de son incompétence absolue à opiner sur des questions de constitutionnalité. Parlons Constitution ! Dans le fond, cette préconisation souffre au moins de deux impostures juridiques qui jurent avec la Constitution. D’abord, il n’est dit nulle part dans la Constitution que c’est l’Assemblée nationale qui choisit des membres de la Cour constitutionnelle. Nous renvoyons pour sa revue de copie, le CSM à l’article 91 de la Constitution où l’on peut lire sans correcteurs que les neuf membres de la Cour Constitutionnelle comprennent les « trois nommés par le Président de l’Assemblée Nationale… ». C’est le président de l‘Assemblée nationale seul qui exerce cette prérogative en vertu de cette qualité fonctionnelle qu’il détient. Le choix de l’Assemblée n’équivaut pas au choix du Président de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, aucune disposition constitutionnelle ne fait dépendre le choix discrétionnaire de ses trois membres par le Président de l’Assemblée nationale, d’une quelconque « liste de 6 à 7 personnes » proposées par une soi-disant société civile. Last but not least, en vertu de quoi, le Président de la République en tant qu’institution, serait-il fondé à dicter à l’Assemblée nationale qui est également une institution, des modalités nouvelles d’exercice par celle-ci de son pouvoir constitutionnel de nomination de ses trois membres à la Cour constitutionnelle. Au nom de la séparation des pouvoirs, le Président IBK et le CSM instrumentalisé qui lui sert de couverture, ne sont nullement habilités à s’ingérer dans l’exercice de ce pouvoir constitutionnel du Président de l’Assemblée nationale. La lecture inconstitutionnelle de la constitutionnalité par le CSM est une menace pour l’Etat de droit ! Suite du contre rendu de Me TAPO.
« Puisqu’on a fait cette proposition au Président de la République lui-même qui a accepté de renoncer à ses prérogatives constitutionnelles, il n’y a pas de raison qu’on ne demande pas la même chose à l’Assemblée nationale… ».
Un Président qui accepte de renoncer à ces prérogatives constitutionnelles ? De deux choses l’une : soit ce Président crève d’illégitimité mais se cramponne à son fauteuil, soit ce Président fait de la violation délibérée de la Constitution son style de gouvernance.
Au demeurant, ce qu’on retient davantage de ces propos condescendants à l’endroit de l’organe où siège les élus de la nation, c’est cette insinuation pernicieuse qui s’en dégage, comme quoi il n’y aurait pas de gène à soumettre aux élus de la nation une proposition de nature inconstitutionnelle que même le Président IBK a magnanimement validé. Passons ! Mais restons toujours avec Me TAPO.
« Je pense que c’est une solution très intelligente qui est en plus conforme à la Constitution, qui va nous permettre d’avoir les 9 membres dans les jours qui viennent …».
Faire choisir par l’Assemblée nationale, ses trois membres sur une liste de 6 à 7 personnes proposées par la société civile. Telle est la solution jugée « très intelligente » par Me TAPO qui-cerise sur le gâteau-rassure qu’elle est de surcroît « conforme à la Constitution ».
Quelle « grande intelligence » mise donc au service de l’ingénierie de bricolages juridiques et de colmatages institutionnels ! Bravo au CSM. Fallait vraiment y penser. Par sa grande intelligence mise au service de son Président IBK royalement assis sur les articles de la Constitution, Me TAPO peut désormais se vanter de voir le CSM lui avoir ouvert la piste sans issue des bricolages et des colmatages anticonstitutionnels. C’est en quelque sorte la rançon compensatrice de la mise à sac de l’institution judiciaire de la Cour constitutionnelle attentatoire au sacro-saint principe d’indépendance de la justice. Chacun peut imaginer à travers cette célébration de Me TAPO, ce que pourrait bien valoir son avis « sur les questions concernant l’indépendance de la magistrature » comme stipulé à l’article 82 de la Constitution. La suite de l’histoire.
« Une fois que cette Cour sera installée, on verra comment le problème du contentieux électoral va être résolu dans un second temps …».
On voyait venir ce visiteur de nuit avec ses gros sabots : « On verra comment le problème du contentieux électoral va être résolu dans un second temps ». Me TAPO nous annoncerait-il ainsi, par cette petite locution apparemment anodine, qu’il n’est plus exclu que le contentieux électoral des législatives de 2020 soit ressuscité ? Un contentieux pourtant mort de sa belle mort sous le poids de la portée juridique implacable des deux décisions définitives de la Cour constitutionnelle : à savoir l’Arrêt n°2020-04/CC-EL du 30 avril 2020 portant proclamation des résultats définitifs du second tour et la Délibération n°2020-02/CC-EL du 6 mai 2020 portant sur les demandes de sa rectification. Nous avions toujours bien perçu que la casse organisée de la Cour constitutionnelle et sa recomposition au forceps ne participaient que d’une manœuvre visant à la mettre sous tutelle dans un carcan de soi-disant indépendance retrouvée, tout en poussant les nouveaux membres à du blanchiment d’Arrêt préconfiguré par IBK et la CEDEAO, afin de lui coller un semblant de constitutionnalité. Tout porte à croire que les masques seraient finalement tombés d’eux-mêmes ; tous ces masques d’antiphrases mal construites de dissimulation de la remise en cause des décisions définitives de la Cour constitutionnelle.
Me TAPO « pompier avec du produit inflammable » ?
Faute d’obtenir la voie constitutionnelle et légale des vacances de sièges menant aux élections partielles, Me TAPO se rebiffant pour se mettre au diapason des forfaitures présidentielles, semble ne plus écarter de manière catégorique comme lors de son débat du 21 juin 2020 sur Africable TV, « la résolution du problème du contentieux électoral des législatives dans un second temps ».
Il ne fait cependant l’ombre d’aucun doute, que les deux décisions judiciaires de la Cour constitutionnelle ont définitivement acquis l’autorité absolue de la chose jugée. Question donc à Me TAPO, le ministre de la Justice et célèbre avocat : en quoi, comme ce fut le cas du CSM, cet agenda de second temps dont il parle, pourrait-il s’assimiler à une autre « solution de grande intelligence et de surcroît conforme à la Constitution » ? On n’ira bien évidemment pas jusqu’à le soupçonner, lui l’avocat ministre de la Justice, de faire preuve là, comme le CSM, de grande intelligence mise au service de l’ingénierie de bricolages juridiques et de colmatages institutionnels ! Mais quel recette miracle, Monsieur le ministre TAPO cacherait-il dans sa poche, pour pouvoir présenter un tel tour de règlement d’un contentieux électoral déjà définitivement clos ? Même la CEDEAO pourtant très peu respectueuse de la Constitution du Mali, avait fini par se départir de cette perspective totalement anticonstitutionnelle de remise en cause d’un arrêt définitif de la Cour constitutionnelle. Elle s’est détournée de son approche de « reconsidération des résultats » que Me TAPO devenu ministre, semble enfiler. Mais que Me TAPO, pas encore ministre, avait pourfendu. C’était le 21 juin 2020 sur Africable : « Ils ont fait des recommandations dont une m’a profondément choqué. Faire des élections partielles là où la Cour a annulé les résultats de l’Administration territoriale. Je me pose la question quel est le support juridique de cette recommandation. Sur quoi elle est fondée ? Nous avons l’article 94 de notre Constitution qui dit que les décisions de la Cour constitutionnelle s’imposent à tout le monde. La décision de la Cour a force obligatoire erga omnes…Dès lors que la Cour a proclamé les résultats, qu’elle a installé une Assemblée, déclaré élu les 147 députés, je ne vois pas comment le gouvernement ou le Président pourrait remettre ça en cause pour faire des élections partielles. Qu’on me dise par quelle voie y parvenir … ».
Et Me TAPO de conclure : « La CEDEAO joue au pompier qui vient avec des produits inflammables ». Me TAPO devenu ministre aurait-il enfilé la tenue du pompier débarquant au gouvernement mort-né de Boubou CISSE avec des produits inflammables ?
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)