L’affaire la plus emblématique de la croisade contre l’impunité à col-blanc sous la Transition a finalement pris son envol et se dirige peu à peu vers son épilogue. Quant à au dénouement de l’écheveau, on est visiblement loin du compte, tant le dossier est noyé dans les tabous et procédures forceps.
Les deux dossiers – dont la jonction s’est opérée sans connexité pertinente entre les acteurs concernés -, ont néanmoins franchi le stade des audiences publiques. En dépit des nombreux protagonistes qui font défaut, les assises spéciales s’évertuent, depuis leur ouverture le 17 septembre dernier, à en clarifier les contours à coups de témoignages et avec les inculpés de prestige sous la main. On y dénombre Mme Bouaré FIly Sissoko, Mamadou Camara, les Colonels Dabitao ou encore Drabo, etc.
Fily Sissoko et Mamadou Camara, deux marionnettes à la barre
Après avoir longtemps clamé son innocence et réclamé à cor et à cri d’être fixée sur son sort par un jugement, l’ancienne ministre de l’économie et des finances a eu ainsi l’opportunité de se disculper pour ce qu’il lui revient de la panoplie d’infractions retenues par le ministère public. Pour ce faire, Bouaré FIly Sissoko devait s’expliquer sur la kyrielle d’anomalies dénoncées dans différents rapports d’audit ou de vérification et par le truchement desquelles les enquêteurs du Pôle économique ont conclu aux chefs d’inculpation suivants à son endroit : faux en écriture, usage de faux, trafic d’influence et favoritisme. Tout au long de ses comparutions publiques, intervenue au bout de trois années de détention provisoire et au seuil de l’échéance légale admise en la matière, les avocats de la célèbre accusée se sont employés à démontrer la teneur insignifiante de son implication dans la procédure d’acquisition de l’avion présidentiel pour une bagatelle de 18 milliards de francs CFA. Ce montant n’inclut pas, vraisemblablement, les charges supplémentaires imputables au prêt bancaire contracté pour une commande publique à laquelle le parquet reproche un manquement à l’orthodoxie budgétaire, aux procédures de passation, d’exécution et de règlement du marché par le trésor public, entre autres. En plus de l’avoir effectué sans inscription budgétaire, en effet, l’achat de l’avion présidentiel s’est abusivement adossé sur une dérogation au mécanisme traditionnel des marchés publics, aux yeux du ministère public.
Des griefs de même nature ont trait au règlement partiel du montant de l’avion sans ordonnancement, sans visa du contrôle financier et au moyen de factures anonymes de surcroît.
Idem pour l’autre marché incriminé pour des irrégularités à peine distinctes, en l’occurrence le protocole d’Accord signé par le Ministère de la Défense avec GUO Star d’Amadou Kouma pour la fourniture d’équipements et matériels militaires d’une valeur de 69 milliards. Sa couverture par le sceau du secret-défense, selon le parquet, cache mal la caution d’irrégularités à travers le recours abusif à la dérogation aux règles financières et comptables, au mépris des intérêts de l’Etat malien. Toutes choses que révèlent, selon l’accusation, la confusion entretenue autour du contrat ainsi que les nombreuses faveurs accordées à l’attributaire : prix et marges bénéficiaires excessifs dont un paiement de 15 milliards à titre de frais d’approche, exemption de toutes taxes, garantie autonome indûment consentie à hauteur de 100 milliards en vue de faciliter l’exécution d’un marché de 69 milliards, etc. «J’ai été mise devant le fait accompli», s’est défendue FIly Sissoko, rejetant toute responsabilité dans la conception et la passation des deux marchés ainsi que dans leurs montages financiers.
Jouissant par ailleurs d’un non-lieu partiel du parquet pour les faits de corruption, de favoritisme et de trafic d’influence, l’ancienne ministre de l’économie et des finances ne renie pas en revanche un rôle dans l’exécution et le règlement des deux contrats au nom de l’urgence qu’ils revêtaient. Elle se présente du coup dans une posture de simple marionnette d’une nébuleuse à laquelle elle paie pour son extrême obéissance.
Plusieurs fois incarcérés au gré des rebondissements du sulfureux dossier dit «des équipements militaires», son comparse Mamadou Camara comparaissait libre pour sa part, en vertu d’une liberté provisoire obtenue au prix d’une caution de centaines de millions de nos francs. L’ancien Directeur de cabinet d’IBK ne se trouvait dans les liens de l’inculpation (faux et usage de faux) que par le biais d’une correspondance au ministre de la Défense désignant une autre coïnculpée, en l’occurrence le conseiller spécial du même président de la République en son temps, Sidi Mohamed Kagnassy, comme mandataire attitré de l’Etat auprès des fournisseurs de la commande des matériels militaires. C’est en tant que porteur de ladite missive, signée au nom et pour le compte du chef de l’Etat, qu’il traîne des présomptions de responsabilité dans les préjudices infligés à l‘État malien, estimés par la Chambre d’accusation à plusieurs dizaines de milliards au titre des commandes non-exécutées par le fournisseur.
Un tissu d’incohérences de tares congénitales
Ont également comparu pour des motifs similaires deux célèbres officiers supérieurs détenus dans la même affaire es qualité Directeur du Commissariat des Armées et Directeur du matériel des hydrocarbures et de transports des Armées. Il s’agit des colonels Nouhoum Dabitao et Moustapha Drabo, tous deux accusés d’avoir usé de faux pour justifier de la réception par l’armée de matériels et équipements militaires pour plus de 36 milliards correspondant en même temps au préjudice financier supposément causé au trésor public dans l’affaire. L’accusation n’a probablement résisté que très laborieusement aux confrontations publiques, au regard de l’exhibition de pièces justificatives assez solides par chacun des inculpés, avec un cumul d’écarts largement disproportionné aux estimations de préjudices retenus par le parquet général. Ça n’est pas la seule incohérence qui contrarie cette haute institution. Un autre contraste réside, par ailleurs, dans la prise en compte d’un montant de 26 milliards comme préjudice financier imputable à un précédent arrêt de jugement émanant de la même institution judiciaire, a travers sa section administrative qui reconnaissait en même temps l’exécution du marché par le fournisseur dans la totalité des commandes y afférentes. Comme qui dirait l’aveu implicite d’une responsabilité partagée des magistrats de la Cour suprême dans le préjudice imputé aux inculpés. Un cocktail d’incongruité peu digeste, somme toute, qui vient grever les tares congénitales d’une procédure tirée par les cheveux depuis l’exhumation du dossier au forceps. Les observateurs les mieux avertis ont souvenance, en effet, que c’est en échange d’une extinction arrangée de la gênante procédure des Bérets Rouges, au détour notamment d’une certaine Loi d’entente nationale, que le dossier des équipements et de l’avion présidentiel a été ressorti des tiroirs de son classement sans suite. Sauf qu’il en fallait davantage pour qu’il aboutisse par la voie d’une saisine de la Haute cour de justice qu’exigeait le privilège de juridiction de la plupart de ses principaux protagonistes. Une tentative de contourner cette institution s’est d’ailleurs heurtée au statut ministériel d’un des nombreux détenus préventifs d’une première procédure enclenchée en son temps. Et la Haute cour de justice serait demeurée incontournable si un coup de force militaire n’avait entraîné sa disparition avec celle de l’Assemblée nationale dont elle était l’émanation. Au lieu de quoi, le dossier traîne, tel un boulet, le discrédit d’une réhabilitation au forceps, à cause de ce chamboulement politique ayant privé la justice de l’instrument le plus légal pour une procédure moins boiteuse et respectueuse de la constitution. La crédibilité du dossier n’est pas moins entachée par l’omerta que s’imposent les acteurs sur l’évidence la plus indissimulable de l’acquisition de l’avion présidentiel et des équipements militaires. Peu de gens ignorent, en effet, que ça n’est pas par une banale coïncidence que lesdits marchés ont été respectivement attribués aux deux principaux bailleurs du projet électoral du candidat IBK en 2013 : l’avion présidentiel pour Tomi Michel et les équipements militaires pour la famille Kagnassy. Les pêchés de la galaxie paraissent en définitive portés par les moins brillantes des étoiles qui la composent.
A. KEÏTA