C’est sous le signe de l’union sacrée autour de nos Forces de défense et de sécurité qu’a été commémoré hier le 59è anniversaire de la création de l’armée malienne. Loin de la solennité qui caractérise la célébration de cet événement, des discours officiels et autres manifestations qui ont meublé ce 20 janvier 2020, nous vous proposons dans ces lignes le regard de deux personnalités sur l’institution militaire. Il s’agit de l’historien et universitaire Pr Jean Bosco Konaré, et du général d’aviation à la retraite Mamadou Doucouré, ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air
Pr Jean Bosco Konaré : « l’Armée est aussi nécessaire que l’air que nous respirons »
Historien de son état, le Pr Jean Bosco Konaré résume l’histoire de l’Armée malienne en trois phases. La première, c’est au moment où le Mali accéda à l’indépendance, plus précisément juste après la rupture avec le Sénégal. « à partir de la dénonciation des accords avec la France, le Mali a été amené à former sa propre armée indépendamment de celle du Sénégal. En ce moment, il y avait une philosophie d’une armée soudée au peuple ». Cela signifiait, selon lui, une orientation très précise.
Le coup d’état contre le président Modibo Keïta a ouvert la deuxième phase de l’histoire. Cet évènement, selon Pr Jean Bosco Konaré, a engendré une sorte de rupture non pas entre l’armée et le peuple, mais entre celle-ci et certains cadres qui ont vu en elle uniquement un instrument pour perpétrer des putschs. « Mais l’avantage de cette période est que l’armée, qui avait été initiée par les pères fondateurs de la République du Mali, a été renforcée sur le plan de l’équipement et de la formation. Des militaires maliens ont été envoyés un peu partout en Afrique pour aider les pays à faire la paix », soutient M. Konaré. Pour étayer ces propos, l’historien raconte une anecdote. Il rappelle que l’entrée du Mali dans l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) a suscité à l’époque beaucoup de remous au sein de cette organisation sous-régionale. Les gens, se souvient Jean Bosco Konaré, ont dit que les Maliens ont fait la tête : ils sont partis, ils ont fait leur monnaie qu’ils en gardent alors. Et l’ancien président ivoirien Felix Houphouët-Boigny, en ce moment, a attiré l’attention sur le fait que le Mali a une armée, que les Maliens savent l’utiliser. Ainsi, estimait-il qu’il était plutôt bon de cheminer avec le Mali pour savoir, au moins, ce qu’il fait et où il va. Cela a contribué, selon le professeur, à faire admettre le Mali au sein de l’Umoa.
Pour Jean Bosco Konaré, c’est à partir de 1991 que l’Armée est entrée dans la troisième phase de son histoire. Cette année marque la chute de Moussa Traoré qui, de facto, entraîne une rupture assez significative. En effet, ceux qui sont venus au pouvoir avaient pratiquement tous un contentieux avec l’Armée. Ils avaient contesté le pouvoir central sous Modibo Keïta et Moussa Traoré qui, en représailles, les envoyaient au camp para. « Ce qui a provoqué une image négative de l’Armée, constituée dans leur subconscient ou dans leur conscient. Ils avaient tendance à rejeter l’Armée », rappelle-t-il. Pendant ce temps, continue notre interlocuteur, la France préparait son retour militaire au Mali. Mais, elle n’avait pas encore de raison particulière.
« Donc, l’un dans l’autre, on a progressivement assisté à la déliquescence, à la déstructuration de l’Armée que l’ancien président Moussa Traoré et l’ancien ministre de la Défense, Kissima Dounkara avaient instaurée », déclare l’Universitaire. Avant de noter que cette situation explique, en partie, la déroute de l’Armée dans la première phase des conflits à partir de 2012. « De ce fait, nous devons reconstruire notre armée », selon Jean Bosco, qui attire l’attention sur le fait que nous avons sept frontières nationales à surveiller. « Personne au Mali ne peut jurer que dans mille ans, nous serons en paix avec nos pays frontaliers », dit-il.
Donc, pour lui, soit on va ensemble pour constituer une force de défense digne de ce nom ou chacun se cherche. « Je crois que nous sommes dans cette phase présentement, c’est dur mais tel est le prix à payer pour que les uns et les autres puissent dormir tranquillement dans leurs maisons ».Par ailleurs, le Pr Jean Bosco Konaré indique qu’aucune guerre n’est totalement prévisible. Pour lui, depuis 1815 toutes les guerres commencent comme des guerres classiques mais se terminent comme celles populaires. « Donc, il est important et urgent de former le corps des officiers à ce type de guerre qui n’est pas une guerre classique. Mais plutôt une guérilla urbaine ou une guérilla extra urbaine», a suggère M. Konaré.
L’historien souligne que les officiers doivent également être préparés psychologiquement et techniquement à affronter ce type de conflits qu’ils n’étudient pas dans les écoles de guerre. Il y a aussi souvent, selon lui, dans ce type de conflits des guerres perfides, en ce sens que celui qui est supposé être votre ami peut vous taper dans le dos. Aussi, l’identification de l’ennemi est compliquée. Car tous les malfrats du continent et même d’ailleurs viennent parce qu’il y a quelque chose à prendre. « à partir du moment où il y a ça, si tu te cramponnes sur l’idée que c’est tel groupe, tu fausses ton analyse », estime notre interlocuteur.
A l’en croire, vu l’espace à défendre, plus de 1.241. 000 km2 de superficie, il faut nécessairement ouvrir le schéma de recrutement et mettre l’accent sur la formation. Sur ce registre, il recommande que tous les jeunes fassent le service militaire, avec l’avantage d’avoir un vivier de réservistes, à côté de ceux qui n’iront pas à la fonction publique.
Pour Jean Bosco Konaré, l’armée n’est pas un parement pour les défilés, mais une nécessité, un photo-porteur de l’état. « S’il n’y a pas d’armée, il n’y pas d’état », assene-t-il, avant d’indiquer qu’il faut que chacun se dise que l’armée est aussi nécessaire que l’air que nous respirons.
Bembablin DOUMBIA
Source : L’Essor