A travers ce billet, je prête ma plume à Mariétou, un personnage fictif, veuve ayant perdu son époux militaire peu de temps après son mariage.
Ça fait déjà deux mois que je suis venu m’installer avec Salif, mon tendre époux dans le camp militaire de Kati. Un homme brave et prévenant. Une semaine après ma venue, il est appelé en mission sur le théâtre d’opération à Indelimane, localité située dans la région de Gao. Quelques rares fois, on se parlait au téléphone. C’était un grand bonheur pour moi.
Mais j’étais stressée à l’idée de le perdre à jamais. Cette peur, je l’évoquais dans nos discussions. A chaque fois, il me rassurait, d’un ton serein. « Ma FAMA Mousso, ne fait pas trop attention à toutes ces rumeurs qui courent. Ici la situation est sous contrôle », disait-il. Ces mots apaisaient mon anxiété. Mais pas pour longtemps.
Il m’appelait affectueusement « FAMA Mousso », la femme du FAMA (Forces Armées Maliennes), en bambara qui peut aussi désigné la femme du chef. Une façon de me rappeler l’importance de mon rôle dans sa vie professionnelle. «Tu es plus brave que moi. Car tu es celle qui vit dans une longue et pénible attente à chaque fois que je m’éloigne de la maison », me consolait-il.
Longue nuit
Comme chaque soir à 20h, mon époux me donnait ses nouvelles. Mais ce 1er novembre, Salif n’a pas fait signe de vie. L’attente a été longue. Soudain, j’entends des cris de femmes et d’enfants. C’était la panique totale dans le camp.
Je sors dehors pour m’imprégner de la situation. « Indelimane a été attaqué… Nos maris sont morts…Nous sommes foutues… à nous le tour de porter le boubou bleu », se lamentent les femmes. Sous le choc, je tombe en syncope. Très vite la nouvelle se propage comme une traînée de poudre. Salif servait précisément dans cette localité et il était injoignable, mon cœur a senti son départ vers l’au-delà et j’ai vécu la plus longue nuit de ma vie. Tout mon monde s’effondre.
Le boubou bleu
Il désigne la mort, le deuil, la séparation de deux êtres chers. Il est porté par les veuves pendant une durée de quatre mois. Dans le camp militaire où j’habite, le fameux boubou bleu est désormais devenu notre uniforme à nous, femmes de soldat.
Le nombre de veuves ne cessait de croître. Et moi, j’avais une peur bleu de ce boubou bleu. Il a remplacé nos pagnes imprimés du 20 janvier (fête de l’armée), du 22 septembre (fête de l’indépendance). Chacune d’entre nous craignait le jour où son tour arrivera mais le mien est arrivé plus tôt que prévu. Ne pourrais-je donc jamais porter les enfants de Salif ?
Pour me consoler, je me remémore souvent le couplet de l’hymne national que me récitait mon FAMA Salif. « Nous sommes résolus de mourir pour l’Afrique et pour toi, Mali ».
C’était une manière à lui de me préparer à son départ que je n’arrive pourtant pas à surmonter. Je suis si jeune et déjà veuve, au nom de toutes celles qui n’ont plus de nouvelles de leur mari, celles qui savent qu’elles ne rêveront jamais leur moitié j’implore l’Etat malien de prendre le problème à bras le corps. Qu’aucun chef de famille ne périsse plus jamais impunément.
Mali24