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ALLOCUTION DE MACKY SALL SUR LE THEME : « AFRIQUE-ITALIE, ENTRE CULTURE ET ETHNOLOGIE »

president senegalais macky sall

 

Monsieur le Président du Conseil national de l’Economie et du Travail,
Mesdames, Messieurs les Ministres, 
Monsieur le Sous – Secrétaire d’Etat, 
Monsieur le Représentant du Ministère pour les biens et activités culturels et du Tourisme, 
Mesdames, Messieurs,
Selon un vieil adage, tous les chemins mènent à Rome.  
Je suis heureux, avec la délégation qui m’accompagne, de sacrifier à la tradition en visitant la ville éternelle. Je vous remercie pour votre accueil si chaleureux.
Et je vous exprime ma gratitude pour l’hospitalité que votre pays offre à mes compatriotes établis et travaillant ici.
Je suis sûr que nous continuerons d’œuvrer ensemble pour que la migration, paradigme d’un monde globalisé par l’échange et la communication, obéisse aux conditions légales des pays d’origine et  d’accueil.
Mesdames, Messieurs,
Faire le chemin de l’Italie, c’est surtout voyager à travers le temps, en remontant le cours d’une vieille et  fascinante civilisation dont l’histoire et la culture forcent le respect et l’admiration.
Mais évoquer l’histoire et la culture italiennes, c’est comme suivre un long fil d’Ariane, sans être sûr par quel bout commencer ; entre Venise, la rouge, Florence, la perle de la Renaissance, la majestueuse basilique Saint Pierre ou la prouesse architecturale du Colisée et de  la Tour de Pise.
Un pays, ses terroirs et ses monuments. Mais aussi un pays et ses hommes : Archimède, Michel-Ange, Leonardo de Vinci, Jules César, Galilée, Dante, Machiavel, et Marco Paolo, le marchand explorateur au Livre des merveilles.
Depuis des siècles, tous ces noms célèbres, résonnant bien au-delà de vos frontières, rappellent l’apport inestimable de votre peuple à la science, la technologie, l’art et la culture, sources de progrès et de prospérité pour l’humanité.
Si je devais convoquer ici tous les esprits brillants du peuple italien, « leurs ombres nous plongeraient dans l’obscurité. Ils sont innombrables », pour reprendre une formule de Mario Vargas.
Je m’empresse donc d’en venir au thème que vous m’avez proposé : « Afrique-Italie, entre culture et ethnologie ». 
Sujet ne saurait être plus pertinent à mon avis, tant la culture et l’ethnologie déterminent notre manière d’être, d’agir et d’interagir, comme individus et sociétés.
Or, la culture et l’ethnologie sont des concepts à usage ambivalent, et maniables selon les besoins de la cause. Suivant les circonstances et la finalité qu’on leur assigne, la culture et l’ethnologie peuvent porter une valeur et son contraire. Elles peuvent provoquer la guerre et la paix,  l’oppression et la liberté, le mépris et le respect, l’entente cordiale et l’antagonisme.
Rapportées à l’Afrique, communément admise comme berceau de l’humanité, la culture et l’ethnologie ont été à l’origine des pires souffrances que l’homme a pu infliger à son semblable. Je veux nommer l’esclavage et la colonisation.
A l’opposé de l’axiome universel selon  lequel « tous les hommes sont nés libres et égaux », c’est par la culture et l’ethnologie qu’ont été construites les doctrines négationnistes, refusant à  l’Afrique et aux africains, leur histoire ainsi que leurs valeurs de culture et de civilisation,  et, finalement, leur humanité.
Ce sont des thèses comme celles de Hegel et Lucien Lévy-Bruhl, parmi d’autres, qui ont contribué à dénier la raison et les processus cognitifs aux peuples africains au Sud du Sahara ; des peuples considérés comme primitifs, et en marge de l’histoire. Ainsi,  dans son ouvrage intitulé « La raison dans l’histoire », Hegel affirme sans nuance que « l’Afrique au Sud du Sahara est restée fermée au reste du monde… et qu’il ne peut y avoir d’histoire proprement dite… ».

Il est étonnant que par une construction ethnologique purement caricaturale, le berceau de l’humanité ait été ainsi réduit à la périphérie de l’histoire !

Mais il est tout aussi heureux que de tels préjugés aient été radicalement invalidés par d’éminents chercheurs européens, parmi lesquels Léo Frobenius, auteur d’un fameux ouvrage sur l’Histoire de la civilisation africaineClaude Levis Strauss, l’Italien Giambattista Vico, Ernesto De Martino et Marcel Griaule.

Griaule, qui a abondement voyagé en Afrique, et publié de nombreux ouvrages sur le continent, a beaucoup contribué à faire découvrir la richesse culturelle du peuple dogon du Mali, qu’il compare à celle des peuples antiques.
Les recherches de Griaule ont d’ailleurs été plus récemment confortées par le célèbre astronome américain Carl Sagan, qui, dans Le Cosmos, un ouvrage faisant autorité, mentionne des connaissances astronomiques accumulées par de fins observateurs du ciel parmi le peuple Dogon.
De grands hommes de culture européens se sont aussi réclamés de l’Afrique, à l’image de Baudelaire, Rimbaud, Picasso et Apollinaire.
Sur les traces du Mouvement panafricaniste lancé par des pionniers de la diaspora africaine comme Edward BLYDEN, Henry Sylvester WILLIAM, Frantz FANON et William DUBOIS, de nombreux africains, hommes et femmes de la science et de la culture ont ensuite démontré les traits de culture et de civilisation qui rattachent l’Afrique à la grande Histoire de l’humanité. Cette même histoire que l’italien Vico  décrivait comme  « la nature commune des Nations ».
Sans être exhaustif, je citerai parmi les  pionniers de l’historicité africaine mon compatriote feuCheikh Anta Diop, dont la première université sénégalaise porte le nom.
Historien, anthropologue et physicien, il a contribué par ses travaux sur plusieurs années à démonter l’apport de l’Afrique à l’histoire et à la civilisation de l’humanité, en faisant recours à plusieurs méthodes d’investigation, dont des témoignages  d’écrivains anciens comme Hérodote, et la datation archéologique au radiocarbone.
Parmi ses nombreux écrits, figurent Nation nègre et culture, premier ouvrage sur  l’histoire africaine antique ; L’Afrique Noire précoloniale ; L’antériorité des civilisations nègres, mythe ou réalité ? ; Civilisation ou barbarie ; L’Unité culturelle de l’Afrique noire ; Les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur Etat fédéral d’Afrique noire etc.
Cette prodigieuse production lui a valu de siéger au comité scientifique qui dirigea dans le cadre de l’UNESCO, la rédaction de l’ouvrage-référence portant sur l’Histoire générale de l’Afrique  
En plus de ses travaux sur l’Egypte antique, il a ouvert la voie à des découvertes archéologiques majeures sur l’histoire et la civilisation africaines, notamment avec les sites deKerma  (capitale de l’ancien royaume de Nubie, au Soudan) et de Blombos, en Afrique du Sud.
De nombreux chercheurs et intellectuels d’Afrique et de la diaspora, dont le congolaisThéophile Obenga, l’africain-américain Molefi Asante et le sénégalais Aboubacry Moussa Lam, entre autres, vulgarisent aujourd’hui les travaux de Cheikh Anta Diop.
La revendication de l’identité culturelle négro africaine a aussi été incarnée par le mouvement de la négritude, lancé par les intellectuels et écrivains négro antillais Léon Gontran Damas, René Maran, Aimé Césaire, Alioune Diop du Sénégal, et un de mes illustres prédécesseurs, feu le Président poète Léopold Sédar Senghor, dont une place de la ville de Faenza porte le nom.
Senghor définit la négritude  comme « l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des noirs »
Pour lui, le concept de la négritude  était à la fois un combat pour la reconnaissance de la culture et des valeurs africaines mais également une voie de réconciliation entre les peuples, par le dialogue des cultures et des civilisations.
Ce dialogue qu’il désignait sous le vocable de « rendez-vous du donner et du recevoir »,devait conduire à la symbiose des cultures et des civilisations pour former la « Civilisation de l’universel ».
C’est pourquoi Senghor était ouvert à des  apports extérieurs à l’Afrique, notamment ceux de Frobenius, Goethe, Pierre Teilhard de Chardin et de son ami Pablo Picasso, dont plusieurs œuvres portent aussi une influence africaine.
Depuis le temps des pionniers de la revendication de l’identité culturelle africaine, le monde a certes évolué.  Pour autant, la reconnaissance et l’acceptation de la diversité des cultures, pour une coexistence pacifique des peuples et un développement solidaire durable restent un objectif à atteindre.
Nous vivons dans un monde de paradoxes, où, grâce aux progrès inédits de la science et de la technologie, l’homme, disposant de tout pour son bonheur, semble tout faire pour provoquer son malheur.
Que l’on en juge par la dégradation continue de l’environnement, le terrorisme, les conflits armés et la  pauvreté extrême dans une société d’abondance. Tout se passe comme si notre civilisation, épuisée par l’abîme de la guerre et les servitudes matérielles, tournait le dos à la sagesse des anciens et renonçait aux valeurs qui donnent sens et goût à  la vie.
Tirant le meilleur de la culture, il nous faut revenir aux fondamentaux qui favorisent la compréhension mutuelle et le désir de vivre ensemble, en tant qu’individus et sociétés.
Contre l’intolérance, les préjugés et les extrémismes de tous bords,  il faut faire appel à une nouvelle Renaissance, pour que la raison discursive de l’homme l’emporte sur la peur, l’ignorance et le mépris qui alimentent les antagonismes.
Nous devons apprendre à vivre ensemble en refusant le monolithisme culturel, l’uniformisation des modes de pensée, de production et de consommation, et en reconnaissant l’égale dignité de toutes les cultures et de toutes civilisations.
Le grand livre de l’histoire est ouvert à tous les peuples. Et « chaque homme est une humanité, une histoire universelle », selon la formule de Jules Michelet.
Chers amis, 
Votre pays, par sa géographie ouverte aux courants de la Méditerranée, par son histoire et sa culture, par le talent de ses enfants, qui savent autant voyager que recevoir avec le même bonheur, peut grandement contribuer au rapprochement des peuples dans le respect de leurs diversités.
Si le Mouvement de la Renaissance, prélude au siècle des Lumières, a pu naitre  à Florence, c’est parce que des artistes, philosophes, intellectuels et hommes de science pouvaient y exprimer librement leur talent, promouvoir les connaissances et combattre l’obscurantisme.
En recevant l’année prochaine à Milan l’Exposition Universelle, sur le thème «Nourrir la planète, énergie pour la vie », l’Italie poursuit cette vieille tradition  participative aux solutions des problèmes du monde.
J’espère que par cet apport au rapprochement des peuples, l’Italie aidera à éloigner le monde de l’état de nature, dans lequel « l’homme est un loup pour l’homme », selon la vision deThomas Hobbes, pour favoriser l’avènement d’une nouvelle fraternité humaine, où, suivant une sagesse de chez nous, « l’homme est le remède de l’homme » ; « nit, nit ay garabam ».
Je vous remercie de votre aimable attention.

SOURCE / setal.NET

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