Des militaires sacrifiés pour masquer une opération sensible
Selon les informations officielles, le Général Mohammed Remdaniya, commandant du contrôle opérationnel aérien de la 6ème région militaire, ainsi qu’un colonel dont l’identité n’a pas été révélée, font actuellement l’objet d’une procédure judiciaire. Ils sont accusés de ne pas avoir respecté la chaîne de commandement et d’avoir engagé le feu contre le drone malien sans en référer préalablement au chef d’état-major Saïd Chengriha.
Cependant, une source algérienne proche de l’establishment militaire apporte un éclairage différent sur cette affaire : « Ces poursuites judiciaires ne sont qu’une diversion pour cacher une opération de protection d’Iyad Ag Ghali. Les deux responsables militaires sont tout simplement sacrifiés pour dédouaner l’ANP et réduire le ciblage du drone malien à un banal excès de zèle du commandement régional au sein de la 6ème région militaire ».
Cette version des faits, si elle se confirmait, suggérerait que l’abattage du drone malien résulterait non pas d’une initiative isolée de responsables militaires régionaux, mais bien d’une décision prise à un niveau beaucoup plus élevé, impliquant probablement les services de renseignement algériens.
Une opération orchestrée par la DGDSE
Les circonstances précises de l’incident du 1er avril 2025 prennent désormais une nouvelle dimension. La version selon laquelle la Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DGDSE) algérienne aurait orchestré cette opération gagne en crédibilité.
Selon les informations disponibles, la DGDSE aurait reçu dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025 une alerte d’un agent en poste au Mali : l’armée malienne avait identifié le campement d’Iyad Ag Ghali dans la région de Tinzaouatène et préparait une opération imminente pour le neutraliser.
Face à l’urgence de la situation et l’impossibilité pour Iyad Ag Ghali de se replier rapidement vers le nord en territoire algérien, le Directeur de la DGDSE, le général Rochdi Fethi Moussaoui, aurait ordonné directement au commandement des forces aériennes de la 6ème région militaire d’intercepter le drone malien avant qu’il ne puisse accomplir sa mission.
Ce scénario expliquerait pourquoi les autorités algériennes cherchent aujourd’hui à faire porter la responsabilité de l’incident sur des officiers régionaux, alors que la décision aurait été prise à un niveau bien supérieur.
Iyad Ag Ghali : un « actif » précieux pour l’Algérie
Le parcours d’Iyad Ag Ghali et ses relations avec les services algériens permettent de comprendre pourquoi sa protection représente un enjeu stratégique pour certains cercles du pouvoir à Alger.
Né en 1958 à Boghassa dans le nord du Mali, Iyad Ag Ghali s’est d’abord fait connaître comme leader des rébellions touarègues des années 1990. C’est à cette époque que ses liens avec les services algériens se sont noués, comme le rappelait Jean-Pierre Filiu le 21 octobre 2018 : « Alors qu’il dirige en 1990 une guérilla touareg d’inspiration nationaliste, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) parraine à Tamanrasset sa réconciliation avec des représentants de Bamako».
Après son basculement dans le jihadisme en 2012 avec la création d’Ansar Dine, puis en 2017 avec la formation du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ces liens semblent s’être maintenus. Comme le notait Jean-Pierre Filiu : « Même après son basculement jihadiste de 2012, les responsables algériens sont convaincus qu’ils peuvent jouer Ansar Eddine contre AQMI, et limiter ainsi les effets de la déstabilisation du Nord-Mali sur leur propre territoire ».
Cette relation complexe explique pourquoi, malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Iyad Ag Ghali a pu échapper aux multiples tentatives de capture ou d’élimination.
L’enquête du journal Le Monde publiée en juillet 2018 révélait d’ailleurs que « les services lancés sur la trace d’Iyad Ag-Ghali l’avaient souvent signalé dans la localité algérienne de Tin Zaouatine, à la frontière du Mali, où résiderait sa famille ». Plus troublant encore, le même article affirmait que le chef jihadiste, « hospitalisé dans un établissement algérien de Tamanrasset, y aurait échappé en 2016 à une tentative occidentale de neutralisation ».
Une stratégie algérienne de plus en plus intenable
La mise en cause de deux officiers supérieurs dans l’affaire du drone révèle les contradictions de la politique algérienne au Sahel. D’un côté, Alger se présente comme un acteur clé de la lutte antiterroriste et un médiateur incontournable dans les crises régionales. De l’autre, certains cercles du pouvoir maintiennent des relations ambiguës avec des chefs jihadistes comme Iyad Ag Ghali.
Cette stratégie, longtemps tolérée par les partenaires occidentaux et africains, est aujourd’hui frontalement contestée par le Mali et ses alliés de l’Alliance des États du Sahel. L’accusation formelle de « parrainage du terrorisme international » portée par Bamako contre Alger marque un tournant dans les relations sahéliennes.
Il faut rappeler que la Cour pénale internationale avait levé les scellés du mandat d’arrêt émis contre Iyad Ag Ghali. Comme le rapportait un article du 360 en juin 2023, la CPI avait demandé au greffier « de préparer une demande de coopération pour l’arrestation et la remise du suspect, et de l’adresser aux autorités compétentes de tout État pertinent » – une formulation qui visait manifestement l’Algérie.
La manœuvre judiciaire contre les deux officiers algériens pourrait donc s’interpréter comme une tentative de préserver l’image internationale de l’Algérie, tout en maintenant sa politique de protection envers Iyad Ag Ghali.
Les répercussions régionales d’une crise majeure
Cette crise survient dans un contexte de reconfiguration profonde des équilibres sahéliens. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, unis au sein de l’Alliance des États du Sahel, ont diversifié leurs partenariats sécuritaires, notamment avec la Russie, et acquis des capacités militaires avancées comme les drones turcs Baykar Akıncı.
Le rappel « pour consultations » des ambassadeurs des trois pays de l’AES accrédités à Alger, le retrait du Mali du Comité d’État-Major Opérationnel Conjoint (CEMOC), l’annonce d’une plainte internationale et l’ouverture au Mali d’une procédure judiciaire pour « association de malfaiteurs, actes de terrorisme, financement du terrorisme, détention illégale d’armes de guerre, de munitions et de complicité », témoignent de la détermination de ces pays à s’affranchir de l’influence algérienne.
Pour l’Algérie, cette crise représente un défi majeur à sa politique régionale. La publicité donnée à ses liens présumés avec Iyad Ag Ghali et le sacrifice apparent de deux hauts gradés pour masquer une opération sensible révèlent les contradictions d’une stratégie de plus en plus difficile à maintenir.
Quant à Iyad Ag Ghali lui-même, sa situation devient de plus en plus précaire. Même avec la protection algérienne, l’intensification des opérations maliennes et la sophistication croissante de leurs moyens militaires rendent sa position vulnérable. Le communiqué malien précisait d’ailleurs que « d’importantes cibles terroristes ont été frappées avec succès dans la localité de Tinzawatène » dans les heures suivant l’incident du drone.
Cette affaire pourrait ainsi marquer un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, en mettant en lumière les responsabilités des États dans la persistance de la menace jihadiste et en poussant à une redéfinition des alliances régionales.
Institut Géopolitique Horizons
Source: L’Aube