L’Afrique est le continent qui dans les 30 prochaines années drainera l’essentiel de la croissance mondiale. Alors que la surpopulation de la planète inquiète, quelles mesures pourraient permettre de réduire la procréation sans pour autant heurter la liberté individuelle?
Dans son article, Alex Ezeh et Garumma Tolu Feyissa proposent des solutions pour réduire le nombre de naissances en Afrique. Pour eux, il n’est pas question d’imposer, d’interdire mais plutôt de trouver des incitations qui vont naturellement influencer les comportements. A cela s’ajoute un investissement dans les programme de planning familial.
Les taux élevés de croissance démographique continuent de freiner les efforts de développement sur le continent. La population de l’Afrique devrait pratiquement doubler d’ici 2050. L’un des sujets qui ont été abordés lors de la 8ème Conférence africaine sur la population, tenue à Entebbe en Ouganda (18-22 novembre 2019), était l’identification du moteur de la croissance démographique sur le continent et ce qui peut être fait pour enrayer la tendance.
Le débat a porté principalement sur le rôle des « nudges » comportementales, une sorte d’incitation pour modifier le comportement des individus tout en respectant leur libre arbitre, permettant ainsi d’initier une transition démographique en Afrique. La question leitmotiv était: peut-on et devrait-on utiliser des incitations et des « nudges » pour modifier les tendances de la fécondité sur le continent?
Les facteurs de croissance démographique en Afrique
La femme moyenne en Afrique donne naissance à environ 4,7 enfants. Cela varie considérablement entre 2,5 en Afrique australe et entre 5,5 et 5,8 en Afrique centrale et occidentale, alors que la moyenne mondiale est de 2,5 enfants par femme.
L’une des raisons pour lesquelles les femmes africaines font encore tant d’enfants est que l’âge moyen auquel elles deviennent mères pour la première fois est 4 ans en dessous de la moyenne mondiale de 26 ans. Les taux de natalité chez les adolescentes sont très élevés. En Afrique centrale et occidentale, par exemple, il est presque trois fois plus élevé que la moyenne mondiale. Le rôle que joue un démarrage précoce de la maternité dans la croissance rapide de la population est généralement ignoré.
Il y a de multiples effets négatifs sur la croissance démographique croissante. Par exemple, elle affecte directement la fertilité en augmentant la durée d’exposition au risque de procréer. Il a également des effets indirects. Premièrement, les femmes qui commencent à avoir des enfants tôt peuvent avoir moins d’autonomie pour décider ou négocier leurs plans de procréation. Elles peuvent également manquer d’opportunités telles que l’éducation incompatible avec la procréation. Deuxièmement, le début précoce de la maternité conduit à une réduction des écarts entre générations (définis comme la différence d’âge entre les mères et les filles), ce qui amplifie les taux de croissance de la population. Retarder le début du mariage et de la maternité pourrait considérablement réduire le taux de croissance de la population.
Un autre facteur concerne la planification familiale. Environ une femme sur quatre sur le continent a un besoin non satisfait en matière de planification familiale. Le besoin non satisfait fait référence à la proportion de femmes sexuellement actives qui veulent retarder une maternité pendant au moins deux ans mais qui n’utilisent aucune méthode de contraception moderne. Le fait d’aider les femmes à atteindre leurs objectifs en matière de fécondité peut réduire considérablement la croissance démographique.
Il est également prouvé que les différences de fécondité entre les pays d’Afrique subsaharienne et d’autres régions sont dues pour moitié aux différences d’efforts dans les programmes de planification familiale. La modification des cadres sociaux peut considérablement améliorer l’accès à des contraceptifs et impacter la réduction de la croissance démographique. Rendre les services de planification familiale disponibles peut stimuler l’utilisation de ces services, même parmi les femmes défavorisées, pauvres, analphabètes et rurales. Remédier à ces lacunes peut aider à répondre aux besoins des femmes en Afrique et à ralentir considérablement les taux de croissance démographique sur le continent.
Les débats sur les nudges
À l’échelle mondiale, les efforts visant à soutenir les changements de comportement en matière de procréation ont mis l’accent sur l’importance du choix individuel. Mais dans certains cas, des tentatives d’incitation, et de dissuasion, ont été tentées pour induire des changements dans le comportement de la fécondité. À l’extrême, il y a les politiques coercitives. Les exemples incluent la politique de l’enfant unique en Chine et la stérilisation involontaire de femmes principalement pauvres en Inde. Toutefois, la plupart des tentatives visant à décourager les comportements de fertilité sont plus subtiles. Elles peuvent inclure des désincitations financières et des incitations pour promouvoir la planification familiale, ou payer pour la performance afin d’améliorer l’exécution et la mise en œuvre de la planification familiale. Dans certains pays, tels que le Kenya, le Malawi et la Zambie, des programmes de transferts monétaires ont été essayés.
D’autres tentatives, principalement des nudges, visent à influer sur le comportement en matière de fécondité sans rien interdire les actions précédemment disponibles, ni rendre les alternatives sensiblement plus coûteuses en temps, en argent ou en sanctions sociales. Ces nudges respectent la liberté de choix des individus.
Le recours à des incitations financières et à des encouragements pour induire des changements ne va pas sans inquiétude. L’éthique, par exemple, est un gros problème et continue à être débattue. Le fait que les comportements à forte fécondité soient enracinés dans des croyances et des récits religieux et culturels bien ancrés doit être pris en compte par les autorités. Un autre problème éthique concerne les aspects économiques des incitations. Celles-ci peuvent affecter différemment les décisions prises par les familles riches et les familles pauvres. Il est donc important de ne pas imposer d’interventions qui forcent les gens à se trouver dans des situations impossibles, comme c’était le cas en Inde. Les gouvernements sont également confrontés à des dilemmes éthiques en raison de la contradiction entre assurer la protection du droit des individus de décider du nombre d’enfants à avoir, protéger le bien-être de la communauté et atteindre les objectifs de développement national pouvant nécessiter des taux de croissance démographique plus faibles.
Il est impératif que les décideurs africains utilisent des interventions efficaces, pratiques et éthiques. Les informations contextuelles doivent être recherchées avant la mise en œuvre de programmes incitatifs et potentiellement controversés.
Alex Ezeh, professeur en santé mondiale à l’Université Drexel, et Garumma Tolu Feyissa, chercheur en santé publique à l’Université Drexel. Article initialement publié en anglais par The conversation – Traduction réalisée par Libre Afrique.