L’annonce par le président intérimaire burkinabè de l’identification prochaine des restes présumés de Thomas Sankara, leader charismatique assassiné en 1987, a relancé les demandes pour une enquête indépendante sur les circonstances de sa mort.
Vingt sept ans après son assassinat, le “Che africain” revient sur le devant de la scène. L’une des premières décisions du président de transition burkinabè, Michel Kafando, a été d’autoriser, vendredi 21 novembre, des investigations pour identifier le corps du capitaine Thomas Sankara, héros national tué lors du putsch qui porta au pouvoir Blaise Compaoré.
La mort du charismatique leader burkinabè aux côtés d’une dizaine d’autres personnes– collaborateurs civils et gardes du corps – sous les balles d’un commando, le 15 octobre 1987 à l’intérieur du Conseil de l’entente à Ouagadougou, a longtemps alimenté les rumeurs les plus folles. Les corps des victimes auraient alors été enterrés à la va-vite au cimetière de Dagnoën dans la capitale burkinabè, tandis que le nouveau pouvoir faisait publier un certificat médical concluant à la “mort naturelle” de Sankara.
“Rouvrir les plaies du passé”
Après trois décennies d’obstruction judiciaire – les demandes d’exhumation de la famille Sankara étant jugées “irrecevables” – les simples sépultures de ciment devraient bientôt révéler leur secret. Une exhumation rendue possible par la chute du président Blaise Compaoré, chassé par la rue après 27 ans de règne.
La procédure d’identification évoquée par Kafando consiste à prélever un échantillon d’ADN sur la dépouille qui repose sous la tombe dédiée au “camarade capitaine Thomas Sankara”. Mais pour les associations qui préservent la mémoire du leader burkinabè, l’identification du corps ne serait qu’une première étape avant une autopsie en règle et une véritable investigation sur les circonstances de l’assassinat.
“Ça va rouvrir des plaies mais il faut que les choses aillent jusqu’au bout”, affirme à France24 Bruno Jaffré, auteur de “Biographie de Thomas Sankara – la patrie ou la mort”, un ouvrage publié en 2007. Le spécialiste du Burkina Faso évoque des pistes à explorer suite notamment à la diffusion d’undocumentaire sur la télévision publique italienne. “Il y a des Libériens qui ont parlé, des compagnons de Charles Taylor. L’un d’eux a même affirmé que c’est Compaoré qui a tiré. Ce que l’on attend fondamentalement, c’est une enquête indépendante sur place”.
Une future enquête parlementaire en France ?
La réouverture du dossier à Ouagadougou pourrait avoir des ramifications jusqu’au Palais Bourbon à Paris. Une proposition de loi enregistrée le 5 octobre 2012 à l’Assemblée nationale demandait instamment la création d’une commission d’enquête pour “répondre aux questions suivantes : pourquoi Thomas Sankara a-t-il été assassiné ? Comment cet assassinat a-t-il été rendu possible ? Quels rôles ont joué les services français et les dirigeants français de l’époque ? La DGSE savait-elle ce qui se tramait et a-t-elle laissé faire ?”
Ces demandes de clarification étaient alors restées sans réponse et aucune commission d’enquête parlementaire n’avait été mise en place.
Pour Bruno Jaffré, qui est également actif au sein du réseau international “Justice pour Thomas Sankara, justice pour l’Afrique”, l’annonce du président intérimaire burkinabè représente aussi une opportunité de relancer les investigations en France.
“Nous allons lancer un appel lundi ou mardi prochain pour obtenir une enquête parlementaire en France. La précédente demande d’élus issus du Front de Gauche et des Verts avait été ignorée. Mais il serait important de savoir si le gouvernement français était au courant”, explique le biographe de Sankara.
L’influence des militaires en question
L’exhumation de la dépouille présumée de Thomas Sankara aura lieu sur fond d’une transition politique marquée par la répartition des pouvoirs entre l’ancien diplomate Michel Kafando et son Premier ministre, le lieutenant-colonel Isaac Zida. Or, selon la Lettre du Continent, ce dernier aurait été poussé au pouvoir par Gilbert Diendéré, soupçonné d’être mêlé à l’assassinat de Sankara.
“A défaut de pouvoir prendre personnellement le contrôle de la transition par crainte d’envenimer la situation, Gilbert Diendéré a demandé à son adjoint, le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, de prendre attache auprès des appareils politiques et de la société civile afin d’entamer des négociations”, affirme la publication destinée aux décideurs dans son numéro 693.
La possible implication du capitaine Gilbert Diendéré dans l’assassinat de Sankara est évoquée noir sur blanc dans le document parlementaire français, qui souligne que ce pilier du régime Compaoré, responsable de la sécurité présidentielle, a reçu la Légion d’honneur lors d’un séjour en France en mai 2008.
Sa présence continue à Ouagadougou après la chute de son patron soulève des questions sur les jeux d’influence parmi les chefs militaires. “Vu l’ambiance dans le pays en ce moment, je ne pense pas que les juges vont se laisser intimider. On verra s’ils peuvent aller plus loin que de juste ouvrir la tombe”, affirme Bruno Jaffré. Ce qui leur permettrait de donner des gages de l’indépendance de la justice au Burkina Faso après la chute de Compaoré.
Source: france24